A Saint-Brieuc, grève à l'usine du Joint Français

06 avril 1972
04m 07s
Réf. 00553

Notice

Résumé :

Le Bureau départemental des Côtes-du-Nord vient d'être évacué par les forces de l'ordre. Les grévistes du Joint Français y retenaient depuis 24 heures trois représentants de la direction de l'entreprise. M. Mondrey (CFDT), M. Argenton (Bureau de la main d'oeuvre) et M. Fourt (direction) expriment leur point de vue sur le conflit.

Type de média :
Date de diffusion :
06 avril 1972

Éclairage

Usine performante de pièces en caoutchouc, le Joint Français s'est installé à Saint-Brieuc en 1962. Elle a donc fait partie du plan d'industrialisation de la Bretagne voulu par le CELIB et soutenu par l'Etat. Après une dizaine d'années de fonctionnement, l'entreprise est entrée dans la mémoire bretonne par la grève de 1972.

Pendant deux mois, au printemps 1972, la grève du Joint Français à Saint-Brieuc mobilise toute une région qui se bat pour sa dignité, développant des solidarités ouvrières et paysannes ébauchées en mai 1968. Un conflit salarial classique se heurte au mépris et au refus de négocier d'une direction parisienne qui sont clairement exprimés par le responsable syndical interwievé. Des oppositions bien tranchées, et fortement vécues, expriment les enjeux de la grève : des ouvriers peu formés face à de puissants décideurs, les salaires dérisoires face à des bénéfices alimentés par de généreuses primes d'aménagement du territoire, les Bretons exploités face à des capitalistes parisiens et lointains et, apportant une dimension plus grave, la dignité et la solidarité des gens simples qui s'opposent à la recherche aveugle du profit maximum. Le peu d'empressement à négocier du patronat et le recours aux forces policières consolident le clivage.

Ainsi, le 18 avril 1972, 15 000 manifestants défilent à Saint-Brieuc en chantant : "on ne travaille pas un fusil dans le dos", allusion à l'occupation de l'usine par les CRS, et à "la colère bretonne" de Gilles Servat. La grève du Joint Français bénéficie du soutien de l'opinion mais, pour inscrire la grève dans la durée, l'argent est indispensable. Outre les sommes versées par divers organismes ou par des particuliers, des concerts de soutien permettent de récolter des fonds. Glenmor, Servat, Kirjuhel, Kerguiduff et bien d'autres artistes chantent alors au profit des grévistes du Joint Français.

La victoire du Joint Français devient emblématique des nouvelles formes de lutte des années 1970 mais aussi des combats d'une région pour son identité, sa culture et sa langue. C'est une nouvelle manière d'appréhender le politique dans une Bretagne qui bouge et refuse le conservatisme de ses élites traditionnelles qui paraissent dépassées. Toute une génération de responsables politiques, syndicaux, et associatifs, se forme et s'engage dans ces années 1960-1970. La grève du Joint Français s'inscrit donc dans le prolongement de mai 1968 et reste l'une des grandes grèves à avoir marqué la Bretagne des années soixante-dix.

En savoir plus : voir L'usine du Joint français à Saint Brieuc et Fin de la grève au Joint Français à Saint Brieuc.

