Fin de la semaine des barricades à Alger et entretien avec M. Ben Salem

05 février 1960
09m 13s
Réf. 00026

Notice

Résumé :

Jacques Sallebert en plateau à Alger commente les images de la dernière journée de la semaine des barricades et interviewe un député de la casbah et du quartier musulman, M. Ben Salem, qui réaffirme la fidélité des musulmans d'Alger au Général De Gaulle et désavoue complètement les putschistes de l'Algérie Française.

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05 février 1960
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Éclairage

Entre le 24 janvier et le 1er février 1960, des barricades furent dressées dans la ville d'Alger pour protester contre le transfert du général Massu en métropole. Cette décision faisait suite à un entretien accordé par le général Massu au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung dans lequel ce dernier émettait des doutes quant à la politique du gouvernement. Au cœur de la contestation, des insurgés – dont Pierre Lagaillarde, député d'Alger, Joseph Ortiz (patron du bar Le Forum), Jean-Jacques Susini (président de l'Association générale des étudiants d'Algérie) – qui furent rejoints par des membres des unités territoriales.

Formées de réservistes originaires de l'Algérie, ces unités – créées en 1955 – devaient exercer une action de surveillance en des points sensibles dont la casbah d'Alger (à partir du 5 juin 1958). Trait d'union entre la population et l'armée, elles étaient aussi, de par l'origine de leurs membres, sensibles aux arguments défendant l'Algérie française. Lors de l'insurrection, elles honorèrent donc la mission de force de frappe que leur avait assignée Joseph Ortiz.

Côté gouvernement, la réaction fut immédiate. Depuis le Palais de l'Élysée, dès le 25 janvier, le général de Gaulle prononça un discours radiodiffusé : « L'émeute qui vient d'être déclenchée à Alger est un mauvais coup porté à la France. Un mauvais coup porté à la France en Algérie. Un mauvais coup porté à la France devant le monde. Un mauvais coup porté à la France au sein de la France ». Et le 29, cette fois-ci à la télévision, il déclara : « Si j'ai revêtu l'uniforme pour parler, aujourd'hui, à la télévision, c'est pour marquer que je le fais comme étant le Général de Gaulle aussi bien que le Chef de l'État ». Finalement, ce discours porta ses fruits et vit des insurgés abandonner les barricades.

Mais cet événement qui fit 22 morts et 147 blessés et qui semblait sonner le glas de l'activisme en Algérie, contribua à durcir les positions. En effet, c'est depuis l'Espagne où Joseph Ortiz et Pierre Lagaillarde trouvèrent refuge, que les modalités d'une opposition plus radicale furent pensées.

Correspondant de guerre, Jacques Sallebert (1920-2000) a aussi été l'un des premiers présentateurs du journal télévisé. Dans cette édition de Cinq colonnes à la une, diffusée le 5 février 1960, il commente avec gravité des faits que, selon ses dires, peu d'Algérois ont accepté de commenter : « Je viens de passer 36 heures à Alger, j'y étais encore ce matin, je vous l'ai dit, j'ai eu beaucoup de mal à trouver quelqu'un qui accepte de parler devant les caméras de la télévision française ». C'est donc à un journaliste britannique que les insurgés s'adressent ; une donnée que Jacques Sallebert interprète comme étant un malentendu au regard des moyens déployés par le gouvernement français en Algérie. Le journaliste donne donc la parole à un conseiller municipal pour le quartier de la Casbah, M. Ben Salem, ce dernier étant le seul à avoir accepté de répondre.

M. Ben Salem évoque un courrier envoyé au général de Gaulle dans lequel il a rappelé l'attachement du peuple de la casbah à la France. À cette occasion, il récuse l'idée selon laquelle les musulmans auraient été empêchés par les militaires de s'associer à l'insurrection, expliquant qu'eux-mêmes avaient fait ce choix, opposés qu'ils étaient à la révolte.

Cinq jours après que les armes aient été rendues, le discours de Cinq colonnes à la une est donc celui de la paix retrouvée mais celui aussi de la critique. Une critique emblématique d'une forme de rupture entre la métropole et l'Algérie et dont le journaliste est un acteur. En effet, même si Jacques Sallebert fait état du soutien de la part de certains musulmans, il ne peut taire la colère des Pieds-noirs. Aussi laisse-t-il entrevoir une situation dont on peut penser qu'inéluctablement, elle conduira à l'exacerbation de la violence.

