Lucrèce Borgia de Victor Hugo
Notice
Reportage sur la mise en scène de Lucrèce Borgia de Victor Hugo par la Comédie-Française, en 1994. Extraits de la pièce et interviews de Christine Fersen, interprète du rôle titre, et de deux autres acteurs de la distribution, Jean Dautremay et Eric Ruf.
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Éclairage
Dans Lucrèce Borgia, une pièce écrite en une quinzaine de jours, Victor Hugo propose un drame historique ancré dans la Renaissance autour de la célèbre empoisonneuse italienne, à la fois meurtrière diabolique, dévorée par l'orgueil et dévorant les hommes comme une mante religieuse, mais aussi mère brisée qui a défrayé la chronique de son temps. Dans cette pièce, Hugo porte à son paroxysme tous les préceptes romantiques : exacerbation de la péripétie, crescendo dramatique, dualisme du personnage, situations partagées entre élan grotesque et sublime, clôture grandiloquente de la pièce : dans la violence des effets, tout est fait pour impressionner le spectateur et produire du spectaculaire à la façon des grandes productions pour l'opéra.
La pièce a été créée en 1833 avec, parmi les principaux interprètes Mademoiselle Georges (Lucrèce Borgia), Frédérick Lemaître (Gennaro), et Juliette Drouet (la princesse Negroni) – qui deviendra la maîtresse d'Hugo et l'accompagnera jusqu'à la fin de sa vie – au Théâtre de la porte Saint-Martin où le tout Paris du Premier et du Second Empire se presse. Ce théâtre est en effet devenu en 1831 le « temple du drame romantique » et programme des auteurs à la fois applaudis et controversés : Dumas, Balzac, Georges Sand, Sardou, Hugo, Lamartine, Rostand... qui trouveront tous dans ce théâtre la scène que leur refuse la Comédie-Française, « temple de la tragédie ». De grands interprètes comme Marie Dorval, Coquelin, Sarah Bernhardt et Mounet-Sully s'y produisent et créent les grands rôles des drames et des mélodrames qui déplacent les foules et remplissent les jauges.
A son époque, le succès de Lucrèce Borgia est si grand que Donizetti s'empresse de composer un opéra d'après le texte d'Hugo (1833). Elevée au rang de mythe littéraire, cette figure de meurtrière féminine continue encore de fasciner le monde d'aujourd'hui, dans des genres aussi divers que variés : l'histoire de Lucrèce Borgia a été notamment filmée par Abel Gance (1935), Christian-Jaque (1953) ou encore transposée dans Scarface d'Howard Hawks (1932) ; elle est passée dans la bande dessinée sous la plume de Jodorowsky et Manara (Borgia, 2004-20-) ; elle apparaît dans les fresques historiques qui font l'arrière-plan de la saga Assassin's Creed (volet « Brotherhood »), un jeu vidéo vendu à plusieurs millions d'exemplaires à travers le monde.
Côté théâtre, le bonne fortune de cette pièce ne s'est jamais démentie et reste dans la mémoire collective comme l'un des fleurons du drame romantique. La pièce, sans doute parce qu'elle dit quelque chose de la violence du monde, qu'elle conserve un parfum de scandale et parce qu'elle laisser planer l'ombre du thanatos (la mort) sur les destinées humaines, conserve un impact certain sur le spectateur d'aujourd'hui. Outre la mise en scène importante de Jean-Luc Boutté avec la troupe de la Comédie-Française, présentée dans ce document, signalons également le travail très remarqué d'Antoine Vitez en 1985 lors du Festival d'Avignon, qui efface les effets visuels spectaculaires en choisissant un plateau nu, pour mieux reporter l'attention du spectateur sur la construction archétypale du personnage chez Hugo, qui concentre les traits et les passions des grands héros tragiques de la Grèce ancienne.