L'usine du Joint français à Saint Brieuc

08 décembre 1966
08m 28s
Réf. 00037

Notice

Résumé :

Le Joint français s'agrandit et s'implante à Saint Brieuc. Malgré quelques inconvénients, ce site offre de nombreux avantages, notamment la main d'œuvre et le cadre de vie. Visite de l'usine et présentation des techniques de fabrication des joints.

Date de diffusion :
08 décembre 1966
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

Au début des années cinquante, la Bretagne perdait ses hommes, avait le revenu le plus faible par habitant, (environ 30 % de moins que la moyenne française) et la dépense la plus faible par habitant (moitié moins que la moyenne française). La productivité moyenne par habitant y était la plus faible de France.

L'implantation de l'usine du Joint français à Saint-Brieuc, en 1962, s'inscrit dans la phase de forte expansion industrielle enregistrée en Bretagne au début des années soixante. Cette usine est l'une des premières à franchir "le mur des 400 kilomètres" (400 km de Paris), qui semblait constituer un obstacle insurmontable pour les industriels parisiens en mal de décentralisation. L'implantation d'usines décentralisées a joué un rôle essentiel dans le processus d'industrialisation de la région. Pendant la période faste 1960-1965, les deux tiers des 4000 créations annuelles d'emplois (en moyenne), en Bretagne, étaient d'origine extérieure.

Sous l'impulsion du CELIB (Comité d'Etudes et de Liaison des Intérêts Bretons), organe de réflexion, d'action et de contestation, l'Etat prend conscience de la nécessité de définir une politique d'aménagement du territoire dont la décentralisation industrielle constitue un élément important. Depuis 1955 et le décret Mendès France, les industries parisiennes en expansion étaient obligées d'implanter leurs nouvelles unités de production en province. Ce décret est à l'origine de nombreuses décentralisations en Bretagne.

Pour en savoir plus :

Comme l'avait fait Citroën, installée à Rennes en 1961, le Joint français, ne pouvant développer ses installations de Bezons (région parisienne), devait trouver un point de chute en province. Diverses mesures favorisent également le mouvement de décentralisation, dont la prime à l'emploi et à l'équipement. La Bretagne a su tirer profit au maximum de ces dispositions, bénéficiant très largement de ces primes jusqu'en 1964. En cette même année le régime des aides a été modifié et les zones bénéficiaires des primes ont été étendues, assurant un choix géographique beaucoup plus important aux entreprises.

Le Joint français, quant à lui, bénéficie de six à sept millions de francs de prime, d'une subvention de trois millions de francs offerte par l'Etat et de diverses aides versées par les collectivités locales. L'entreprise produit des joints de caoutchouc et s'affirme progressivement, en répondant aux besoins d'un marché sans cesse élargi et à l'adoption de nouvelles techniques. Offrant plus de 1 000 emplois à la région de Saint-Brieuc (en deçà d'ailleurs des prévisions antérieurement annoncées), l'entreprise s'étale sur plus de 14 hectares, lui laissant de très larges possibilités d'extension. Mais au tournant des années 1960-1970, des conflits éclatent entre le patronat et les travailleurs décidés à maintenir, sinon à améliorer leur pouvoir d'achat, compte tenu du dérapage des prix. Débrayages, meetings et occupations de l'usine se multiplient pour atteindre leur paroxysme de mars à mai 1972. Ce conflit s'inscrit dans le prolongement des luttes engagées en mai 1968 et est déclenché par une menace de fermeture, à l'initiative de non-syndiqués ou des éléments les plus turbulents de la CFDT, voire de FO dans sa composante trotskiste. Aux revendications salariales et aux conditions de travail s'ajoutent celles de travailler et vivre au pays. Cette année constitue la période des hautes eaux des conflits sociaux, avant le retour au calme du début des années 1980.

Bibliographie :

- Michel Phlipponneau, Debout Bretagne!, Saint-Brieuc, Presses universitaires de Bretagne, 1970.

- Michel Phlipponneau, Au Joint français, : les ouvriers bretons, Saint-Brieuc, Presses universitaires de Bretagne, 1972.

- Jacqueline Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, Rennes, éd. Ouest-France, coll. "Université", 1989.