Béatrice Fleury

Transcription

Journaliste
Ils finiront par pénétrer sur le plateau des Glières malgré les renforts d’armée qui sont amenés en toute hâte. Il y aura eu quelques bousculades, quelques échauffourées. Rien de grave, heureusement.
(Silence)
Journaliste
Finalement, en ce dimanche après-midi, force restera à l’armée.
(Silence)
Journaliste
Et c’est le lundi matin, 11 heures. Les parachutistes ont pris possession du plateau des Glières. La Gaillarde sort de son réduit, suivi par Forzy. C’est la reddition. En colonne par un, les hommes franchissent la dernière barricade. De l’autre côté de la barricade, les parachutistes du colonel Dufour les attendent. La Gaillarde met ses hommes en formation. Et c’est un court défilé, d’une quinzaine de mètres qui les conduira aux camions qui les attendent. Le seul incident sera causé par cet hélicoptère qui avait rallié les forces insurgées dans le PC des facultés. Il a essayé de s’envoler au dernier moment. Il a été pris en chasse immédiatement par les Sikorsky de l’armée. Et nous avons eu, dans ce ciel d’Alger, un ballet assez curieux de trois hélicoptères obligeant celui qui essayait de se sauver à se reposer très exactement à l’endroit d’où il était parti.
(Silence)
Journaliste
L’incident est terminé. Les camions partent pour le PC du premier REP. L’aventure est finie. Il ne reste plus, maintenant, à savoir ce qu’en pensent les Algérois.
Journaliste Britannique
Qu’est-ce que vous pensez de la reddition des rebelles ?
Intervenant 1
Je pense que nous voulons que l’Algérie devienne française et qu’elle soit entièrement française. Aussi bien musulmans que Français d’ici, nous voulons tous que l’Algérie soit française.
Journaliste Britannique
Alors, vous êtes triste que la rébellion est supprimée ?
Intervenant 1
Nous voulons que la rébellion soit supprimée, mais nous voulons rester Français.
Journaliste Britannique
Est-ce que l’Algérie française est terminée maintenant que la rébellion est supprimée ?
Intervenant 1
Je pense. Il faudrait que le général de Gaulle nous dise que l’Algérie est française. C’est la seule chose que nous demandons.
Journaliste Britannique
Mais il ne l’a pas dit.
Intervenant 1
Il ne l’a pas dit encore.
Journaliste Britannique
Qu’est-ce que vous pensez, Monsieur, de la reddition des insurgés ?
Intervenant 2
Je pense qu’ils ont montré que c’était des Français de France. Parce que nous, les Algériens, on ne parle pas, mais on agit. Ils se sont engagés dans la Légion, dans les parachutistes. Et tous les Français de France qui crient beaucoup « Vive de Gaulle », ils restent bien derrière leur comptoir, là-bas, chez eux.
Journaliste
Comme vous avez pu le constater, ces opinions ont été recueillies par un confrère britannique. Il faut vous dire que les Algérois parlent beaucoup plus facilement devant des caméras britanniques ou américaines que devant des caméras françaises. Mais vous avez entendu cette opinion. « Les insurgés se sont engagés dans les paras. La métropole reste tranquillement derrière son comptoir ». Les insurgés se sont engagés dans les paras, c’est partiellement vrai. Ils sont sortis environ à 800 du réduit lorsqu’ils se sont trouvés au quartier général du premier REP. Il y en a 120 seulement qui ont rejoint le premier REP. « Les Français restent derrière leur bureau et ne s’occupent de l’Algérie ». C'est le grief que l’on entend tout le temps à Alger. On a l’impression que les 250 000 hommes du contingent qui partent chaque année pour l’Algérie ne comptent pas. On a l’impression que les centaines de millions qui sont dépensées pour le plan de Constantine ne comptent pas davantage. Et c’est là, l’affreux malentendu. Les Algérois, tout au moins ceux qui ont manifesté et que j’ai vu manifester pendant huit jours, sont convaincus que les Français les abandonnent. Et aucun argument ne peut les faire changer d’avis. Je suis retourné à Alger avant-hier. J’y étais encore ce matin. Et j’ai trouvé une ville présentant un visage tout à fait différent. En réalité, Alger, maintenant, panse ses blessures. Il ne reste plus qu’à détruire les barricades et à remettre les pavés là où ils étaient. On déblaie à grand renfort de bulldozer. Il y a toujours des fils de fer barbelés autour du monument aux Morts. Les soldats n’ont pas tous quitté les rues d’Alger. Par prudence, quelques-uns sont restés. Mais il n’y a pratiquement plus de troupes qui établissent des cordons à l’intérieur de la ville. Le balcon d’Ortiz est devenu silencieux. Tous les matériaux qui ont servi à ériger les barricades sont, maintenant, entre les mains des employés de la voirie. Finalement, on ne repavera pas les rues d’Alger, on les goudronnera. Ce sera peut-être le seul bénéfice de cette rébellion. Quant au quartier des facultés, il va bientôt être rendu aux étudiants.
