Jean Sibelius

Journaliste

Pour chaque Finlandais, derrière chaque note de musique, derrière chaque gamme, derrière chaque composition imaginée par Sibelius, raisonne la marche de l'indépendance.

Journaliste

Mort en 1957, Sibelius a, dans les années qui ont suivi l'indépendance de la Finlande, en 1917, littéralement porté les espoirs nouvellement libérés de ses compatriotes.

Journaliste

Ainsi, aujourd'hui encore, son auréole déborde largement les partitions de son oeuvre. Dans ce pays où l'eau, l'arbre, le rocher, sont à la fois sources d'inspiration et d'aspiration permanentes à la liberté.

Journaliste

Est-ce que vous pouvez nous dire pour quelle raison Sibelius a été associé par le peuple finlandais à l'indépendance nationale ?

Seppo Kimanen

Je crois que Sibelius savait par sa musique, par le langage musical, fortifier le sentiment d'identité nationale chez les Finlandais. On doit penser que les Finlandais étaient quand même gouvernés par les Suédois et par les Russes depuis centaines d'années, et puis il y avait un mouvement du romantisme national dans la fin du XIXe siècle. Sibelius n'était pas seul, il y avait les peintres, il y avait des écrivains, qui tiraient l'inspiration, et quand le voilà l'épopée nationale, et fortifiée le sentiment d'identité nationale.

Marc Vignal

Sibelius, contrairement à d'autres musiciens dits nationaux avant lui ou à la même époque que lui, je pense à la fois à Aldridge ou même à Bartok, c'est jamais quelqu'un qui s'est beaucoup préoccupé de questions de recherche folklorique. Y a pas de danses finlandaises comme y a des danses norvégiennes chez Grieg ou tout l'aspect hongrois chez Bartok.

Journaliste

Pourtant, les Finlandais ont continué à identifier Sibelius à leur revendication d'autonomie politique.

Marc Vignal

Quand on a assisté d'un point de vue politique à une espèce de, de raidissement, de serrage de vis de la part des autorités russes sur la Finlande, Sibelius a écrit certaines oeuvres, en particulier le célèbre Finlandia, qui est devenu un peu du jour au lendemain sans qu'il l'ait d'ailleurs voulu, une sorte d'hymne national.

Journaliste

Est-ce donc le fait d'avoir été transformé en héros national qui a paralysé l'inspiration de Sibelius ? Peut-être, mais pas seulement, car il y a sans doute à son silence d'autres raisons psychologiques.

Marc Vignal

Sibelius, il a arrêté de composer en 1926, c'est-à-dire avec son poème symphonique Tapiola et il est mort donc 30 ans plus tard. Il s'est pas arrêté de composer, il a écrit en particulier, une 8e symphonie dont on sait maintenant à peu près, sûrement, qu'il l'a achevée mais il l'a détruite, on l'a jamais connue.

Seppo Kimanen

Quand il devenait fameux, il se critiquait plus en plus aussi, mais je crois que pour lui la création était toujours très difficile. Il n'a pas beaucoup composé, sa production n'est pas très grande.

Marc Vignal

Sa 6e symphonie qui date de, qui a été jouée en 1923, pratiquement il y a travaillé... 9 ans.

Seppo Kimanen

Il était peur de lui-même aussi, de décevoir lui-même, alors que c'est tout... Je crois qu'il essayait toujours dépasser lui-même, avec le prochain oeuvre, il voulait dépasser son dernier oeuvre, et puis il ne pouvait plus faire de progrès.

Marc Vignal

Dans Tapiola, il y a une espèce de cataclysme le plus cataclysmique à mon avis, de la musique du XXe siècle, et c'est possible aussi que sur un plan très profond, on sait pas, toujours je fais le lien dans ces cas là n'est-ce pas, il y a une espèce de déchirure, une espèce de blessure irrémédiable. Mais ça finalement, qui sait ?

Seppo Kimanen

Tapiola, c'est le drame des forêts finlandaises, mais aussi de drames des esprits de Sibelius. Sibelius était un prophète, il avait toujours des pressentiments. Peut-être a-t-il senti le grand bouleversement de la Deuxième Guerre mondiale.

Seppo Kimanen

Il a toujours lutté contre la dictature, et sa manière il était, c'était de composer.

Journaliste

Alors justement, pourquoi a-t-il continué à se taire pendant le nazisme ?

Marc Vignal

Les raisons de son silence ne sont-elles pas plutôt d'ordre artistique ? Il est évident que pendant la plus grande partie de sa carrière, Sibelius s'est trouvé un peu en porte à faux par rapport à d'autres musiques plus composées. Par exemple, non seulement Stravinsky mais l'école de Vienne, etc., n'est-ce pas. Sibelius s'est arrêté de composer au moment où Schönberg mettait au point le dodécaphonisme sériel, etc. Sibelius a été quand même assez inhibé par ce que j'appellerai sa position dans le siècle. C'était du moins une question de vocabulaire de savoir s'il a écrit une musique tonale ou atonale ou non, en fait sa musique n'est pas simplement bêtement tonale comme on l'a dit, mais c'est quelqu'un qui s'est posé le problème, n'est-ce pas, de la dynamique formelle. C'est un des rares, à mon avis, qui a su concilier le dynamisme d'un Beethoven et l'espèce de statisme d'un Wagner.

Seppo Kimanen

Sa façon de traiter l'orchestre par grande masse qui se heurte, avec un dédain de la polyphonie traditionnelle, etc. On pourrait justement le rapprocher d'un autre... d'un autre musicien qui justement s'est tu à la même époque. Et qui lui, étant donné qu'il était un peu plus jeune, a recommencé à composer au bout d'un certain temps, je veux parler d'Edgar Varèse. Et je pense que si Sibelilus et Varèse se sont tus à peu près au même moment, à la fin des années 1920, début des années 1930, c'est par l'épuisement du matériau à leur disposition.

Journaliste

Alors, Sibelius annonciateur réticent ou même précurseur de la musique contemporaine, pourquoi pas ?

Marc Vignal

Il y a un certain nombre de compositeurs, je peux en citer, par exemple, Hugues Dufourt, et d'autres, pour lesquels Sibelius est non pas un modèle à suivre mais un exemple et matière à réflexion.