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Le musée de Meaux consacre une part importante de ses collections au quotidien des Français dans la guerre. C’est l’occasion de s’intéresser à une figure trop souvent occultée de la période : les paysannes. Pourtant, en l’absence des hommes mobilisés partis à la guerre, les femmes paysannes ont mené un difficile combat pour gagner la bataille du ravitaillement des Français dans des conditions dégradées.
08 déc. 2021
05 août 2016
La figure des femmes dans la Première Guerre mondiale est très présente au travers de quelques images : les munitionnettes, les marraines de guerre, les infirmières ou encore les veuves. Plus rarement apparaît la figure des paysannes. Quels rôles ont joué les femmes dans la guerre ?
Les femmes travaillent massivement dès avant la guerre : elles sont presque la moitié des actifs dans le commerce et plus du tiers dans l’agriculture et l’industrie. Le taux d’activité des femmes augmente peu, de 38 à 42%, entre 1911 et 1920. Les changements sont ailleurs, dans les métiers exercés ou le fait que nombre de femmes des milieux favorisés ont aussi une activité.
La guerre mobilise les hommes durant plus de 4 ans, loin de chez eux, avec des permissions rares, surtout avant 1916. Il faut donc les remplacer dans le cercle familial mais aussi dans le monde du travail. Il faut répondre aux nouveaux besoins créés par la guerre. D’autre part, la guerre bouleverse aussi certaines hiérarchies sociales en ruinant les petits épargnants. Ainsi, le travail de la femme devient chose commune, comme le montre une très riche iconographie : les femmes au travail deviennent un sujet pour l’œil des photographes.
Les femmes sont classiquement représentées en tant qu’ouvrières dans les usines d’armement. S’il est vrai que des usines sont reconverties, il ne faut pas non plus réduire les femmes à des munitionnettes : les industries d’armement ont été prioritaires pour le retour des ouvriers qualifiés du front. Beaucoup de femmes dans l’industrie ont par contre abandonné les tâches de production pour le fonctionnement des usines, par exemple l’entretien des machines. Elles y ont donc acquis de nouvelles compétences, plus techniques et mieux rémunérées. On peut associer aux femmes de l’industrie une autre figure classique de l’époque : les femmes dans les transports publics, la conductrice de tramway au visage maculé de graisse.
Autre métier où les femmes sont très nombreuses : la santé. Rares sont les femmes médecins, faute d'études nécessaires. Mais elles exercent les métiers subalternes de la santé, comme infirmières. La guerre voit leur nombre exploser avec l’organisation d’un nouveau système de santé. Si quelques-unes sont au plus près des combats dans les ambulances, la plupart travaillent dans les hôpitaux de l’arrière et les maisons de convalescence. Cette population soignante regroupe ainsi des femmes formées au métier et beaucoup d’autres, salariées pour les plus modestes, bénévoles pour les plus favorisées, qui découvrent le métier au contact de la guerre. Ce sont elles qui accompagnent les soldats dans les souffrances, le handicap et parfois la mort loin des leurs.
La marraine de guerre constitue la troisième grande figure des femmes en guerre. Dès 1915, la création des marraines de guerre a pour objectif d’apporter réconfort et soutien aux soldats isolés. Leur action se manifeste essentiellement par des relations épistolaires, l’envoi de colis, mais parfois la relation débouche sur de vraies rencontres.
Enfin, la dernière figure des femmes en guerre, c’est bien sûr la veuve. Figure omniprésente dans un conflit qui tue environ 1.4 million d’hommes dont au moins les deux tiers sont mariés, la veuve de guerre est présente partout, et rappelle pendant et après la guerre, à l’instar des blessés et invalides, le sacrifice enduré. Cette veuve est souvent représentée en mater dolorosa de la guerre.
