L'Ecole des femmes mise en scène par Jean-Paul Roussillon à la Comédie-Française

06 mai 1973
04m 13s
Réf. 00276

Notice

Résumé :

Alternance entre une interview de Jean-Paul Roussillon, qui revendique une attention particulière au propos sérieux de la pièce et explique son choix d'un décor tournant, et deux extraits du spectacle, la scène 5 de l'acte II entre Agnès (Isabelle Adjani) et Arnolphe (Michel Aumont) et le monologue d'Arnolphe (Pierre Dux) à la scène 1 de l'acte IV.

Date de diffusion :
06 mai 1973
Source :
ORTF (Collection: JT 20H )

Éclairage

L'Ecole des femmes est créée en 1662 par la troupe de Molière, rencontrant d'emblée un immense succès et provoquant le premier grand scandale de la carrière du dramaturge. En effet, bien qu'elle emprunte à une nouvelle de Scarron (La Précaution inutile, 1655) et reprenne plusieurs motifs de L'Ecole des maris (1661), la pièce présente une audace et une liberté de ton à l'égard de la religion et du sexe qui choque les spectateurs les plus puritains : les dames s'offusquent notamment des sous-entendus obscènes de la fameuse scène du « le » (acte II, scène 5), et les rivaux de Molière en profitent pour monter une cabale contre lui, cabale qui s'intensifie encore l'année suivante avec la création de La Critique de l'Ecole des femmes, où le dramaturge se défend contre les attaques. Mais le Roi, en acceptant de devenir le parrain de son fils, manifeste son soutien envers Molière, mettant fin à la polémique au bout d'une année de publications rageuses.

La mise en scène de L'Ecole des femmes proposée par Jean-Paul Roussillon à la Comédie-Française en 1973 s'intéresse plutôt à la gravité des enjeux de la pièce qu'à la gaieté suggérée par ses effets comiques : le spectacle est sombre, violent et tragicomique, plus porté sur l'humour noir que sur le burlesque. Il révèle au grand public la jeune Isabelle Adjani, âgée comme Agnès de seize ans, et applaudie par la critique pour son naturel et son émotion. Le rôle d'Arnolphe est assumé en alternance par Pierre Dux et Michel Aumont, qui donnent à voir deux facettes complémentaires du barbon : tandis que le premier apparaît comme un homme aveuglé par la passion, où subsistent encore quelques instants de ridicule tendresse, le second est davantage un monstre froid, plus jeune et plus fanatique.

Céline Candiard

Transcription

Journaliste
A partir de demain lundi, la Comédie-Française présentera L’Ecole des femmes dans une nouvelle mise en scène de Jean-Paul Roussillon, décors et costumes de Jacques Le Marquet. C’est une co-création, c'est-à-dire que deux acteurs ont préparé simultanément le même rôle, et le tiendront alternativement. Ainsi Arnolphe sera-t-il interprété par Pierre Dux et Michel Aumont. Agnès sera Isabelle Adjani, 17 ans.
Comédien 1
Contez-moi cette histoire.
Isabelle Adjani
Elle est forte étonnante, et difficile à croire. J’étais sur le balcon à travailler au frais lorsque je vis passer sous les arbres d'auprès un jeune homme bien fait, qui rencontrant ma vue d’une humble révérence, aussitôt me salue. Moi, pour ne point manquer à la civilité, je fis la révérence aussi de mon côté. Soudain, il me refait une autre révérence, moi j’en refais de même une autre en diligence. Et lui, d’une troisième aussitôt repartant d’une troisième aussi, j’y repars à l’instant, il part.
Jean-Paul Roussillon
Quand on demandait à Guitry "quoi de neuf ?", il répondait toujours Molière. Si vous voulez pour moi, il n’y a pas à mettre au goût du jour, parce que je suis très amoureux de ces textes, et j’ai toujours pensé qu’il y a toute possibilité pour que les gens trouvent un certain modernisme quand même dans ces pièces. Je crois que c’est peut-être des productions ou des choses qui on fait que souvent, on en joue que la forme, alors ça peut peut-être risquer de se démoder, je dis ça tout à fait doucement. Mais je crois que dès le moment où on commence à prendre le fond, dès le moment où on fait, pas forcément abstraction, mais que c’est un acteur où à tout prix on doit rire, si on commence à en jouer un petit peu le drame qui est dessous, je crois que c’est une chose qui est très présente.
Pierre Dux
J’étais aigri, fâché, désespéré contre elle. Et cependant, jamais je ne la vis si belle. Jamais ses yeux aux miens n’ont paru si perçants, jamais je n’eus pour eux des désirs si pressants. Je sens là-dedans qu’il faudra que je crève, si de mon triste sort, la disgrâce s’achève.
Jean-Paul Roussillon
Alors moi, peut-être, j’exagère en prenant le grave. Mais je trouve qu’il y a des gens qui exagèrent tellement en n’en prenant que la forme, qu’un jour ou l’autre il viendra quelqu'un de très bien lui, qui prendra du fond, et qui en gardera la forme et qui fera le lien. Je crois que maintenant, il faut plus pousser au fond, tellement on en joue la forme, pas partout bien entendu, mais en général disons. Dans un théâtre comme le Français souvent les gens qui viennent savent, ont déjà vu, et tout le monde… Arnolphe est un monstre, mais dans nous tous, on a des idées un petit peu préconçues sur les choses. On a des choses, des souvenirs qui nous ont marqués, qu’on garde, qu’on veut vouloir retrouver. Il n’y a pas la naïveté, il n’est pas tellement admis qu’on puisse faire dès le moment où c’est fait avec cœur. En aimant ces textes là, il n’est pas tellement admis qu’on puisse faire des expériences sincères. Alors bien sûr, dès le départ, ça peut choquer. Et puis peut-être qu’un an ou deux ans après, on peut dire, oh ben oui, j’ai trouvé ça très classique.
Journaliste
Pour la première fois, sur la scène du théâtre Français, il y a une tournette. Quels en sont les avantages ?
Jean-Paul Roussillon
C’est un avantage pour moi énorme, parce qu’il y a toujours la règle classique du lieu unique, ça reste tout de même un lieu unique. Et je pense que le système de la tournette permet aux acteurs de ne pas avoir des entrées, permet beaucoup de classicisme si vous voulez dans le jeu, mais derrière eux, il y a une image qui change. Et je pense que vis-à-vis de notre siècle à nous, du côté image, ça donne un attrait sans faire perdre à mon avis le texte, en donnant toute sa valeur au texte.