La métropolisation

La métropolisation

Par Cyrille Litterst et Lara Mercier, Professeur d'histoire-géographie et journalistePublication : 08 déc. 2020


Présentation

Qu'est-ce que la métropolisation ? Comment se manifeste-t-elle dans la région Grand Est ?





     

Introduction

En 1950, seul un habitant de la planète sur trois vivait en ville. Depuis 2007, le taux d’urbanisation de la population mondiale a franchi le cap des 50%. D’après les Nations unies, il approchera, en 2030, les 60%.

Cette urbanisation galopante s’accompagne d’une dynamique de métropolisation, concentrant les populations, les activités et les fonctions de commandement dans les grandes villes.

Si ces agglomérations partagent certaines caractéristiques, elles ne participent pas de la même façon au rayonnement de leur territoire. Ces différences d'attractivité et d’influence entraînent une transformation et une hiérarchisation des espaces à différentes échelles.

# Le statut des métropoles françaises

En France, le statut de métropole est une désignation institutionnelle. Créé par la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010 et précisée par la loi de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles de 2014, il renforce les compétences de 22 intercommunalités, devenues des établissements publics stratèges en charge de la politique de la ville, de la gestion des ressources énergétiques ou de la protection de l’environnement par exemple.

L’Etat signe avec ces métropoles des pactes d’innovation, destinés à financer des projets d’envergure (écoparcs, pôles technologiques, développement de la flotte de transports en commun) pour un budget de plusieurs millions d’euros. Objectif : concurrencer les métropoles mondiales tout en soutenant l’économie des régions.

Si Paris domine la structure urbaine nationale (notamment par la concentration du réseau TGV ou l’organisation d’événements majeurs), l’importance et l’attractivité des métropoles régionales tendent à se renforcer. Mais la décentralisation du territoire français se fait de manière différenciée.

# La région Grand Est, entre complémentarité et concurrence

Dans le Grand Est, l’activité se concentre autour des métropoles de Strasbourg, Metz et Nancy. Mais leur poids diffère en raison de leur démographie, de leur attractivité économique et de leur statut politique et administratif. Par ailleurs, la quête d’une offre alternative à Paris instaure un climat de rude concurrence, qui peut s’avérer contre-productif.

Ces trois métropoles polarisent néanmoins un espace plus vaste que certaines villes comme Mulhouse, Epinal ou Troyes, moins bien dotées en termes d’équipements de gamme supérieure (hôpitaux universitaires, grand centre de congrès, grandes écoles). La proximité de Paris pour l’agglomération rémoise explique aussi pourquoi cette ville ne domine pas le réseau urbain du Grand Est alors qu’elle se place juste après Strasbourg du point de vue démographique.

# La suprématie de Strasbourg

Strasbourg, qui bénéficie déjà, grâce aux infrastructures de l’Union européenne, d’une influence transfrontalière, s’est ainsi dotée d’un quartier d’affaires. En 2016, la ville a lancé “Wacken-Europe” (désormais renommé “Archipel”), un vaste chantier de 105 000m2 de bureaux, logements, et commerces, afin d’accroître son attractivité face aux autres métropoles européennes.

Par ailleurs, dans l’optique de désenclaver les territoires alentours, l’extension d’une ligne de tramway a vu le jour en 2017. Elle relie Strasbourg à la ville allemande de Kehl (35 000 habitants, contre 279 000 pour Strasbourg) afin de renforcer la coopération transfrontalière des deux villes. Vaste chantier de rénovation urbaine (le deuxième plus important en France après celui de Paris Rive Gauche), d’un coût de 100 millions d’euros, il a permis de réhabiliter des friches tout en créant 10 000 logements et plusieurs milliers d’emplois.

# Une concurrence parfois contre-productive

Strasbourg dispose également d’un immense palais des congrès - l’un des plus importants de France. Rénové pour 85 millions d’euros, il permet à la ville d’assurer sa place de leader régional, face à la concurrence menée par Reims dont les retombées du tourisme d’affaires rapportent chaque année 40 millions d’euros. La sous-préfecture de la Marne n’a pourtant pas obtenu le statut de métropole, bien qu’elle occupe la seconde place de la région en termes de population.

Cette concurrence régionale des métropoles n’est pas toujours signe d’émulation. L’exemple le plus criant est sans aucun doute celui de la ligne TGV Grand Est, qui relie, depuis 2007, Paris à Reims et Strasbourg sans passer par Metz, ni par Nancy. En cause : une rivalité historique entre les deux villes.

Les élus lorrains, incapables de se mettre d’accord en dépit du bon sens, ont ainsi vu le tracé du TGV passer à mi-chemin des deux métropoles, en rase campagne. Une gare “betterave” a été construite à Louvigny, un village de 840 habitants, à une trentaine de kilomètres des deux villes. Les voyageurs qui souhaitent rejoindre les villes doivent finir le trajet en bus ou en voiture.

Non reliée au réseau ferroviaire local, la construction de cette gare a néanmoins des répercussions sur le cadencement des TER régionaux, dont le trafic a été réduit pour laisser passer les rames à grande vitesse. Les habitants de la région qui souhaitent se déplacer localement en sont largement pénalisés.

Pour y remédier, un projet de construction d’une nouvelle gare TER/TGV à Vandières, à 15 km de là, est en cours de discussion. Son coût : entre 80 et 100 millions d’euros.

"Voyage dans les gares TGV perdues en rase campagne"

Vous êtes arrivés à Lorraine TGV. Bienvenue en rase campagne, au milieu des champs, où s'arrêtent depuis 2007 les trains à grande vitesse. À leur arrivée dans cette gare, installée dans le petit village de Louvigny (Moselle), 840 habitants, les voyageurs n'ont d'autre choix que de prendre le volant ou de s'installer dans un bus pour rallier les villes les plus proches, Metz et Nancy, à une trentaine de kilomètres de là. [...]
« S'arrêter dans une gare de centre ville prend entre 15 et 20 minutes, détaille Julie Taldir, chef de l'unité concertation et débat public au sein de SNCF Réseau. Le temps de quitter la ligne nouvelle pour rejoindre le réseau existant, de décélérer puis de réaccélérer... » [...]
Mais la création de ces gares périurbaines répond aussi à des considérations politiques. [En Lorraine], ce choix permettait à la SNCF « d'avoir un tracé le plus direct possible entre Strasbourg et Paris », mais il s'agissait aussi « de concilier les exigences concurrentes des deux métropoles lorraines », écrit la Cour des comptes. « La SNCF a joué sur la rivalité entre Metz et Nancy, qui dépasse le simple TGV, explique Valérie Facchinetti Mannone. [...] »
De fait, en s'impliquant dans le financement des nouvelles lignes, les collectivités locales ont pesé de tout leur poids pour infléchir les tracés. [...]
« Le Conseil général a voulu sa gare et se l'est payée, résume Valérie Facchineti Mannone. Elle n'avait aucun intérêt à être là, vu la population qu'elle dessert. »

Extraits de *Voyage dans les gares TGV perdues en rase campagne*, Mathieu Dehlinger, France TV Info, 2015. Reportage consultable en ligne sur le site de France info à l'adresse suivante : https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/voyage-dans-les-gares-tgv-perdues-en-rase-campagne.html

# Piste pédagogique associée

Le même contenu, adapté à l’enseignement, est accessible aux enseignants et aux élèves de la région Grand Est, sous le titre : La métropolisation : processus et dynamiques territoriales.