L'École des femmes de Molière, mise en scène de Louis Jouvet
Notice
Le 16 mars 1951, Louis Jouvet donne L'École des femmes de Molière au Colonial Theater de Boston. La pièce est enregistrée à cette occasion, en public et en direct. Extrait de l'enregistrement.
Éclairage
Le compagnonnage de Jouvet et Molière est celui de toute une vie, et le directeur du Théâtre de l'Athénée mit en scène sept pièces de l'illustre dramaturge. Alors qu'il commence sa carrière de metteur en scène et installe sa troupe au Théâtre des Champs Élysées, Jouvet monte La Jalousie du barbouillé en 1925. Il attend ensuite 1931 avant de reprendre prudemment Le Médecin malgré lui au Théâtre Pigalle, une pièce qu'il avait déjà interprétée alors qu'il travaillait avec Jacques Copeau au Vieux Colombier. Ce n'est qu'en 1936, devenu directeur du Théâtre de l'Athénée, qu'il peut enfin se consacrer à la pièce qui lui tient à cœur et qu'il jouera près de 700 fois : L'École des femmes. Au cours de son exil en Amérique latine, qui s'étend de 1941 à 1945, Jouvet donne une nouvelle fois La Jalousie du barbouillé et Le Médecin malgré lui, pièce dans laquelle il continue de jouer le rôle de Sganarelle, et présente L'École des femmes chaque fois que la troupe se trouve en difficulté. Mais il met aussi en scène Le Misanthrope, en 1942, s'y réservant le rôle de Philinte. De retour dans la capitale, il montera Dom Juan en 1947, Les Fourberies de Scapin en 1949, et Le Tartuffe en 1950.
C'est une singulière histoire qui lie Jouvet à L'École des femmes. Devant le jury du concours d'entrée au Conservatoire, où il échoua à trois reprises, il avait présenté chaque fois des extraits de cette pièce. Son projet de la mettre en scène commence à prendre forme lorsqu'il rencontre Madeleine Ozeray, dont il pense qu'elle siera parfaitement au rôle. C'est en effet avec elle qu'il crée la pièce, en 1936, en interprétant Arnolphe. L'enjeu est si profond, pour Jouvet, que le soir de la première il est paralysé par le trac et ne peut entrer en scène. Mais la représentation est un triomphe, et il ne cessera plus de revenir à cette pièce qu'il jouera pendant quinze ans. C'est le 16 mars 1951 que la représentation est enregistrée, en public et en direct, au Colonial Theater de Boston, exactement trois mois avant la mort de Jouvet (voir ce document). On entend dans le document un extrait de la scène 5 de l'acte II, avec les voix de Jouvet et de Dominique Blanchar dans le rôle d'Agnès.
Cette mise en scène fait date dans l'histoire du théâtre, au point que pour célébrer le cinquantième anniversaire de la mort de l'acteur, en 2001, Jacques Lassalle s'est vu proposer de monter la pièce à l'Athénée, en reprenant le décor mythique créé par Christian Bérard. Jouvet offre au public de son époque une lecture nouvelle de L'École des femmes, qui tranche avec l'interprétation plus grave que Copeau en avait faite. Il revient au personnage comique que composait Molière, tout empreint de l'influence de la Commedia dell'arte. En écoutant l'enregistrement, on perçoit le tour très enjoué que Jouvet communique au personnage, qui glousse et pouffe à l'envi, et l'on devine aux rires de la salle les mimiques et les gestes dont il accompagne son jeu. Un article célèbre de Bernard Dort fournit une description détaillée de la composition du comédien : « Jouvet y jouait encore sur la mécanique, sur le pantin. Ce vieillard emperruqué, à tête de clown, couvert de rubans et de fanfreluches, il nous le présentait, d'emblée, comme une marionnette. [...] Puis, progressivement, la marionnette se défaisait, par sursauts, et les rires se figeaient en de longs, douloureux et burlesques hoquets » [1] jusqu'au hurlement final, qui résonne tragiquement. La musique de Vittorio Rieti accentuait le contraste entre l'enchantement des deux jeunes amants et la menace qui plane sur Arnolphe et se précise d'acte en acte. Quant à Christian Bérard, il a imaginé un décor mobile : une maison dont les murs d'enceinte peuvent s'ouvrir pour laisser voir le jardin de la maison d'Arnolphe. Ce décor transformable permet ainsi de conserver l'unité de lieu tout en rendant la situation plus vraisemblable : Agnès ne sort pas dans la rue, tandis que l'accès de la maison est en effet interdit à Horace.
[1] Bernard Dort, « Sur deux comédiens : Louis Jouvet et Jean Vilar », Cahiers Théâtre Louvain, n°37, mars 1979.