Michel CHION (entretien)

1973
01m 32s
Réf. 00058

Notice

Résumé :

Interview extraite du CD-ROM "La Musique électroacoustique" Ed. Hyptique (2000)

Type de média :
Date de diffusion :
2000
Date d'événement :
1973
Personnalité(s) :
Autres lieux :

Éclairage

Michel Chion est né en 1947 à Creil. Il fait des études musicales aux Conservatoires de Versailles et de Paris, et des études littéraires à la Faculté de Paris-Nanterre.

Il entre en 1970 au Service de la Recherche de l’Office de Radiodiffusion-Télévision Française (ORTF), en tant qu’assistant de Pierre Schaeffer, puis comme réalisateur radio. Puis il entre au GRM en 1971, où il est responsable des programmes radio et des publications. Il le quitte en 1976, davantage par esprit d’indépendance que par désaccord. Il continue d’ailleurs régulièrement à collaborer aux entreprises du Groupe par la suite, et y compose la plupart de ses musiques. Il a fondé en 1990, avec Anne-Marie Marsaguet, la société de production et d’édition Sono-Concept.

Son oreille est très tôt formée à l’écoute acousmatique, grâce à un magnétophone ramené d’Allemagne par son père alors qu’il a une dizaine d’années. Il écoute beaucoup de musiques enregistrées et réalise des prises de son, notamment de sa propre voix. Il découvre Pierre Henry peu après, lors de la création du Voyage (1963), puis de celle de l’Apocalypse de Jean (1968 : vingt-six heures de concert non-stop).

Ses premiers essais de compositeur datent de la fin des années soixante. Son œuvre est presque exclusivement consacrée depuis cette date à la musique électroacoustique sur bande, forme d’expression pour laquelle il plaide la remise en honneur du terme de "musique concrète" dans son sens initial, c’est-à-dire non-causaliste. Il s’agit de prêter attention aux effets propres à la fixation du son (expression qu’il propose à la place du terme enregistrement), et sur la nécessité d’affranchir celui-ci de sa cause matérielle. A l’intérieur de ce cadre, il a produit une œuvre variée, qu’on peut répartir en plusieurs rubriques :

Mélodrames : Le Prisonnier du Son, 1972; Tu, 1977-1996; La Tentation de saint Antoine, d’après Flaubert, avec la voix de Pierre Schaeffer dans le rôle d’Antoine, 1984; Nuit noire, 1985; L’Isle Sonante, 1998

Recueils et suites de pièces brèves dans la tradition romantique : On n’arrête pas le regret, 1975; La Ronde, 1982; Vingt-quatre Préludes à la vie, 1990.

Recherches techniques et formelles de "graphisme sonore" : Dix études de musique concrète, 1988; Variations, 1989; Crayonnés ferroviaires, 1992.

Musique religieuse : Requiem, 1973 (Grand Prix du Disque 1978); Credo, 1992; Gloria, 1994, Perpetuum Kyrie, 1997.

Il a d’autre part composé, en collaboration avec Lionel Marchetti et Jérôme Noetinger, Les 120 Jours, "fresque collective" créée à Vandœuvre-les-Nancy, au festival Musique Action en 1998.

La musique de Chion frappe d’abord par son refus de hiérarchisation entre "sons" et "bruits", et par sa revendication des bruits du support (bande magnétique) comme faisant partie du discours musical lui-même. Les entrées de souffles, les "clics", les saturations, etc. font ici partie intégrante du discours. C’est que celui-ci est déterminé d’une façon autrement fondamentale par le cadrage temporel. Car Chion est un compositeur qui a un sens extraordinaire du "timing". "Ce que fait le cadrage dans l’espace pour l’image, le temps le fait pour le son". Cette possibilité de cadrage est offerte par le support. Un cadre temporel juste donne sens aux sons, et donne à entendre. Il a la vertu paradoxale de limiter les phénomènes sonores tout en les libérant (alors que les limitations techniques ne sont que contraintes… ). Ce "sonore cadré" est par ailleurs, chez Chion, très souvent centré sur un personnage (souvent le compositeur lui-même), dont la voix en situation ou même la présence muette est comme une permanence qui oriente et colore l’écoute musicale. "Témoigner de l’humain, c’est ainsi qu’il me semble pouvoir désormais sinon résumer, du moins en partie décrire mon propos de compositeur."