François Lambert

Transcription

(Musique)
Louis Marie Cohic
Si d'un seul coup, disparaissaient les joints, la vie deviendrait impossible. Il nous faudrait les réinventer car sans eux, pas de transport possible des fluides.
(Musique)
Louis Marie Cohic
Qu'il s'agisse du simple robinet d'eau, du détendeur de la bouteille de gaz, des circuits de votre auto, de ceux de la grosse locomotive, de l'avion à réaction ou de la fusée spatiale, partout la présence du joint est indispensable mais évidemment sous des formes, des dimensions et des qualités bien différentes.
Salarié (1)
Oui, alors en ce qui concerne le joint français, nous fabriquons environ 75 000 types de joints et ceci dans 350 qualités différentes.
Louis Marie Cohic
Donc des modèles qui vont des plus gros aux plus petits.
Salarié (1)
Des plus gros aux plus petits. Les plus gros font environ 15 tonnes et les plus petits, nous arrivons à en fabriquer de l'ordre de 200 000 pièces au kilo.
Louis Marie Cohic
Vous en fabriquez beaucoup ?
Salarié (1)
Nous en fabriquons dans une moyenne de 1 million et demi par jour.
Louis Marie Cohic
Cette grande société française s'est spécialisée depuis plus d'un demi-siècle dans l'étude et la réalisation des joints et des garnitures d'étanchéité. Or ses usines de Bezon près de Paris étant devenues trop étroites malgrè ces 60 000 mètres carré et ses 2000 employés, la société envisagea en 1961 un nouveau programme d'expension qui devait lui permettre de répondre grâce à l'évolution continue de ses techniques, aux vastes débouchés du marché européen. La Bretagne était bien attirante, du moins aux yeux du Président Directeur Général, Eugène Delalande, Breton passionné des côtes du Nord, qui en dépit des multiples inconvénients rencontrés sur sa route, choisi Saint-Brieuc et fit même de sa décentralisation, une véritable question d'honneur.
Eugène Delalande
Nous avons fait en somme un bilan des avantages et des inconvénients. On peut dire que dans l'ensemble actuellement, en somme, les avantages et inconvénients s'équilibrent. Mais cela ne veut pas dire que nous n'aurions pas pu trouver ailleurs un emplacement mieux choisi en réalité au point de vue financier.
Louis Marie Cohic
Oui, les inconvénients étaient loin d'être mineurs. Par exemple, l'éloignement de Paris et du centre de gravité des ventes de la société située à 100 kilomètres à l'est de Paris. Coût du transport des matières premières et des produits manufacturés, près de 25 francs au kilo. Coût de l'énergie, de l'eau industrielle, problème de logement du personnel, problème des liaisons téléphoniques mais la Bretagne sut se montrer accueillante et grâce à l'opiniâtreté des uns et des autres, à la bonne volonté de Saint-Brieuc et à l'appui des pouvoirs publics, le projet devenait réalité. Et la belle usine neuve développait bientôt ses perspectives sur les 15 hectares situés au bord de la Nationale 12, à l'entrée de la ville. Perspective de granit inspirée de la construction bretonne. La première tranche réalisée permet aujourd'hui l'emploi de 525 ouvriers et ouvrières, un chiffre en avance de 30% sur les prévisions. Ce personnel a été dans une très large majorité recruté et formé sur place. Il travaille dans un cadre ultra moderne auquel la coquetterie des pelouses et des fleurs rajoute une note insolite. Oui, insolite, dans ce genre de fabrication réputée sale, par nature, puisqu'elle est le véritable domaine de la poussière, du caoutchouc et du charbon.
(Musique)
Eugène Delalande
Oui, j'attache une très grande importance parce que j'estime que le personnel, n'est-ce pas, se trouve beaucoup mieux au milieu de fleurs, au milieu d'images agréables à voir, au milieu de jardin, que de se trouver simplement au milieu de machines. Il s'agit d'une question psychologique et j'estime pour moi, c'est extrêmement important.
Louis Marie Cohic
Le personnel féminin est important, sa tâche est délicate, celle du contrôle des milliers de joints, gros ou microscopiques, dont les défauts ne seraient être décelés par les machines pourtant perfectionnées. Mais au fait, comment se déroule la fabrication ?
(Silence)
Salarié (2)