Martine Cocaud

Transcription

(Musique)
Yves Mourousi
Venons-en rapidement au chapitre social, pour vous dire qu'à Saint Brieuc les deux directeurs et le chef du personnel du Joint Français ont passé une nuit blanche en compagnie des grévistes qui les ont retenus hier soir dans les locaux de la direction départementale du travail. Mais Gilbert Bousquier, vous qui êtes à Rennes, il semble qu'en fin de matinée, il y ait eu du nouveau ?
Gilbert Bousquier
Oui effectivement, il y a environ une demie heure, trois quarts d'heure, à peu près, les forces de l'ordre ont fait évacuer les locaux du bureau départemental de la main d'oeuvre des Côtes du Nord, qui était occupé, on le sait, par les grévistes du Joint Français. Les trois représentants de la direction du Joint Français, qui étaient séquestrés, ont été évacués par ces forces de l'ordre, mais on ne connaît pas encore leur destination. Donc la situation reste tendue à Saint Brieuc. On sait que les négociations entre la direction et les grévistes n'ont pas abouti hier, et les trois représentants de la direction ont été, je vous l'ai dit, séquestrés au bureau départemental de la main d'oeuvre. La matinée n'a pas amélioré la situation. Nous allons donc tenter de faire le point sur ce conflit, avec d'abord M. Mandray, secrétaire fédéral CFDT. Nous entendrons ensuite le directeur du bureau de la main d'oeuvre, et enfin M. Four, le directeur du Joint Français, qui était séquestré. D'abord M. Mandray, de la CFDT.
Noël Mandray
Hier soir, nous avons essayé de négocier avec les représentants de la direction, qui se disent mandatés. Malheureusement, les propositions qu'ils nous ont faites se situent à 0,5% au-dessus des propositions faites avant le début de la grève, ce qui est nettement insuffisant par rapport aux revendications, les revendications étant de 0,70 centimes, dont une partie justifiée par un ratio horaire. D'augmentation horaire. Dont une partie justifiée par un décalage entre l'usine de Saint Brieuc et l'usine de Bezons, sans parler des décalages qui existent entre l'usine du Joint Français Saint Brieuc, et les usines, également de Saint Brieuc, mais aux alentours, les usines de métallurgie ou autres.
Gilbert Bousquier
On peut donc parler de dialogue de sourds, un dialogue de sourds qui a motivé la séquestration des patrons du Joint Français. M. Mandray.
Noël Mandray
Lorsqu'ils disent qu'ils sont séquestrés, en fait c'est absolument faux. Je crois, ce qui intéresse les grévistes, c'est que pendant trois semaines, quatre semaines bientôt que dure le conflit, ils ont eu des difficultés à rencontrer un interlocuteur, un interlocuteur valable. Celui qu'ils ont en face d'eux se dit mandaté et ayant les pleins pouvoirs. Et bien, ils le gardent à vue.
Gilbert Bousquier
M. Argentan, directeur départemental de la main d'oeuvre et du travail, vous avez un peu joué les conciliateurs, les messieurs bons offices au cours de ce conflit qui tarde à trouver une solution. Est-ce que vous pensez que ce conflit, quand même, peut trouver une solution prochainement ?
Monsieur Argentan
Vous me posez une question très difficile. Depuis 24 heures qu'on tente de négocier, la réponse appartenait à la direction, qui à mon sens, n'a pas fait de propositions véritablement valables et réalistes. Je pense que si elle avait accepté 50 anciens francs, la grève était terminée sur-le-champ, un accord signé sur l'heure, les locaux évacués, la reprise du travail faite dans les meilleures conditions possibles.
Gilbert Bousquier
M. Four, voilà donc pratiquement maintenant 24 heures que vous êtes ici, et vous m'avez dit tout à l'heure que vous étiez séquestré. Les syndicats disent que vous n'êtes absolument pas séquestré. Quelle est la situation ?
Monsieur Four
Alors je vous dit très nettement, nous avons été séquestrés, nous n'avons pas pu dormir une seule minute de la nuit, même pas nous assoupir, nous n'avons eu rien à manger de toute la nuit jusque... il est onze heures et demie aujourd'hui, donc depuis hier à deux heures et demie, début de notre rencontre ici jusqu'à maintenant, je n'ai rien mangé. J'ai eu une tasse de café, c'est tout. Quant au problème de la séquestration, M. Le Faucheur ce matin, a essayé de présenter le petit jeu, de dire qu'il n'était pour rien dans la séquestration, que c'était simplement, je ne sais plus ce qu'il a dit... J'ai dit : "Très bien, nous ne sommes pas séquestrés, M. Le Faucheur. Donc je peux sortir ?" Et il m'a dit "Ah non !".
Gilbert Bousquier
Est-ce que vous comptez faire de nouvelles propositions aux grévistes du Joint Français ?
Monsieur Four
Non, nous n'envisageons pas de leur faire de nouvelles propositions actuellement.
Gilbert Bousquier
Voilà, Yves Mourousi, la situation actuellement à Saint Brieuc. Ce que l'on peut dire et ajouter, donc, c'est qu'il y a environ une demie heure, les forces de l'ordre ont fait évacuer les locaux du bureau départemental de la main d'oeuvre, et que les trois représentants de la direction du Joint Français ont été évacués, mais pour une destination qui nous est encore inconnue.