Comme écrivain et essayiste, Michel Chion a publié une vingtaine d’ouvrages, dont La Musique au cinéma. Plus de la moitié de ces ouvrages est consacrée au son, seul ou dans la relation audiovisuelle. Ils constituent déjà, avec plusieurs centaines d’articles, le plus important ensemble théorique jamais consacré à l’étude de la perception et de la création sonore.

Comme chercheur, il a synthétisé et transmis les recherches du Traité des objets musicaux de Schaeffer dans son Guide des objets sonores de 1982, tout en suivant ses propres voies dans des ouvrages comme : L’Art des sons fixés (1990), Le Promeneur écoutant (1993), Le Son (1998). La discipline qu’il vise à refonder et à réunifier à travers ces écrits est celle d’acoulogie : science de l’objet sonore entendu.

Michel Chion est également réalisateur de courts-métrages de cinéma (Le Grand Nettoyage, 1975; Eponine, 1984 – Prix Jean-Vigo 1985) ainsi que de documentaires vidéo. Son œuvre la plus importante dans ce domaine est La Messe de terre, d’une durée de deux heures et demie, œuvre qui associe l’image vidéo à la musique concrète, et qui a reçu le Grand Prix de la Ville de Locarno en 1996.

Comme journaliste et critique, il a également écrit dans de nombreuses revues et journaux, français et étrangers, et contribué de façon substantielle à de nombreux dictionnaires et encyclopédies. Il a publié des essais sur Charlie Chaplin, Jacques Tati et David Lynch, et sur les métiers du cinéma. Il enseigne à l’ESEC, à l’École Cantonale d’Art de Lausanne, à Paris III, etc. Plusieurs de ses ouvrages et articles ont été traduits dans une douzaine de langues.

Transcription

Michel Chion
Schaeffer a pris tout en charge, toutes les contradictions possibles et imaginables de la musique que lui avait inventée, notamment par exemple la directive de l'ancien et du nouveau et c'est en cela, à mon avis, qu'il a été extraordinaire. C'est-à-dire, je crois que si on... Musique concrète est une expression banalisée parce qu'on la connaît, mais c'était déjà un choc de mots : musique et concrète. Mais il y a le mot musique. Il aurait pu, comme d'ailleurs l'avait envisagé d'autres personnes, appeler cela art des sons ou sons organisés comme c'était l'idée de Varèse. Bon, toujours est-il que les autres ne l'ont pas fait ou n'ont pas suscité un mouvement qui serait continué. D'autres ont fait presque la même chose mais ont appelé cela poésie sonore, c'est un courant que je connais, que je respecte, enfin qui a choisi sa voie, qui se rattache à la poésie. On peut très bien faire aussi un cinéma des sons. Walter Ruttmann, dans les années 30 a fait une oeuvre qui, même, étant toute seule qui s'appelle [[Week-end]], est le prototype de ce qui aurait pu être un genre, c'est-à-dire le cinéma pour l'oreille pure, puisque lui s'est servi de son optique mais c'est ça. Schaeffer a choisi d'appeler ça musique mais musique concrète. Et comme il faisait des oeuvres qui s'appelaient [[Symphonie pour un homme seul]], le titre étant de lui, même si l'oeuvre est avec Pierre Henry, donc là encore contradiction ; [[Bidule en ut]], c'est-à-dire le côté objet plus ou moins trouvé, plus ou moins bizarre mais en ut rattaché à la tradition. Schaeffer, bref, en toute simplicité, a assumé le rapport à la tradition et le lien avec le futur.