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Yvette Lundy a été arrêtée en 1944 pour avoir fabriqué des faux papiers et caché des ennemis de l’Allemagne. De retour de déportation, elle a gardé le silence avant de consacrer 60 ans de sa vie à témoigner de son expérience et de son engagement, surtout auprès des enfants.
08 déc. 2021
10 avr. 2010
Yvette Lundy (1916–2019) a fait partie pendant plus de 50 ans des témoins inlassables des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, en particulier auprès du public scolaire de Champagne-Ardenne. Son témoignage est celui d’une résistante déportée dans les camps de concentration, à la fois singulier et en même temps commun à tous ceux qui n’ont pas obéi à l’appel à cesser le combat du maréchal Pétain le 17 juin 1940 et qui lui ont préféré l’appel du 18 juin, celui du général de Gaulle, pour poursuivre la lutte. Comment l’histoire d’Yvette Lundy témoigne-t-elle de celle de la Résistance et de la déportation ?
Née dans la Marne, Yvette Lundy est la fille d’une grande famille de paysans ayant déjà subi l’occupation allemande de la Première Guerre. Institutrice, elle est nommée dans le petit village de Gionges, où elle occupe aussi la fonction de secrétaire de mairie, logeant dans la mairie même, comme la plupart des instituteurs de campagne à cette époque. En mai-juin 1940, la Bataille de France a lieu : surprise par l’offensive allemande sur les Ardennes belges, mal préparées et commandées, les armées françaises résistent mais cèdent devant la stratégie allemande du Blitzkrieg, la guerre de mouvement, éclair, associant aviation et blindés. Les Allemands déferlent depuis le nord-est sur la capitale, le gouvernement fuit, les Français aussi : c’est l’Exode. Après un court exode en mai-juillet 1940, Yvette Lundy revient dans le village.
Son entrée dans la Résistance se fait "naturellement" : sans engagement politique, elle dit avoir agi par réflexe patriotique en refusant spontanément l’occupation allemande. En fait, très vite, ses frères abritent des personnes ayant besoin de faux-papiers d’identité et, en tant que secrétaire de mairie, elle a accès au matériel lui permettant de fabriquer les documents. Elle abrite d’ailleurs elle-même des personnes recherchées dans la mairie, une partie du village connaissant son activité mais la soutenant.
Les personnes qu’elle aide, au sein d’un réseau dirigé depuis Châlons-en-Champagne, relèvent de trois situations différentes au gré de la guerre. Ce sont d’abord des militaires français qui se sont évadés des camps allemands ou ont échappé à la déportation après l’armistice de juin 1940. Puis ce sont des réfractaires au STO, le Service du travail obligatoire, mis en place fin 1942 par le gouvernement de Vichy, à la demande des Allemands, pour organiser l’envoi de jeunes travailleurs en Allemagne. Beaucoup de ces jeunes cherchent à fuir cette déportation de fait en entrant en clandestinité et viennent ainsi gonfler les rangs des maquis. Enfin, Yvette Lundy protège aussi des envoyés de Londres et des pilotes de la RAF (la Royal Air Force, l’aviation), abattus en mission au-dessus du sol français. A ce titre, elle est un maillon du réseau Possum, un réseau franco-belge, mis en place à l’été 1943, qui doit permettre l’exfiltration des pilotes anglais.
On le voit, l’engagement d'Yvette Lundy ne relève pas de l’engagement combattant mais témoigne d’une des très nombreuses formes de la Résistance avec comme point commun que chacun de ceux qui résistent risque à tout moment l’arrestation, la déportation et finalement la mort.
En juillet 1944, Yvette Lundy est arrêtée par les Allemands à la suite d’aveux obtenus par la torture d’un prisonnier. La Gestapo (qui lutte contre la Résistance aux côtés des forces de police de Vichy) l’interroge à Châlons (sans la torturer selon son témoignage) puis la déporte en Allemagne. Commence alors la vie de déportée dans les camps de concentration allemands, à Ravensbrück (au nord de l’Allemagne) puis à Buchenwald (au centre). Yvette Lundy y connaît alors pendant 9 mois le sort des millions de déportés européens, notamment issus de la résistance antinazie en Europe : cruauté gratuite des SS, souffrances, travail forcé, maladies sont son quotidien, dont elle témoigne dans l’extrait vidéo.
