Rencontre avec le conteur Pierre Pous
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Notice
Résumé
Au cœur du Pays de Sault, dans le département de l'Aude, l'ethnologue Daniel Fabre interroge Pierre Pous sur la transmission familiale des contes. Pierre Pous parle de cet héritage, qu’il tient de ses grands-pères. Puis, il évoque les coutumes qui diffèrent légèrement d'un département à l'autre, les veillées propices aux histoires, l’amour de la lecture des anciennes générations, la situation de l'occitan dans sa jeunesse. Pierre Pous souligne également l'importance des influences extérieures, telles les histoires rapportées d’autres territoires, apprises lors des migrations saisonnières.
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Date de diffusion :
29 juin 1983
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Contexte historique
Par
Cet extrait, de par les protagonistes qu’il rassemble, peut être vu comme une page de l’histoire en construction d’une ethnologie autochtone. Daniel Fabre, anthropologue, conduit Marc-Henri Piaule (anthropologue, concepteur de la série d’émissions Tiers-lieux dits : essai pour une ethnologie visuelle en Occitanie) et Luc Bazin (anthropologue, cinéaste et auteur de nombreux documentaires ethnologiques sur le milieu maritime, lagunaire et fluvial en Languedoc) sur son terrain de recherche, le Pays de Sault, à la rencontre de son ami et témoin privilégié Pierre Pous.
Carcassonnais, Daniel Fabre fait des études de Lettres à l’Université de Toulouse. Dès les années 1960, il se donne une formation en anthropologie du domaine occitan à travers les cours du dialectologue Jean Séguy et ceux de René Nelli, philosophe, écrivain et historien du catharisme. Il rencontre le conte et la littérature orale alors qu’il est maître auxiliaire au collège Stanislas de Carcassonne, où les familles du Pays de Sault envoient leurs enfants. Ces derniers vont lui fournir les premiers éléments d’une tradition vivante avant qu’il n’aille à la rencontre de leurs parents et voisins. De là naît un projet de recherche sur le conte occitan (maîtrise et thèse), en collaboration avec Jacques Lacroix et dirigé par l’archéologue préhistorien Jean Guilaine. La rencontre avec Pierre Pous date de ces premières années.
Les chercheurs font donc face au conteur – au sens de Daniel Fabre : ils l’inventent, le révèlent à la connaissance de tous. La puissance de l’image décuple la renommée du témoin au-delà des limites cantonales. Et c’est à un voyage immobile, dans le temps et dans l’espace, que nous convie Pierre Pous. La généalogie de l’oralité passe par les grands-parents et les longues soirées d’hiver, où la neige coupe le Pays de Sault du reste du monde. Pour autant la pratique « ordinaire » de l’écriture dans les marges des almanachs ou sur de petits carnets, comme de la lecture des ouvrages de la bibliothèque scolaire sont coutumières de cet univers. La perte de ce savoir comme de la langue qui le porte est imputée à l’introduction de la télévision, mais surtout à la déneigeuse qui désenclave le territoire et l’ouvre à la circulation des hommes.
Moment privilégié et extrêmement rare, Pierre Pous dit l’instant où il s’est mis à recomposer, à se remémorer les contes par sa rencontre avec le chercheur. Si l’oralité n’est pas sollicitée, rien n’existe, si le chercheur sait la déceler c’est un chemin de reconquête qui s’élabore ; le conte reprend alors sa place dans la longue chaîne de la transmission orale.
Pierre Pous aura transmis un répertoire conséquent à Daniel Fabre, il lui aura permis d’interroger les pratiques ordinaires de l’écriture et d’observer les échanges constants entre écrit et oral.
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
Daniel Fabre
Et le Pays de Sault c'est ce plateau pyrénéen qui est inclus dans le département de l’Aude, tout près de la montagne, qui a été rendu célèbre, il y a peu de temps, par Pierre Pous, qui est un vieil ami, puisque nous nous connaissons maintenant depuis plus de 10 ans.Et Pierre Pous est quelqu’un qui possède l’art de dire le pays, dire son histoire, dire ce que les vieux lui ont dit.Mais je crois qu’aujourd’hui nous sommes ensemble moins pour l’entendre raconter, pour l’entendre transmettre son savoir que pour discuter très librement avec lui sur la façon dont il a pu l’acquérir et sur les occasions qu’il a, encore aujourd’hui, de le transmettre.
Marc Henri Piault
Oui, c’est ça.Ce qu’on aimerait savoir c’est un peu… comment vous avez appris à dire, si on peut dire ?Ou est-ce que vous avez appris à dire ?Où et comment vous avez appris à dire ?Comment ça vient ?
Pierre Pous
Ça vient… ça vient depuis mon enfance.Ça vient de mes grands-parents principalement.
Marc Henri Piault
Hum.
Pierre Pous
De mon grand-père maternel qui était un grand bavard, un grand conteur, qui aimait beaucoup parler aussi, de mon père et de mon grand-père paternel aussi, des deux grands-pères quoi.
Daniel Fabre
Et d’où étaient-ils ?Parce qu’ils avaient deux traditions différentes.
Pierre Pous
Oui, ils avaient deux traditions un peu différentes parce que mon grand-père maternel était de Campagna, un petit village à la limite de l'Ariège et mon grand-père paternel était du Clat.
