Léon Trupin, mineur silicosé

09 décembre 1981
06m 09s
Réf. 00165

Notice

Résumé :

Témoignage de Léon Truppin, mineur de 1939 à 1975, reconnu silicosé à 100 % depuis 1977. Il est interviewé par le docteur Maurice Terron, médecin des sociétés de secours minières d'Aniche.

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Date de diffusion :
09 décembre 1981
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Personnalité(s) :

Éclairage

Léon Turpin a été mineur toute sa vie, passant 36 ans au fond. En 1981, il est à la retraite depuis 5 ans et demi et souffre d'une silicose en phase quasi-terminale. Son état pathologique a été diagnostiqué en 1976 et son évolution est particulièrement rapide puisqu'il est passé en quelques mois seulement d'un taux d'incapacité de 10 à 100%.

Le regard qu'il porte sur sa maladie change progressivement à mesure que l'entretien se déroule. Comme les autres mineurs, il a certes conscience durant son activité des risques du métier de mineur, mais préfère les mettre à distance, évitant d'y penser. Il connaît peu ou prou les termes médicaux ("pneumoconiose") et sait que la silicose est une maladie professionnelle reconnue ("découverte après la guerre", dit-il). La retraite longtemps attendue est vite marquée par une fatigue généralisée, une perte de la force physique puis une difficulté croissante à respirer correctement. La révélation de la maladie est brutale et lui fait l'effet d'un "arrêt de mort" et le fait qu'elle n'ait été reconnue qu'après l'arrêt de son activité professionnelle n'est pas sans conséquence pour sa situation quotidienne : pour lui les choses sont claires ("ma silicose je l'ai eue au fond, je ne crois pas que c'est six mois après ma retraite que j'ai attrapé la silicose"), mais la responsabilité de la compagnie puis des Houillères qui l'employaient n'est pas engagée de la même façon et sa pension d'invalidité se trouve largement amputée, alors même que les frais liés à la maladie augmentent avec son aggravation.

Le plan fixe adopté par le reportage, de neutre qu'il semble à l'origine, se fait révélateur : Léon Turpin se trouve dans l'incapacité physique de se déplacer et le voilà bientôt contraint de "garder la chambre" ; il a le souffle court et passe le plus clair de sa journée dans son fauteuil, imposant à son épouse de le seconder à chaque instant, du matin (il est incapable de se raser seul) au coucher (il doit dormir la fenêtre ouverte sous peine d'étouffer) ; ses loisirs sont des plus limités et la musique même lui pèse (l'accordéon, devenu trop lourd, est remplacé par le piano électrique qui permet de conserver les bras vers le bas). Les stigmates de la maladie ne sont pas seulement physiques : sa vigueur lui échappe, son moral est en baisse parfois, son caractère change et pèse sur l'ambiance familiale en dépit du soutien permanent de ses proches. Le traitement de la maladie relève avant tout de l'accompagnement : dès lors que la transplantation pulmonaire est rare, il ne reste que la kinésithérapie, associée aux corticoïdes et autres bronchodilatateurs pour rendre le quotidien plus "confortable".

Le calvaire de Léon Turpin est loin d'être un cas isolé, même si le nombre de malades et même de tués demeurent plus qu'incertains : les estimations fixent à un minimum de 34 000 le nombre de morts pour la période 1946-1987. Mais ne sont pas comptabilisés dans ce total tous ceux dont le taux d'invalidité n'a pas atteint 50% et n'ont donc pas fait reconnaître leur état, qui ont changé de profession ou sont repartis dans leur pays d'origine (Pologne, Italie, Maroc). Le Nord - Pas-de-Calais paie un très lourd tribut à cette "épidémie" puisque sur les 6 679 cas reconnus de silicose entre 1977 et 1991, la région en compte 2 270, soit 34%, loin devant la région lyonnaise avec 736 cas. Et alors même que les mines ont fermé, la maladie poursuit ses ravages : dans les années 1990, on recense encore près de 300 nouveaux cas par an.