Le reportage de France 3 Champagne-Ardenne traite d’un épisode restreint du parcours de résistante d’Yvette Lundy, une Marnaise qui a caché des ennemis de l’Allemagne nazie et leur a fourni des faux papiers : seule sa déportation au camp de Ravensbrück est abordée ici. Elle livre un témoignage très concret de l’univers concentrationnaire nazi : en quoi son expérience nous renseigne-t-elle sur les camps nazis ?
Le reportage mélange images d’archives, sans les contextualiser avec précision, et interview de la résistante. L’arrivée au camp est montrée au travers l’ouverture de wagons de chemin de fer par des soldats. Cela permet de rappeler qu’une fois arrêtés, les prisonniers n’étaient pas immédiatement déportés : ils étaient d’abord interrogés, emprisonnés, parfois exécutés mais le plus souvent envoyés en camps de concentration pour les prisonniers politiques dont font partie les résistants, une fois leur nombre suffisant pour faire un convoi. Yvette Lundy ne passe pas par le camp de transit des résistants, Compiègne, mais part avec un convoi depuis la gare de l’Est à Paris. Après une étape au camp de Neue Bremm, sorte de camp-prison de la Gestapo, elle arrive donc à Ravensbrück, après trois jours et trois nuits de voyage dans un wagon à bestiaux sans hygiène. C’est un camp situé au nord de l’Allemagne, ouvert en 1938, qui compte de très nombreux camps annexes et qui emprisonne des femmes. Les Français le connaissent car c’est le camp de femmes déportées très connues comme Geneviève de Gaulle-Anthonioz ou Germaine Tillion.
Yvette Lundy décrit l’arrivée dans le camp, avec l’inscription Arbeit macht frei (le travail rend libre), présente à l’entrée de nombreux camps nazis. Sa description met en évidence l’état d’hébétude qui frappe les déportés à cet instant, épuisés par la captivité et le voyage et recevant de plein fouet la violence du camp.
Différentes photos permettent de décrire la vie et la population du camp. Ce qui est notable tout d’abord, c’est l’extrême promiscuité dans lesquelles s’entassent les détenues. Les photos de Blocks, les bâtiments dans les lesquelles elles vivent, montrent une surpopulation avec de nombreux corps allongé sur les châlits, des lits à étages faits de simples planches assemblées sur lesquels les prisonnières s’entassent par deux ou trois. Compte tenu de leur affaiblissement général et de cette promiscuité, les épidémies sont nombreuses. On voit aussi sur les photos des femmes et des enfants. Pour Yvette Lundy, on touche là à une question particulièrement sensible : le camp enferme des enfants, prisonniers déportés avec leurs parents, et connaît parfois des naissances.
Ce qu’elle décrit là est alors une forme paroxystique de la violence nazie à l’encontre des nouveau-nés. On peut relier cela à ce qu’on qualifie habituellement d'"expériences médicales’". Elle nomme le docteur Karl Gebhardt, qui a multiplié les "expériences" notamment sur les risques infectieux post-opératoires. Les SS livraient en fait les prisonniers des camps pour faire ces expériences.
Ces prisonniers étaient aussi parfois vendus à des entreprises. C’est comme cela qu'Yvette Lundy a travaillé dans une cartoucherie. Ici, les images du reportage montrent plutôt une des occupations fréquentes dans les camps avec des travaux de terrassement. Les SS ne cherchent alors pas la rentabilité économique mais à anéantir les prisonniers par un travail inutile et au-dessus de leurs forces.
Yvette Lundy conclut son propos en insistant sur son devoir de témoigner, qui a pris corps à partir de 1959. Cela interroge sur la question de la mémoire et de l’indicible à la sortie des camps, cette attitude étant très fréquente chez les déportés qui se sont souvent tu à la Libération. Elle évoque une parole à deux objectifs : un objectif de justice visant à permettre la condamnation des criminels, et un objectif de transmission des valeurs qui ont guidé son action, ce qui justifie 60 ans de témoignages.