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Dans les années 1930, Louise Weiss, brillante journaliste, fait du droit de vote des femmes un combat aux méthodes renouvelées. Elle contribue ainsi à l’obtention du droit de vote des femmes par la loi de 1944.
08 déc. 2021
11 mai 1976
Louise Weiss est aujourd’hui surtout connue pour son engagement en faveur des femmes à partir des années 1930. Mais ce n’est pas son premier combat.
Weiss est une femme détonante pour son époque : agrégée de lettres, diplômée d’Oxford, elle est d’abord connue pour le combat en faveur de la paix en Europe aux côtés d’Aristide Briand, leader du pacifisme français passé du socialisme au centre, un combat défendu dans la revue L’Europe nouvelle, qu’elle dirige et dans laquelle signe des personnalités politiques (Blum, Herriot) et littéraires (Saint-John Perse) de son temps. Si elle est une des premières à dénoncer le nazisme et à se préoccuper des réfugiés politiques, elle reste fidèle à ses convictions pacifistes en s’engageant aux côtés du gouvernement de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale…
Mais elle s’engage parallèlement sur le terrain du droit de vote des femmes. En 1934, elle fonde l'association "La femme nouvelle" qui entend renouveler les méthodes du combat des femmes, face aux organisations féministes dont Louise Weiss moque le conformisme et la pondération. Elle entend en effet, comme le montre le reportage, mener le combat avec des méthodes nouvelles, plus spectaculaires et le faire enfin aboutir.
Si le principe de la souveraineté nationale est acquis dès le début de la Révolution française et transcrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme, il est cependant pensé par les révolutionnaires comme un droit exclusif des hommes, seuls détenteurs du droit de vote. Le combat d’Olympe de Gouges est vain et le Code civil de 1804 confirme le caractère patriarcal de la société française : la femme y est considérée comme une éternelle mineure : l’autorité parentale est seulement celle du père, le mari peut jouir seuls des biens du couple et la femme ne peut travailler sans son autorisation. Tant sur le plan civil que politique, la femme est considérée par la loi et par les hommes comme un être inférieur, comparable à un enfant. Si le XIXe siècle est bien celui de la conquête réelle du suffrage universel, celui-ci demeure cependant uniquement masculin, sans que cela fasse vraiment débat au sein de la société française.
Au début du XXe siècle, très peu de pays ont donné le droit de vote aux femmes. Mais la question a gagné en audience, notamment au Royaume-Uni où émerge en 1903 Emmeline Pankhurst qui fonde la Women's Social and Political Union (Union sociale et politique des femmes) dont les militantes sont les "suffragettes". Pankhurst révolutionne le combat des femmes : alors qu’il était surtout mené par des femmes de la bonne société et très respectueux des lois, elle mobilise dans les milieux ouvriers et surtout choisit la provocation, les actions spectaculaires, voire la violence pour faire entendre leur cause. Après la trêve de la Première Guerre mondiale, le Royaume-Uni octroie en deux temps le droit de vote aux femmes en 1928.
En France, pendant ce temps, les femmes échouent à obtenir les mêmes droits. Pourtant, le mouvement suffragiste est aussi présent depuis la fin du XIXe siècle et les femmes jouent un rôle considérable et largement reconnu dans la victoire de 1918. Mais, à quatre reprises durant les années 1920 et 1930, les sénateurs français refusent de donner le droit de vote aux femmes, arguant du fait qu’elles manquaient d’éducation politique et étaient trop facilement influençables (notamment par l’Eglise catholique).
Le droit de vote des femmes est finalement obtenu par une ordonnance du Gouvernement provisoire de la République française à Alger, le 21 avril 1944. Le préambule de la Constitution de la IVe République, en 1946, affirme dans son article 3 que "La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme". Ce qui est vrai dans le marbre de la loi, mais qui reste encore largement à conquérir dans la vie quotidienne.