Le reportage explore un autre visage des femmes en guerre, beaucoup moins montré, mais dont le rôle est fondamental : les paysannes. Toutes ces femmes soulignent plusieurs des caractères essentiels de la guerre : c’est une guerre totale, qui mobilise tous les moyens de l’économie, notamment les industries et l’agriculture, mais aussi tous les habitants du pays, dont les femmes à l’arrière, et qui constituent un traumatisme que les femmes portent souvent seules en tant que veuves après la guerre.
En août 1914, quand le tocsin retentit dans les campagnes françaises, on est en convaincu, la propagande le certifie : la guerre sera courte, chargée de gloire et on sera rentré pour Noël, peut-être même pour les vendanges. Les femmes ne devront remplacer leurs pères, leurs maris ou leurs fils que quelques semaines... En réalité, l’absence dure plus de quatre longues années. Comment les femmes ont-elles participé à l’effort de guerre?
Le reportage de France 3 apporte de nombreux éléments de réponse à cette question, depuis le musée du pays de Meaux, un musée récent qui prend en compte le regard nouveau porté par la recherche sur la vie quotidienne.
Le travail des femmes paysannes est d’abord largement contextualisé de façon à en comprendre l’importance. 40% de la population active travaille dans le monde agricole, avec plus de 5 millions d’exploitants (les exploitations sont surtout de type familial) dont les deux tiers sont mobilisés au cours de la guerre. Près d’un million de femmes doivent assumer seules le travail sur la ferme, faute d’hommes et pour un demi-million d’entre elles, cette tâche est prolongée par le veuvage. Or, si elles ont l’habitude du travail sur la ferme (la basse-cour ou la transformation des productions), de participer aux récoltes, toute une partie de l’activité leur est mal connue (la préparation des champs).
Le reportage montre les femmes comme si elles devaient assumer seules tout le travail. Il faut nuancer cette présentation même si les femmes assurent bien la responsabilité des exploitations. Pour les aider, ces femmes peuvent compter sur leurs enfants. Dans les faits, les obligations scolaires sont largement assouplies et les plus grands fréquentent encore moins que d’habitude l’école. Elles peuvent aussi s’appuyer sur les vieux paysans et leur savoir-faire à défaut de leur force physique. Dès 1915, devant la peur d’un effondrement des productions, le ministère de l’Agriculture et du Ravitaillement obtient du ministère de la Guerre que des vieux soldats soient renvoyés à l’arrière. Le système des permissions est un peu adapté pour permettre aux paysans de rentrer pour les périodes de gros travaux. Enfin, des prisonniers allemands ont parfois été affectés aux travaux des champs.
Il faut dire que les besoins en main d’œuvre sont d’autant plus importants que les conditions de la production se dégradent. Les réquisitions de chevaux et de bœufs entraînent une pénurie de force motrice, avec à l’extrême cette photographie largement utilisée par la propagande montrant des femmes tirant elles-mêmes la charrue. La production d’engrais chimiques laisse place aux productions liées à la guerre.
Pourtant le défi est énorme pour les paysannes : elles doivent nourrir une population civile et supporter le ravitaillement des troupes alors que la surface agricole de la France est amputée de 2.5 millions d’hectares, dans le nord et l’est, souvent de bonnes terres, perdues car situées sur la zone des combats. Autrement dit, ces femmes doivent faire au moins aussi bien que leurs maris partis au front dans un contexte infiniment plus difficile.
L’ampleur de la tâche est d’ailleurs perçue dès le début de la guerre par le président du Conseil René Viviani qui, le 4 août 1918, fait placarder en France son appel Aux femmes françaises dans lequel il proclame "Remplacez sur le champ de travail ceux qui sont sur le champ de bataille. Préparez-vous à leur montrer, demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés ! Il n’y a pas dans ces heures graves de labeur infime".
La bataille de la production a été gagnée par les paysannes, avec l’aide des importations et d’un rationnement croissant après 1917. A leur retour du front, beaucoup d’hommes et notamment de paysans, ont ainsi retrouvé une épouse devenue chef d’entreprise, autonome et émancipée. Car les femmes ont incontestablement gagné la bataille de l’arrière et par là même interrogé les hommes sur les rapports de genre.