Fin de la grève au Joint Français à Saint Brieuc

08 mai 1972
02m 01s
Réf. 00054

Notice

Résumé :

Après 8 semaines de grève, le conflit au Joint Français aboutit à un accord signé par la majorité des ouvriers qui réclamaient une réévaluation des salaires. Ce mouvement est caractérisé par l'élan de solidarité de la population envers les grévistes.

Date de diffusion :
08 mai 1972
Source :
ORTF (Collection: JT 20H )

Éclairage

Cette usine performante de pièces en caoutchouc installée à Saint-Brieuc en 1962, doit sa célébrité à la grève de 1972. Pendant deux mois, au printemps 1972, la grève du Joint Français à Saint-Brieuc mobilise toute une région qui se bat pour sa dignité, développant des solidarités ouvrières et paysannes ébauchées en mai 1968.

Un conflit salarial classique se heurte au mépris et au refus de négocier d'une direction parisienne. Des oppositions bien tranchées, et fortement vécues, expriment les enjeux de la grève : des ouvriers peu formés face à de puissants décideurs, les salaires dérisoires face à des bénéfices alimentés par de généreuses primes d'aménagement du territoire, les Bretons exploités face à des capitalistes parisiens et lointains et, apportant une dimension plus grave, la dignité et la solidarité de gens simples qui s'opposent à la recherche aveugle du profit maximum. Le peu d'empressement à négocier du patronat et le recours aux forces policières consolident le clivage.

Ainsi, le 18 avril 1972, 15 000 manifestants défilent à Saint-Brieuc en chantant, à la suite de Gilles Servat dans "la colère bretonne" : "on ne travaille pas un fusil dans le dos". Allusion à l'occupation de l'usine par les CRS. La grève du Joint Français bénéficie du soutien de l'opinion, mais pour inscrire la grève dans la durée, l'argent est indispensable. Outre les sommes versées par divers organismes ou par des particuliers, des concerts de soutien permettent de récolter des fonds. Glenmor, Servat, Kirjuhel, Kerguiduff et bien d'autres artistes chantent alors au profit des grévistes du Joint Français.

La victoire du Joint Français devient emblématique des nouvelles formes de lutte des années 1970 mais aussi des combats d'une région pour son identité, sa culture et sa langue. C'est une nouvelle manière d'appréhender la politique dans une Bretagne qui bouge, et refuse le conservatisme de ses élites traditionnelles qui paraissent dépassées. Toute une génération de responsables politiques, syndicaux, et associatifs, se forme et s'engage dans ces années 1960-1970. La grève du Joint Français s'inscrit dans le prolongement de mai 1968 et reste l'une des grandes grèves à avoir marqué la Bretagne des années soixante-dix.

Bibliographie :

- Michel Phlipponneau, Au Joint français : les ouvriers bretons, Saint-Brieuc, Presses universitaires de Bretagne,1972.

Maud Moulin

Transcription

(Silence)
Jacques Hébert
Il aura fallu 8 semaines de grève, une dizaine d'entretiens avec le Préfet des Côtes du Nord, 3 négociations avec la Direction, des heures et des heures de discussion pour aboutir enfin à l'accord de samedi dernier, accord qui a donc été ratifié aujourd'hui par la majorité des ouvriers du joint français. Ces derniers, je vous le rappelle, demandaient une augmentation des salaires de 70 centimes par heure de travail et un treizième mois. Ils ont obtenu 65 centimes d'augmentation en deux étapes et une prime fixe de fin d'année de 325 francs. Ces chiffres ne sont pas à première vue très élevés et pourtant c'est déjà beaucoup pour un OS du joint, un Ouvrier Spécialisé, qui gagne en moyenne entre 800 et 1000 francs par mois dans cette usine qui s'est installée à Saint-Brieuc il y a 10 ans et qui emploie 1000 personnes dont 60% de femmes. En dehors de sa longueur, ce conflit aura été principalement marqué par un élan sans précédent de solidarité régionale et nationale. De toute part, affluaient vivres, argent et télégrammes de soutien et c'est au centre Charnaire, au PC en quelque sorte des grévistes que tout cela était regroupé. Pendant 2 mois, les paysans et les commerçants de la région ont apporté viande, légumes et fruits. Pendant 2 mois, chaque dimanche, on quêtait à la sortie des églises pour les familles des ouvriers, pendant 2 mois et à tour de rôle, les municipalités de la région votaient des crédits exceptionnels. Pendant 2 mois enfin, galas de variété, représentations théâtrales et matches sportifs venaient gonfler la caisse des grévistes. A l'heure qu'il est près d'un million de nouveaux francs ont été récoltés et redistribués aux familles des ouvriers. Et à cet élan de générosité avaient également participé, partis de la majorité et partis de l'opposition. Un très long conflit donc s'est terminé aujourd'hui, un conflit qui a posé une nouvelle fois le problème de la décentralisation parisienne, une décentralisation pas toujours aussi simple qu'on veut bien le dire et qui ne va pas sans poser de problèmes notamment en ce qui concerne la main-d'oeuvre et les salaires.