La Double inconstance de Marivaux
Notice
Un extrait du téléfilm réalisé par Marcel Bluwal d'après La Double inconstance de Marivaux, en décor naturel. Avec dans les rôles principaux Daniel Lebrun, Judith Magre, Jean-Pierre Cassel et Claude Brasseur.
Éclairage
La Double inconstance est une comédie en trois actes, créée en 1723 par les Italiens, qui la jouèrent devant un public enthousiaste. La pièce a ensuite longtemps disparu de la scène, suite à la fusion du Théâtre-Italien avec l'Opéra-Comique et n'est réapparue au Théâtre-Français qu'en 1934. Ce n'est véritablement qu'après la Seconde Guerre mondiale que cette pièce est devenue l'un des morceaux de prédilection des spectateurs et des metteurs en scène qui s'attachent à l'œuvre de Marivaux.
La Double inconstance reprend la thématique du rapt d'une jeune fille que Marivaux avait déjà exploitée dans l'un de ses romans, La Voiture embourbée et qui est une ficelle souvent employée dans le théâtre populaire ou forain pour amorcer une fiction. Le Prince, qui cherche dans son royaume une épouse, fait enlever Silvia en l'arrachant à son amant, Arlequin, et la tient captive dans une prison dorée. On envoie chercher Arlequin pour convaincre Silvia que son amour pour ce dernier est sans fondement. Pour ce faire, on assigne à Lisette la tâche de séduire Arlequin : elle échoue. C'est donc Flaminia qui s'y emploie et qui, à force de douceurs, parvient à toucher le cœur d'Arlequin et à retourner celui de Silvia en faveur du Prince. La pièce se clôture sur un double mariage, celui d'Arlequin avec Flaminia et celui du Prince avec Silvia.
La comédie chez Marivaux repose sur un double fond avec d'un côté des éléments traditionnels appartenant au registre de la farce (Arlequin) et de la comédie d'intrigue et, de l'autre, une satire sociale bien enlevée sous le couvert du badinage amoureux. La comédie se teinte au final d'accents amers et d'un constat assez désabusé sur les mœurs du XVIIIe. Marivaux insiste en effet sur la question du mariage non consenti et surtout sur les abus de pouvoir des plus puissants qui n'hésitent pas à forcer la main, par des flatteries et des promesses de fortune, aux gens de moindre condition qui ne rêvent quant à eux que d'une vie honnête et simple. Marivaux oppose donc deux mondes : celui, rustique, des « bourgeois de campagne » qui ne comprennent pas les usages du monde et celui, intriguant, de la Cour où l'on ne s'embarrasse pas pour rompre des liens de fidélité.
Cette pièce a fait l'objet de plusieurs adaptations télévisée : Jean-Marie Coldefy en 1964 (avec Simone Valère) ; Jean-Roger Cadet en 1982 (avec Patrice Kerbrat, Jean-Paul Roussillon, Françoise Seigner, Dominique Constanza) ; René Lucot en 1984 (avec Jacques Gamblin) ; Carole Giacobbi en 2009 (avec Clément Sibony, Elsa Zylberstein, Serge Hazanavicius et Jean-Hugues Anglade). Mais c'est sans aucun doute celle de Marcel Bluwal en 1968 qui a le plus marqué la mémoire collective.
Bluwal en effet, dans son adaptation, cherche à inscrire le plus fidèlement possible l'action dans un cadre naturel – celui du château de Vic sur Aisne (près de Soissons), réaménagé au XVIIIe siècle pour le cardinal de Bernis. Ce choix, avec les plans en extérieur et la musique baroque qui accompagnent l'ouverture du téléfilm, ajoute du sens et un plan descriptif intéressants pour renforcer les effets de narration nécessaires à l'encadrement d'une pièce filmée hors studio ou hors plateau de théâtre. Cette volonté de vraisemblance s'accorde de plus avec les esthétiques propres aux dramaturgies et à la littérature des Lumières, qui s'attachent à mettre en scène, grâce à des éléments réalistes, la nature, les sentiments vrais et une peinture de la société d'alors. Bluwal est connu pour la qualité de ses adaptations théâtrales et notamment pour son travail sur les auteurs du XVIIIe siècle. On lui doit un Mariage de Figaro d'après Beaumarchais et la réalisation, en particulier, d'une autre pièce de Marivaux, Les Jeux de l'amour et du hasard dans laquelle on retrouve les mêmes acteurs que dans La Double inconstance.
Avec La Double inconstance en 1968, Bluwal offre aux spectateurs, habitués aux fictions et aux séries historiques en costume, un bel exemple des productions prestigieuses réunissant des acteurs importants et populaires, qui étaient réalisées pour la télévision. Ce téléfilm est d'autant plus important dans l'histoire de la télévision qu'avec l'arrivée en 1967 de la deuxième chaîne couleur, Bluwal peut donner pleine mesure à son goût pour le décor naturel et la prise de vue en extérieur. Et l'on voit bien, dans La Double inconstance, cette attention si particulière pour les ambiances lumineuses, les couleurs, la facture et l'évolution des costumes au fil de la fiction qui, dans une perspective symbolique, prennent en charge le statut social du personnage, éclairent les relations qu'il entretient avec les autres protagonistes, disent quelque chose de l'état et de la transformation psychologique des personnages. En d'autres mots, Bluwal transpose le matériau théâtral en fiction cinématographique en composant, à la manière d'un peintre, un point de vue double sur l'univers spatial et psychologique qui organise les tensions dramatiques chez Marivaux ; tensions dont le réalisateur cherche à rendre compte en alternant le « plan général » pour traduire la « froideur » et le plan serré qui, au contraire, « donne une impression d'humanité »[1].
[1] Marcel Bluwal, dans le dossier « Les grandes fictions littéraires de l'INA », numéro consacré à La Double inconstance de Marivaux, réalisé par le Centre National de Documentation Pédagogique, 2002, p. 5.