Vaincue en mai-juin 1940, la France confie son sort au maréchal Pétain, qui signe le 22 juin un armistice avec l’Allemagne. L’Alsace est aussitôt rattachée au Reich. Médecin psychiatre, spécialisée dans les soins aux enfants, Adélaïde Hautval est surprise par la défaite, comme tous les Français. Une partie de la population ayant fui l’avancée allemande rentre chez elle, une autre partie, dont Hautval, s’installe zone libre. Elle reprend ainsi son travail de médecin auprès des enfants dans les Pyrénées, sans se préoccuper de politique.
Dès 1940, les premières mesures antisémites sont prises par Vichy, à l’initiative du seul gouvernement français, devançant la politique de la collaboration franco-allemande souhaitée par Pétain lors de l’entrevue avec Hitler à Montoire le 24 octobre 1940. En effet, dès le 3 octobre, un premier statut des juifs est promulgué, les excluant notamment de très nombreuses professions publiques. En juin 1941, un second statut met en place le recensement des juifs de France, aggrave encore les discriminations et facilite leur internement, notamment pour les juifs étrangers. A partir de 1942, les premières rafles, menées par les autorités françaises, livrent les ressortissants juifs, y compris les enfants, aux nazis.
En juillet 1942, Hautval découvre la politique antisémite menée conjointement par Français et Allemands : arrêtée faute de laisser-passer pour la ligne de démarcation à Vierzon, de retour des funérailles de sa mère, elle est emprisonnée avec des femmes portant l’étoile jaune. Indignée, elle se fabrique un écusson portant la mention "amie des juifs".
Les Allemands la déportent finalement dans un convoi de juifs pour Auschwitz I (une ancienne caserne polonaise) en janvier 1943. Elle y fait alors la découverte de l’univers concentrationnaire nazi. Après avoir ouvert des camps dès 1933 pour les opposants au nazisme et les inaptes, les nazis ouvrent des camps en Pologne pour la population juive d’Europe. Cette politique, mise en œuvre avec la guerre sur le front est à partir de 1941, accompagne les premiers massacres de masse des juifs et aboutit à la mise en place de la politique de déportation et d’extermination de tous les juifs d’Europe, décidée à la conférence de Wannsee en janvier 1942 ("la solution finale au problème juif"). Auschwitz, où est envoyée Hautval, est un camp particulier : les juifs sont exterminés (1,1 million y meurent, pour la plupart dans les chambres à gaz de Birkenau (Auschwitz II), mais certains travaillent aussi (Auschwitz III – Monowitz) et d’autres servent aux pseudo-expériences médicales des nazis (Auschwitz I, en particulier le Block 10 où est affectée un temps Hautval).
Médecin, Hautval est utilisée au Revier, l’infirmerie du camp, d’abord pour soigner des prisonniers allemands. Les médecins nazis, notamment le gynécologue Clauberg, veulent la faire participer aux "expériences médicales" qu’ils pratiquent sur des femmes déportées. Clauberg cherche un moyen de stériliser en masse les femmes et mènent des expériences atroces sur des juives et des tziganes, la plupart mourant dans de terribles souffrances. Hautval refuse de participer à ces "expériences" et échappe de peu à la mort pour son refus. Elle essaie cependant de soigner ces femmes. Elle sauve aussi la vie de nombreuses femmes malades, notamment des femmes considérées comme folles par les SS du camp et qu’elle protège le plus possible de la mort.
En août 1944, Hautval est transférée au camp de Ravensbrück (quand les SS commencent à évacuer le camp devant l’avancée soviétique), qui accueille surtout des femmes. A la libération du camp au printemps 1945, elle reste au chevet des prisonniers malades et rentre à la fermeture du camp.
Adélaïde Hautval est décorée de la Légion d’honneur dès 1945, et est reconnue Juste parmi les Nations par le mémorial juif de Yad Vashem en 1965, une distinction partagée notamment avec 4099 français, pour son action en faveur des juifs durant la guerre.
