L'ortolan, passereau de passions
Notice
Dans les Landes, l'ortolan se chasse traditionnellement à la matole afin de capturé l'oiseau intact, qui, une fois engraissé, sera dégusté sous une serviette de table. Or, dans les années 1990, cette chasse fait débat entre les défenseurs de la nature qui déplorent une diminution de l'espèce et les chasseurs-amateurs, prêts à accepter un encadrement de leur pratique.
Éclairage
Chaque année, de la mi-août à fin septembre, 30 000 à 50 000 Bruants ortolans sont capturés dans le sud et dans le sud-est du département des Landes. C'est le moment où ce petit passereau, de la taille du Moineau domestique (20-25 g), migre vers l'Afrique, depuis le nord de l'Europe. Le Bruant d'Europe est recherché pour sa chair délicate, réputée depuis l'Antiquité.
Il est indispensable de capturer les oiseaux vivants, et tout à fait intacts. L'Ortolan, en effet, n'est pas livré à la consommation aussitôt après avoir été pris : il est auparavant soumis à un engraissement en cage. La chasse classique de l'Ortolan est la chasse aux matóles (trappes en gascon). On prépare, sur un espace découvert, de petites placettes distantes les unes des autres de 2,50 mètres à 3 mètres. Sur le sol de chaque placette, une matóle [1] est posée, maintenue à demi soulevée par un trébuchet et tendue par un osier courbe. On plante aussi quelques piquets [2], auxquels on suspend les cages qui contiennent les appeaux [3]. Ces appeaux sont des ortolans qui ont été conservés en cage d'un passage à l'autre, ou même d'une année à l'autre. On les choisit pour la régularité et la perfection de leur chant.
L'Ortolan de passage, attiré par le chant des appeaux, vient se poser sur les rameaux de chêne ; il descend ensuite sur le sol. En picorant les grains d'avoine ou de millet placés sous la matóle, il heurte l'arc de cercle en osier [4], lequel se détend en faisant sauter le trébuchet ; la matóle retombe sur l'oiseau, qui se trouve ainsi prisonnier sans avoir subi aucun dommage. L'oiseleur visite la chasse plusieurs fois par jour, pour recueillir les oiseaux qui ont été pris, et pour retendre les matóles.
On engraisse l'Ortolan à l'aide des graines du millet à grappes [5], petite céréale cultivée dans les terres sablonneuses de la région forestière des Landes, ou des graines d'alpiste [6]. L'Ortolan est d'une grande gloutonnerie, et s'engraisse si vite qu'il peut être à point au bout de seulement trois à quatre semaines de préparation.
L'ortolan entier [7]se cuit au naturel dans un plat individuel au four, où il "chante" en risolant. Il se déguste sous une serviette, ce qui est source de fantasmes.
A condition de respecter certaines règles, il s'agissait dans les Landes d'une tolérance réservée aux exploitations agricoles : chacune ne devait pas installer plus de 80 matóles. On doit, en outre, n'utiliser que des ortolans comme appelants. Un chasseur non agriculteur ne pouvait donc pas s'improviser chasseur d'ortolans. Les agriculteurs tiennent à leur tradition, pour leur usage familial, mais ne souhaitent pas que la tolérance soit élargie à d'autres qu'eux. Certains d'entre eux prônent depuis longtemps l'interdiction de la commercialisation.
On estime à 1200 chasseurs d'ortolans dans les Landes en 1990 ; le nombre de captures par an varierait entre 30 000 et 50 000. Les chiffres font débat : les prises représenteraient, pour les chasseurs, 1 à 2 % de la population, alors que, pour les défenseurs de la nature, ce serait 20 %. Les ortolans ne migrent pas en vol serrés, ils se déplacent quelquefois à 3 ou 4 individus, le plus souvent à 1 ou 2, ce qui rend impossibles les prises spectaculaires.
L'ortolan figure au nombre des "produits oubliés" que le Conseil national des Arts culinaires (dont fait partie Michel Guérard, restaurateur à Eugénie-les Bains) voudraient remettre au goût du jour, ne serait-ce qu'un jour par an.
En 1996, l'espèce n'est pas un gibier, donc n'est pas chassable, ni non plus une espace protégée. L'atermoiement des pouvoirs publics traîne en longueur. Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 18 janvier 1999, a condamné l'Etat français à inscrire sur la liste des espèces protégées un oiseau aussi rare qu'apprécié des gourmets fortunés, le bruant ortolan, sous astreinte de 500 francs par jour de retard. L'astreinte a été prononcée au motif que le ministre de l'Environnement n'avait pas exécuté une première décision du Conseil d'Etat, du 10 juin 1994, sur ce classement pourtant décidé par arrêté du même ministre en 1981. L'arrêté ministériel de protection sera finalement promulgué le 5 mars 1999 par les ministres de l'Environnement et de l'Agriculture.
[1] La matóle, de forme quadrangulaire (0,25 m de côté environ et bombée de 5 à 6 cm), en fin grillage, doit être très légère ; on les façonnait autrefois à l'aide de l'osier appelé Vime (Salix viminalis) et l'armature était formée par des rejets de ronce.
[2] On plante aussi, alentour, de forts rameaux desséchés ("branqueous" en gascon), de trois à quatre mètres de hauteur ; c'est sur ces rameaux (de préférence des rameaux de chêne) que les ortolans viendront se poser.
[3] Chaque cage contient un seul appeau.
[4] Le trébuchet s'appuie légèrement sur un arc de cercle en osier fixé à la partie inférieure de la matóle. Placé à quelques centimètres au-dessus du sol, cet osier fonctionne comme un ressort faiblement tendu.
[5] Appelé aussi millet blanc, millet de Bordeaux ou millet d'Italie, Panis (Panis italicum).
[6] Millet long ou blé des Canaries.
[7] On peut retirer le gésier en pratiquant une incision à la base du cou.