Bon finalement dans les grandes lignes, c'est très simple, sans aborder de détails, on part du matériau qui permet de résoudre tous nos problèmes d'étanchéité, c'est le caoutchouc. Ce caoutchouc, on le reçoit à l'état brut et il faut bien sûr dès le début le mélanger, le mélanger avec différents produits qui nous permettrons d'orienter ses caractéristiques physiques et mécaniques. Une fois qu'on aura cette opération de faite, c'est-à-dire, le matériau de base amélioré, il nous restera la mise en oeuvre.
Louis Marie Cohic
La plupart des joints fabriqués le sont par le moulage au cours duquel va s'opérer la transformation de la matière. De plastique, le caoutchouc va devenir élastique par le procédé de la vulcanisation et cette dernière requiert 3 paramètres, le chauffage, la pression et le temps. L'élasticité définitive étant de son côté fonction du mélange initial. Les presses très puissantes sont parcourues de circuits d'eau chaude et de vapeur, les durées des opérations sont déterminées par des programmeurs électroniques. Quant au moule, il en existe autant de séries que de types de joints et il en est chaque jour façonné de nouveaux dans les bureaux d'étude alors que dans le même temps, les modèles de joints sont soigneusement soumis aux vérifications de laboratoire.
(Silence)
Louis Marie Cohic
Quant au personnel lui-même, est-il satisfait de l'implantation de la nouvelle usine ? Tout simplement, est-il comme l'on dit quelque fois, content de son sort ? Madame, en quoi consiste le travail que vous effectuez là, on dirait que vous enfilez des perles ?
Salariée (1)
Non, c'est un peu plus difficile quand même, faut faire attention aux rebus, c'est ça. Qui est pas de peaux collées et puis de petits trous, enfin un peu de tout quoi.
Louis Marie Cohic
C'est un travail délicat.
Salariée (1)
Oh, oui, très même.
Louis Marie Cohic
Y a longtemps que vous travaillez aux joints français ?
Salariée (1)
Ça un an à peu près.
Louis Marie Cohic
Est-ce que vous êtes suffisamment payé ?
Salariée (2)
Oui, pas mal.
Louis Marie Cohic
Oui.
Salariée (2)
Pour moi, j'ai pas à me plaindre.
Louis Marie Cohic
Oui.
Salariée (1)
Et puis ici on est à la pièce, enfin, un genre de pièce, quoi, suivant le travail qu'on fait quand même, on est récompensé.
Louis Marie Cohic
Alors au fond pour vous Monsieur la décentralisation, c'est le retour au pays.
Salarié (3)
Absolument, oui, oui, tout à fait d'accord. Je suis originaire de la région et j'ai vécu un certain temps à Paris, ma femme est elle-même originaire de la région et je n'ai aucun lieu de le regretter. J'ai réussi à trouver une situation intéressante aux joints français et à tous les points de vue, je suis content d'y être.
Louis Marie Cohic
Oui, parce que il y a beaucoup de gens qui vont de la province vers Paris, on dit même «Monter à Paris», vous, vous avez fait le mouvement inverse et vous n'avez pas lieu de le regretter.
Salarié (3)
Absolument pas parce que, je crois que ça devient démentiel à Paris. 15 millions d'habitants en 1980, je vois mal ça finir.
Salarié (1)
Il y a que l'opération de décentralisation du joint français qui m'a permis de retrouver et ma région d'origine et dans ma spécialité. Ce qui est une chose quand même assez rare.
Louis Marie Cohic
Est-ce que on peut dire que l'expérience est concluante ?
Eugène Delalande
Oui, l'expérience est concluante et nous ne regrettons pas du tout de nous être installés en Bretagne.
Louis Marie Cohic
Vous pensez donc que c'est possible de se décentraliser en Bretagne ?
Eugène Delalande
Nous pensons qu'il est possible de se décentraliser en Bretagne, nous pensons que progressivement... la décentralisation s'amplifiera mais c'est une question de temps.
Louis Marie Cohic
Est-ce que ce n'est pas une question également de la volonté de tout un chacun et des Bretons en particulier ?
Eugène Delalande
Très certainement, c'est... la volonté des Bretons est extrêmement importante étant donné que l'impression que nous avons, n'est-ce pas, c'est qu'il faut d'abord que les Bretons s'aident eux-même s'ils désirent qu'on les aide. Il ne faut pas oublier, n'est-ce pas, que dans les années qui viennent, qu'ils seront un peu plus durs au point de vue industriel. Il est nécessaire que chacun pense que c'est sa productivité qu'il fera, qu'ils pourront vendre ou ne pas vendre à l'extérieur.