Création de La Voix humaine de Poulenc

14 mai 1959
07m 58s
Réf. 01078

Notice

Résumé :

Quelques mois après la création à l'Opéra-Comique, Francis Poulenc, interrogé par Bernard Gavoty, évoque les circonstances drôlatiques, liées à Maria Callas, qui l'ont amené à composer La voix humaine, sur la pièce de Jean Cocteau, et accompagne ensuite au piano Denise Duval, sa créatrice, dans un extrait de l'œuvre.

Date de diffusion :
14 mai 1959

Éclairage

C'est en 1930 que Jean Cocteau écrit La voix humaine, qui sera créée à la Comédie-Française par Berthe Bovy. En 1958, Francis Poulenc en tire un drame lyrique qui reprend le thème de la femme seule dans sa chambre, conversant au téléphone avec l'amant qui l'a quittée, et qui monologue ainsi pendant quarante minutes dans l'espoir vain de le reconquérir, passant par toutes les phases de la détresse à la joie, de l'espérance à la déprime, de l'excitation à l'apaisement. L'œuvre est créée le 6 février 1959 à l'Opéra-Comique, sous la direction de Georges Prêtre, par Denise Duval, que Poulenc préfère à Maria Callas (que lui avait suggéré son éditeur), du fait de la profonde amitié qui les lie depuis 1947 et la création des Mamelles de Tiresias.

Denise Duval, après avoir débuté à l'Opéra de Bordeaux en 1942, se tourne vers la chanson. C'est aux Folies-Bergère qu'elle est découverte par Georges Hirsch, directeur de la RTLN, qui l'engage à l'Opéra-Comique, où elle débute en 1947 dans Madame Butterfly. Mais c'est sa rencontre avec Poulenc qui fait d'elle une chanteuse majeure dans l'histoire de l'opéra français. Elle crée en effet les trois opéras du compositeur, dans la version originale française pour ce qui est de Dialogues des Carmélites (voir ce document).

Pierre Flinois

Transcription

Bernard Gavoty
Cher ami, avec La voix humaine de votre ami Cocteau, tout change, l’époque, le genre, le sujet. Cocteau était bien vivant quand vous avez composé sur son opéra. Est-ce que c’est lui qui vous en a donné l’idée ?
Francis Poulenc
Non, La voix humaine est née d’une plaisanterie. J’étais à Milan pour les représentations des Dialogues des Carmélites et un certain soir, Madame Callas chantait avec Del Monaco. Et il était beaucoup question d’un petit scandale. A la fin du dernier acte, Madame Callas avait poussé Monsieur Del Monaco dans la coulisse pour saluer seule. Alors à ce moment-là, mon éditeur et ami Monsieur Hervé Dugardin qui est directeur des éditions Ricordi à Paris m’a dit : Tu devrais faire quelque chose pour Callas toute seule, elle saluerait comme ça à son aise. Pourquoi ne lui fais-tu pas La voix humaine ? J’ai fait La voix humaine , mais bien décidé à ne pas le donner à Madame Callas.
(Bruit)
Bernard Gavoty
Quand je vous ai vu avec tant d’autres créer cet hiver La voix humaine sur la scène de l’Opéra Comique, j’ai pensé que c’était probablement un des rôles les plus follement tendus et qui exige le plus de dépense de la part de l’interprète.
Denise Duval
Oui, ça je dois dire.
Bernard Gavoty
C’est effrayant n’est-ce pas, quand le rideau se lève, qu’est-ce qu’on voit ? On voit une chambre qui est absolument nue, qui est vide ou plutôt si, il y a un être qui est là presque gisant, c’est vous.
Denise Duval
Oui.
Bernard Gavoty
Vous êtes seule, votre ami, votre amant vous a quittée et vous avez un téléphone que pendant quarante minutes vous ne quitterez pas. Vous l’avez à l’oreille, il vous téléphone pour la dernière fois. Et vous, vous avez ce raffinement qui consiste à ne pas vous plaindre, à ne pas protester, à ne pas crier. Vous n’êtes que douceur et consentement, mais vous êtes totalement déchirée. Sur la scène pendant quarante minutes, il n’y a qu’un être immobile qui souffre, qui soupire. Il n’y a que de la solitude et de la souffrance.
(Musique)