Le reportage est avant tout constitué du témoignage de Louise Weiss en 1976, accompagné d’archives qui illustrent les étapes de son combat pour le droit de vote des femmes, dans les années 1930. La conclusion seule est prononcée par une voix off. Quel rôle a joué Louise Weiss dans la conquête du droit de vote par les femmes ?
Les premières images d’une manifestation (à la Bastille en mars 1935 ?) en faveur du vote des femmes permettent de souligner que cette cause a plusieurs caractéristiques au moment où Louise Weiss, déjà très connue pour son engagement politique en faveur de la paix, entre dans la lutte : mobilisation réduite, femmes issues de la bonne société, modes d’action peu revendicatifs et soutien de quelques hommes.
Louise Weiss, anglophile, s’inspire de la militante anglaise Emmeline Pankhurst. Elle a compris que la cause des femmes devait être médiatisée beaucoup plus largement et qu’il fallait gagner la bataille de l’opinion publique. Elle est d’autant plus à l’aise sur ce terrain qu’elle a déjà derrière elle une brillante carrière de journaliste et de rédactrice en chef, ce qui lui assure, selon elle, le soutien des médias. Elle n’use pas, comme parfois les suffragettes anglaises, de la violence, mais de l’humour et d’un sens certain de la mise en scène : poudrage des agents de police avec un produit cosmétique, blocage de rue sont ici cités en exemple. En fait, elle maîtrise ce que nous appellerions aujourd’hui le happening. Elle obtient aussi le soutien de femmes "modernes" et connues, notamment Maryse Bastié, Adrienne Bolland et Hélène Boucher, trois femmes pilotes d’avion, mais interdites de piloter sur avion commercial, qui mettent leur notoriété au service du vote des femmes. Louise, comme d’autres militantes, organise aussi de faux scrutins lors des vraies élections : les femmes ne peuvent pas voter, mais elles ne sont pas non plus éligibles, alors on parodie les élections, toujours en détournant des codes de la femme, par exemple en utilisant des boîtes à chapeau comme urnes.
En 1936, les militantes des droits de la femme semblent obtenir une victoire : pour le première fois en France, alors qu’elles ne sont ni électrices ni éligibles, trois femmes entrent dans le gouvernement du Front populaire de Léon Blum : Irène Joliot-Curie, Cécile Brunschvicg (une militante féministe de longue date) et Suzanne Lacore. On notera cependant qu’elles ne sont que "sous-secrétaires d’Etat", donc dépendantes d’un ministre de tutelle, un homme bien sûr, et que pour les deux dernières, elles occupent des domaines considérés comme relevant des femmes : l’éducation et la protection de l’enfance. Il semblerait que sollicitée par Blum, Louise Weiss ait refusé un poste en arguant qu’elle voulait être élue et pas nommée.
Le reportage aborde enfin la période de la guerre. Louise Weiss passe sous silence son engagement à Vichy et les conceptions pourtant plus que conservatrices des gouvernements du maréchal Pétain qui entendaient que les femmes soient seulement des mères et des épouses au service de la famille. Par contre, elle évoque le droit de vote enfin donné par le général de Gaulle en 1944 en nuançant son rôle. Elle considère, et le reportage vient appuyer son raisonnement en montrant des femmes aidant à la mise en place de barricades au moment de la Libération, que c’est par leur engagement dans la Résistance que les femmes ont gagné le droit de vote. Autrement dit, de Gaulle (lui aussi très conservateur sur le plan social) ne l’aurait pas donné aux femmes, mais celles-ci l’auraient au contraire pris aux hommes par leurs actions.
Le témoignage de Louise Weiss relate des faits qui ont déjà près d’un demi-siècle quand elle s’exprime et presque autant d’années nous séparent de son interview. Pourtant on est frappé par la modernité du propos et des questions soulevées : place des femmes dans la société et des rapports hommes-femmes entre conquêtes et concessions, moyens de l’action politique et médiatisation.