(Silence)
Journaliste
Tels sont les derniers vestiges de la rébellion : quelques inscriptions sur les murs.
(Silence)
Journaliste
Bar Otomatic où se réunissent, avec plaisir, les étudiants d’Alger pour discuter politique et peut-être un peu trop pour se monter la tête. Les garçons ont repris leur place derrière le comptoir. Quant au Forum, le bar d’Ortiz, il est très discret. On n’aime pas les caméras, on ferme les portes. Les gens d’Ortiz ne cherchent plus la publicité. La circulation, elle, est toujours gênée par toutes les rues qui sont barrées. Mais tout le monde a repris sa place dans les bureaux de la délégation générale. Alger est devenu un peu une ville silencieuse. Les Algérois s’interrogent, ils sont inquiets. Les pouvoirs spéciaux les effraient. La Gaillarde est à la Santé ; de nombreuses personnes ont été arrêtées ; il y a de nombreux mandats d’amener qui ont été lancés. Les Algérois réfléchissent. Les Algérois essaient de comprendre la mésaventure qui leur est arrivée. Et ils restent discrets. Il est très difficile de les faire parler. Mais je pense qu’il y a un aspect du problème qui a été un peu négligé pendant ces dix jours : c’est l’aspect musulman. On a, évidemment, beaucoup parlé de la querelle qui oppose les Algérois de France, plutôt les Français d’Algérie aux Français de la métropole. On a peut-être un peu trop négligé le côté musulman. Bien entendu, pour le FLN, je ne pense pas qu’il soit besoin de les interroger pour savoir qu’ils ne peuvent que se réjouir de ces incidents de cette dernière semaine. Mais il y a les autres, ceux qui ont accepté la politique du général de Gaulle, et les attentistes, ceux qui essaient d’y voir clair avant de s’engager. Je viens de rester trente-six heures à Alger. J’y ai été encore ce matin, je vous l’ai dit. J’ai eu beaucoup de mal à trouver quelqu’un qui accepte de parler devant les caméras de la télévision française. Mais finalement, j’ai tout de même, hier après-midi, à Alger, trouvé un musulman.
(Silence)
Journaliste
… municipal d’Alger du IIe arrondissement, Casbah, Climat de France. Vous avez, Monsieur Bensalem, envoyé deux motions samedi après le discours du général de Gaulle. Qu’est-ce que vous disiez dans ces motions ?
Bensalem
En effet, après le discours magistral prononcé par le général de Gaulle vendredi soir, j’ai envoyé deux télégrammes samedi matin. L’un au président de Gaulle, et l’autre à monsieur Paul Delouvrier et au général Challe. Dans ces deux télégrammes, j’affirmais l’attachement indéfectible du peuple de la Casbah à la France républicaine et à la politique du général de Gaulle.
Journaliste
À plusieurs reprises, les insurgés se sont efforcés d’attirer aux barricades la population musulmane de la Casbah. Ils ont échoué. Pourquoi ?
Bensalem
En effet, les premiers jours, des territoriaux armés, précédés d’une voiture munie d’un micro, avaient défilé dans les rues centrales de la Casbah. Ils incitaient les musulmans à se joindre à eux. Mais ce fut en vain. Les musulmans ne voulurent pas participer à cette insurrection. Parce qu’ils savaient qu’elle était animée par une bande de factieux, inspirée par une idéologie subversive. Et cette bande voulait imposer à la France et à l’Algérie un régime d’oppression.
Journaliste
La grève générale n’a pas été respectée à la Casbah. Les insurgés ont dit que si les musulmans de la Casbah n’étaient pas venus, c’est parce que les militaires les avaient empêchés de venir. Est-ce exact ?
Bensalem
J'oppose un démenti formel à ces allégations. Les militaires n’ont pas empêché les musulmans de participer. C’est d’eux-mêmes, en toute connaissance de cause, que les musulmans ne voulaient pas participer à cette insurrection, parce que….