Dossier sur la silicose
Notice
La silicose tue encore et les anciens mineurs comme Claude Beauchamp doivent supporter des traitements très lourds. La clientèle de Denis Voisin, médecin généraliste est encore constituée pour un quart de mineurs touchés. Progressive et irréversible, la silicose s'évalue grâce aux radiographies des poumons ou aux tests respiratoires. C'est à partir de là qu'on définit le taux de la maladie, souvent contesté par les malades, et qui sert de barème d'indemnisation pour les mineurs ou leurs épouses. C'est la Sécurité sociale minière qui gère ces dossiers comme l'explique le docteur Jean Poiret de l'Union régionale des sociétés de secours minières.
Éclairage
Les effets de la silicose ne cessent pas avec la fin de l'exploitation minière. Le traitement social et institutionnel de la maladie s'exerce cependant à partir des années 1980 dans un cadre sensiblement différent de celui qui prévalait auparavant (1). L'effacement progressif des Houillères met fin pour commencer à un type de gestion exceptionnel et très contesté. Sans doute la silicose est-elle reconnue comme maladie professionnelle par l'ordonnance du 2 août 1945. Mais, dès 1948 (décrets Lacoste) la gestion du risque maladie du travail/accident professionnel (et donc celle de la reconnaissance des taux d'invalidité dus à la silicose) est en grande partie dévolue aux Houillères et à leurs représentants. Il faut attendre le décret du 27 mars 1987 pour que la reconnaissance et la mesure de la silicose soient confiées à la Sécurité sociale minière, via les Union régionales des sociétés de secours minières (URSSM) et leurs médecins affiliés. La gestion de la maladie se fait plus ouverte ; elle est marquée en même temps par une nouvelle pluralité (rôle croissant de la médecine privée). Pourtant la mesure de la gravité et de l'évolution de la silicose demeure une affaire complexe et les discordances perdurent entre les taux d'invalidité (et les barèmes d'indemnisations afférents) mesurés par l'institution et ceux qui sont ressentis et revendiqués par les individus.
Ces discordances, et les négociations ou les conflits qui en découlent, jouent toutefois dans un contexte radicalement modifié. Après la fermeture, les trajectoires des silicosés sont d'abord celles des retraités. La silicose n'est plus un paramètre dans la gestion économique d'une main d'œuvre active ; elle devient un élément dans la gestion sociale d'une population sortie de l'emploi (les anciens mineurs et leurs ayant-droits, les femmes en particulier) et devenue dépendante des prestations collectives. Dans ces circonstances, les débats liés à la maladie se transforment. Les questions ne tiennent plus guère à l'évolution des carrières ou à la dénonciation de l'arbitraire de l'institution minière. Elles portent sur la reconnaissance a posteriori de la maladie, notamment pour des populations "oubliées", tels que les mineurs marocains. Elles relèvent aussi de problèmes plus généraux touchant au déséquilibre croissant du régime minier et à la dépendance d'une population fragilisée à l'égard des prestations sociales (ainsi le stéréotype de la veuve de mineur aidant enfants et petits-enfants grâce aux indemnités qu'elle perçoit pour la silicose de son défunt mari).
Au-delà de cela, et même si son souvenir commence à s'estomper dans les mémoires, la silicose, qui fut sans doute la plus grande maladie du travail dans la France du XXe siècle, conserve un statut symbolique particulier. Incarnation du martyr du mineur et des dommages causés par le travail du fond, elle demeure la maladie professionnelle par excellence, seule l'amiante soutenant avec elle la comparaison en matière de mortalité et de coût pour la collectivité. Par maints aspects d'ailleurs, le traitement institutionnel et social de la silicose a constitué la matrice de celui qui a été ensuite appliqué à l'amiante. Pour l'année 2004 on comptait encore 480 reconnaissances de silicose, et presque autant de décès imputables.
(1) Paul-André Rosental, Jean-Claude Devinck, "Statistique et mort industrielle. La fabrication du nombre de victimes de la silicose dans les Houillères en France de 1946 à nos jours", Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n°95, 2007, p. 75-91.