René Clément talks about the films

13 mai 1961
04m 44s
Ref. 00071

Information

Summary :

René Clément gives some reflections on the "Italian" film he presented at Cannes, the reasons why some films age badly and the future of the cinema-television coupling.

Media type :
Broadcast date :
13 mai 1961
Source :
INA (Collection: Cinépanorama )

Transcription

François Chalais
Vous savez, René Clément, que vous avez un sosie ?
René Clément
Sosie ?
François Chalais
Vous avez un sosie (d'ailleurs, c'est une curieuse coïncidence) qui s'appelle également René Clément, qui a fait également "Monsieur Ripois", qui a fait " Jeux interdits ". C'est un très bon metteur en scène. Il est considéré peut-être même comme le meilleur metteur en scène français, mais ça ne serait être vous puisque, vous, vous représentez l'Italie avec un film qui s'appelle " Quelle joie de vivre ", avec un jeune acteur italien qui promet beaucoup et qui s'appelle comment ?
René Clément
Alain Delon.
François Chalais
Oui, moi, tous ces noms étrangers, je m'y perds un petit peu. Enfin plaisanterie mise à part, René Clément, Français ou Italien, vous arrivez à Cannes avec un film dont on a beaucoup loué des qualités mais cela signifie aussi qu'on vous a un petit peu perdu de vue pendant pas mal d'années en France. Pourquoi ?
René Clément
Eh bien, en fait, c'est très bon parce que, au fond, on dort dans la vie et, moi, j'ai dormi longtemps.
Clément René
Je me suis aperçu en me réveillant que, depuis " Jeux interdits ", je n'avais guère fait que "Gervaise" en France.
René Clément
Oui parce que "monsieur Ripois", je l'avais tourné en Angleterre, que le " Barrage entre le Pacifique " a été tourné en partie en Italie et en partie au Siam, Que " Plein soleil " a été tourné presque entièrement (quoique ce soit quand même une raison de production française puisqu'il s'agissait de Robert [Akim]) en Italie. Et, finalement celui-ci que j'avais signé il y a deux ans et que je devais exécuter et qui est " Quelle joie de vivre ".
François Chalais
Mais, pour quelle raison l'Italie ? Est-ce que ça correspond chez vous à un choix ou bien est-ce que c'est vraiment le hasard ?
René Clément
C'est un choix. J'estime qu'on doit choisir à un certain moment le producteur qui vous permet de faire certaines choses. Il s'est trouvé qu'en Italie, je crois (ou même beaucoup dans certains milieux cinématographiques), on me donnait les possibilités de faire les choses que j'avais envie de faire. C'est pourquoi je me suis trouvé orienté vers l'Italie que j'aime beaucoup. D'ailleurs, il y a aussi des questions de coeur dans tout ça, des questions de sentiment. J'adore l'Italie et, comment dirais-je, l'explorer sur un certain plan qui était le sujet que j'avais adopté m'intéressait énormément. Alors, j'avais à la fois ce métier qui me passionne et le sujet qui m'intéressait. C'est pour ça que, finalement, je me suis retrouvé à faire celui-ci qui est le quatrième film italien.
François Chalais
Je ne vais pas vous demander de juger vos confrères mais je voudrais savoir par exemple si vous pensez que des films peuvent se démoder et plus maintenant qu'autrefois.
René Clément
La technique peut se démoder, la perfection d'une image peut se démoder mais j'ai l'impression que lorsqu'on a affaire vraiment à un sujet qui est humain, il doit passer au travers des années sans que cela se voie. Et si la technique photographique (ce que j'entends si vous voulez : la technique d'impression car nous imprimons nous-mêmes, n'est-ce pas, notre pellicule)... Si la technique d'impression est bonne, si elle est presque (on pourrait arriver à dire presque parfaite), évidemment elle ne vieillira pas. Alors, qu'est-ce qui compte ? C'est le sujet : le sujet peut se démoder (il y a des sujets qui se démodent). Un sujet qui se démode est un sujet qui s'est engagé dans une certaine époque. Si cette époque est tombée à faux, votre film est à faux. Il y a, par exemple, des conventions ou, comment pourrais-je dire, des films qui vont vers le public dans un sens...
François Chalais
Qui vont exprès ?
René Clément
Oui, un peu trop exprès.
François Chalais
Ils vont à la pêche, oui.
René Clément
N'est-ce pas, ce que l'on pourrait appeler des gentillesses au public. Il est évident que cela ne passe pas : au bout de quelques années, ce film fait pour le contemporain (ce que j'appelle pour le contemporain) est un film qui vieillira. Il n'y a pas de doute : quand on a vu Stendhal la première fois, vous savez très bien ce que l'on en a pensé et tous les bons écrivains du XIXe siècle ont tous subi les mêmes échecs. Il a fallu attendre cinquante ans pour pouvoir le lire. Alors, pourquoi est-ce que le cinéma n'échapperait pas à cela ?
François Chalais
Ne croyez-vous pas, René Clément (parce que la vérité de la vie est trop forte pour la vérité de la fiction), que certains films sont désormais impossibles ?
René Clément
Oui, il y a des saturations.
François Chalais
Pas seulement. C'est que la vérité était tellement plus forte.
René Clément
Oui, bien sûr. Est-ce que vous feriez, vous, un film sur les camps de concentration avec des acteurs ? Bon, alors, nous sommes à la télévision.
François Chalais
Oui.
René Clément
Bon, il est évident que vous avez en ce moment devant vous un appareil récepteur qui a le plus grand talent du monde, beau que tous les films du monde : c'est la réalité de l'information. Le cinéma, lui, va aller davantage demain vers la fiction. Chacun prendra ses responsabilités : la télévision doit prendre la sienne et va expliquer au cinéma certaines réalités dont le cinéma se servira, comme la télévision actuellement se sert du cinéma pour débuter. Et je crois que le cinéma, s'il a un avenir, sera d'aller partout où les progrès techniques pourront lui permettre de réaliser ce qui n'est pas l'information, par exemple. Là, le cinéma sera toujours beaucoup plus fort.