Le reportage fait suite à la sortie d’une biographie sur Adélaïde Hautval (G. Hauptmann et M. Braunschweig. Docteur Adélaïde Hautval, dite "Haïdi", 1906-1988. Des camps du Loiret à Auschwitz et Ravensbrück. Cercle d’Etude de la Déportation et de la Shoah, 2016). Adélaïde Hautval n’a quasiment pas témoigné de son expérience concentrationnaire de plus de 2 ans et demi, sauf dans le procès du médecin SS d’Auschwitz Vladislav Dering en 1964 et dans un livre posthume publié en 2006 (Médecine et crimes contre l'humanité. Le refus d'un médecin, déporté à Auschwitz, de participer aux expériences médicales, Eds du Félin). Pour mettre en images le récit de cette vie, le reportage s’appuie sur deux interviews : une certaine Thérèse qui semble faire partie de la famille, et Georges Hauptmann. Il utilise aussi de nombreuses images d’archives dont certaines sont très connues (l’image de la rampe et du tri à l’arrivée à Birkenau), mais ces images ne sont jamais contextualisées et restent difficiles à lire même si elles sont iconiques du sujet de la déportation (la rampe est en fait construite seulement en 1944, mais elle est évoquée dès qu’on parle du camp). On retrouve le même problème d’identification en fin de reportage pour un monument dédié à Adélaïde Hautval, une fontaine installée dans le village du Hohwald.
Pour présenter la biographie, les auteurs du reportage ont choisi une construction chronologique classique : arrestation, déportation, rôle dans le camp, retour des camps, retour à la vie "normale" (elle devient médecin scolaire) mais aussi événements qui témoignent de la personnalité exceptionnelle d’Adélaïde avec le titre de Juste parmi des Nations et finalement un suicide en 1988 quand elle se découvre atteinte de la maladie de Parkinson. Tous ces épisodes sont connus, mais ils sont agrémentés ici de quelques anecdotes qui doivent aider à comprendre la personnalité du personnage : elle a résisté aux médecins nazis, notamment à Mengele, le médecin le plus connu des crimes nazis commis à Auschwitz ; elle a toujours gardé le silence sur son expérience, tout en écrivant très rapidement un témoignage. Ce texte est celui d’un expérience personnelle mais se double de l’œil de la psychiatre qu’elle est, et qui de ce point de vue peut être mis en relation avec le travail ethnographique de sa camarade de déportation Germaine Tillion, pour aller vers une analyse fine du phénomène concentrationnaire. Elle incarne une figure de résistance aux crimes nazis au nom d’un humanisme universel et intransigeant.
Plusieurs entrées sont donc possibles pour exploiter le reportage de France 3. On peut le considérer comme le parcours d’une femme exceptionnelle qui interroge sur l’engagement. Adélaïde Hautval n’est pas une résistante-née, elle n’a pas de conviction politique connue et ne rentre pas dans les grandes cases de l’engagement en résistance (nationalisme, communisme …), ce qui explique au passage sa difficulté à obtenir la carte de déportée après-guerre, dans un contexte où le résistancialisme écrase toutes les autres mémoires. Le reportage propose une clé liée à sa famille et en particulier à son père pasteur : le protestantisme est porteur de valeurs qui ont conduit, en France comme en Allemagne, à s’engager dans le refus du nazisme et la résistance à cette idéologie.
Le reportage permet aussi de retracer la vie d’une déportée, de son arrestation, avec sa dimension assez aléatoire, à sa déportation et éventuellement son retour. On peut donc suivre un itinéraire de déportation et approfondir la vie dans les camps au travers des nombreuses images utilisées.
Enfin le reportage interroge la mémoire, à la fois collective et individuelle. Alors que beaucoup des camarades d’Adélaïde ont consacré une grande partie de leur vie à témoigner et ont atteint une notoriété certaine, conduisant deux d’entre elles au Panthéon (Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion), la figure d’Adélaïde Hautval reste celle d’une inconnue dont le silence sur les camps interroge.