Matthieu de Oliveira

Transcription

Léon Trupin
Quand j’ai commencé, en 1939, la silicose n’était pas encore reconnue. Quand on voyait mourir un mineur, on disait qu’il était mort asthmatique. Ce n’est qu’après la guerre qu’on a découvert la silicose et même la pneumoconiose, la poussière de charbon ; elle n’était même pas reconnue, c’est maintenant que c’est reconnu. Et bien sûr, tant qu’on ne l’a pas, quand on va aller au fond, on se croit toujours supérieur à un autre. On dit que un autre, il l’a eue, mais peut-être il a peut être fait des bêtises qu’il fallait pas faire. Alors, on a essayé toujours de se faire une excuse et de trouver une excuse.
Maurice Terron
Vivant au fond, enfin travaillant au fond dans la poussière, ça ne vous arrivait jamais comme ça ; paf, de penser tout d’un coup, mon Dieu, je suis en train de choper ou de risquer la silicose ?
Léon Trupin
Ah si, j’y ai déjà pensé aussi. Combien de fois que j’ai dit, si ça m’arrivera un jour. Et comme j’entendais des camarades, ils disaient qu’ils avaient vu mourir leur père silicosé dans des souffrances atroces. Ça nous donnait un peu peur quand même quand on y pensait. Mais on y pensait deux ou trois minutes après c’était tout, il fallait faire le travail quand même.
Maurice Terron
Vous avez été en retraite en 75 et vous avez été reconnu en 76. Alors, sur le plan des pourcentages des trucs comme ça, la pension, comment ça marche ?
Léon Trupin
Bon, tous les silicosés qui ont été reconnus après leur retraite, ça se passe ainsi. On nous donne une rente de silicose basée sur un salaire minimum. C’est-à-dire, on prend les 12 mois en arrière si on veut, c’est les 12 mois de retraite. Mais si dans les 12 mois de retraite, que ça dépasse le salaire minimum, la pension elle est même réduite au salaire minimum. Oui, ça fait que on s'trouve avec une rente inférieure à 40 % à peu près à celui qui a été reconnu en activité.
Maurice Terron
Pourtant, votre silicose, vous l’avez chopé au fond et pas dans vos pantoufles.
Léon Trupin
Je l’ai eue au fond et je ne crois pas que c’est que… C’est six mois après ma retraite, que sur ces six mois là que j’ai attrapé la silicose.
Maurice Terron
Et ça n’est qu’en 1976 que vous avez été reconnu ?
Léon Trupin
A 10 %, oui, et à 100 % au mois d’août 1977, un an après.
Maurice Terron
Alors, de dix vous avez sauté à cent ?
Léon Trupin
A cent.
Maurice Terron
Pof, ça vous a fait quoi à ce moment-là ?
Léon Trupin
Ben écoutez, c’est comme si comme on vous annonce que c’est bientôt votre décès. Il ne faut pas dire que tous les mineurs, ils savent au moment quand on vous dit que vous avez 100 %, comme on a vu mourir nos camarades ; on sait très bien que pour nous, ça représente un peu la mort quoi. Alors quand j’étais bien souvent à la chambre, à tous les derniers coups j'avais la larme à l’œil. Mais on ne peut pas toujours pleurer devant sa femme et ses enfants, il faut se cacher. Comme j’ai déjà dit, les oiseaux ils se cachent pour mourir, il nous faut trouver un…. Alors après, j’ai pris le taureau par les cornes j'ai dit bon ben faut avoir du moral. Autrement, je vais aller sur la dépression. Et c’est là que….
Maurice Terron
Le fait est que vous avez un moral du tonnerre, hein.
Léon Trupin
Il est parti...
Maurice Terron
Quelles que soient les épreuves que vous subissez de temps en temps.
Léon Trupin
Et ce qui est réconfortant pour un silicosé, ce qu’il faut, c’est une ambiance familiale très bonne. Et je suis aimé par mes enfants, ma femme, et tout ça. Et ils ne savent pas quoi faire pour moi, alors ils vivent dans une bonne ambiance. Ce qui est le principal pour un silicosé. Après deuxièmement, il y a kynésithérapie aussi qu ' il ne faut pas oublier. Et ça aide beaucoup. Je serais peut-être déjà mort depuis deux ans, vous savez, si ma femme elle ne m’avait pas tant aidé à respirer J'avais quatre cinq sacs au bout dans la nuit. Et d’ailleurs, je me demande comment elle fait pour dormir ; parce que quand elle sent que mes poumons, ils commencent à accélérer, tout de suite elle se réveille. Je me demande comment qu'elle fait. Parce que ce n’est pas toujours facile à vivre non plus pour une femme de silicosé non plus. Notre caractère, premièrement, il change. Et puis elle a tous les travaux, du ménage à faire, il faut qu’elle me rase, qu’elle me lave comme un gosse. Tout ce que je faisais avant dans ma maison, c’est elle qu'il faut qu'elle fasse, même le jardin.
Maurice Terron
Vos journées, qu’est-ce que vous faites dans vos journées, disons quand ça va à peu près bien, bien sûr ?
Léon Trupin
Bon, on peut pas dire que je fais l’amour, je peux plus. Dis la vérité, bref, je ne fais plus rien du tout. Et je reste assis.
Maurice Terron
Est-ce que vous faites un peu de musique de temps en temps ?
Léon Trupin
Comment ?
Maurice Terron
Est-ce que vous faites de la musique de temps en temps ?
Léon Trupin
Ah, oui, c’est-à-dire, je jouais de l’accordéon, mais c’est devenu trop dur, je ne peux plus. Rien que le poids de l’accordéon, ça pèse. Alors, ma femme elle m’a payé un orgue. Alors, comme je ne peux plus mettre mes mains en l’air ; du fait que je ne peux plus me raser, ni me laver, avec l’orgue, je mets les mains en avant et je peux jouer un petit morceau quand même ; pas trop longtemps, bien entendu, parce que quand on baisse ses bras pendant trop longtemps c'est pas dit...