Marc Henri Piault
Hum.Hum.
Pierre Pous
Un petit village sur les cailloux au-dessus d'Axat.
Marc Henri Piault
Hum.Hum.
Pierre Pous
C'était pas très loin mais il y avait une petite différence d’accent et de…
Marc Henri Piault
La langue n’était pas la même ?
Pierre Pous
Oui, la langue c’est toujours la même mais l’accent est un peu différent.
Marc Henri Piault
Hum.Hum.
Pierre Pous
Le…
Daniel Fabre
Et ce qu’ils racontaient l’un et l’autre, ce n’était pas tout à fait pareil ?
Pierre Pous
Oh, ça se ressemblait beaucoup.
Daniel Fabre
Oui.
Pierre Pous
Mais ce n’était pas tout à fait pareil.
Daniel Fabre
Oui.Oui.
Pierre Pous
Autrefois, il n’y avait pas la télévision.Il n’y avait pas le chasse neige.
Marc Henri Piault
Ah oui.
Pierre Pous
On restait bloqué pendant trois mois l’hiver. Et l’hiver, qu’est-ce que vous… que faire pendant l’hiver ?On se réunissait au coin du feu et voilà et là, on racontait… Les anciens parlaient de ce qu’ils avaient fait quand ils étaient jeunes.Moi j’écoutais.
Marc Henri Piault
Hum.Hum.Oui.
Pierre Pous
Moi, j’écoutais.Il me semblait que je n’avais rien entendu quoi.Et c’est quand ils n’ont plus été là que je me suis rendu compte de tout ce qu’ils m’avaient dit.
Marc Henri Piault
C'est ça oui.
Pierre Pous
Puis…
Marc Henri Piault
C’est leur disparition qui vous a fait…
Pierre Pous
Daniel est venu.Alors, il… Pour le début, c’était des contes.Il était à la recherche de contes.Je me suis rappelé les… Je me suis souvenu de ces contes.Et un par un.On en a reconstitué pas mal à force.
Daniel Fabre
Et est-ce que les vieux lisaient ?
Pierre Pous
Oui cette génération, ils voulaient lire parce qu’ils avaient souffert auparavant de l’ignorance.Ils voulaient se sortir du joug de l'ignorance. Et ils cherchaient à se documenter.Ça les intéressait.Par exemple, [inaudible] il me demandait. Je le lui portais.Il y avait une bibliothèque à l’école.
Marc Henri Piault
Hum.Hum.
Pierre Pous
Alors, il me disait : "Tu me porteras des livres".
.
Marc Henri Piault
Ah oui, à vous enfant, il…
Pierre Pous
Oui à moi.Il me demandait régulièrement. A l'instituteur, je demandais un livre pour mon grand-père.
Marc Henri Piault
Ah, ah !
Pierre Pous
L’instituteur, lui comprenait.D’après lui, ce qui intéressait mon grand-père, vous voyez ?Il me donnait des livres susceptibles de l’intéresser.
Marc Henri Piault
Hum.Hum.
Daniel Fabre
Et il les prenait quand il allait…
Pierre Pous
Il les prenait avec les moutons quand il allait… parce qu’ils avaient les moutons en commun.Ils y allaient un jour chacun.
Daniel Fabre
Quand on a commencé à se voir, sur ton carnet…
Pierre Pous
Oui.
Daniel Fabre
Tu notais…
Pierre Pous
Ah oui, j'ai la manie de faire… J’ai des petits carnets journaliers, des petits carnets de bord sur lesquels je mets ce que j'ai fait de ma journée là depuis tout à l’heure.De temps en temps, je mets une petite… quelque chose qui me plaît.
Marc Henri Piault
Tu l’as ton carnet-là ?Tu l’as toujours sur toi ?
Pierre Pous
Oui, celui de cette année, oui je l’ai.
(Silence)
Pierre Pous
Si tu veux voir...
Daniel Fabre
C’est celui de 1983 alors.Là, qu’est-ce que tu as, oh là, il est plein.
Intervenant
Il est bourré d’histoire.
Marc Henri Piault
Il y a plein de trucs alors.Il s’est passé beaucoup de choses…
Pierre Pous
Oui.
Daniel Fabre
Ah oui, il y a du bleu et du rouge.
Pierre Pous
Oh oui.
Marc Henri Piault
Ça veut dire quelque chose ou pas ?
Pierre Pous
Oui.C’est comme ça.J’essaie de mettre en rouge ce qui est peut-être un peu plus… un peu plus… pour le voir quoi, pour attirer l’attention.
Marc Henri Piault
Les plus importants.
Pierre Pous
Plus importants.
Marc Henri Piault
Les jeunes qui ne savent pas ces histoires ?
Pierre Pous
Voilà.
Marc Henri Piault
Eh bien...
Pierre Pous
Ça va mourir comme ça.
Marc Henri Piault
Puis ils se coupent de leur… de leur…
Pierre Pous
De leur pays.Non, et puis, ils ne parlent pas occitan aussi.On dirait qu’ils se font un honneur de ne parler que français.Ils ne veulent pas parler.
Marc Henri Piault
Ils refusent de parler occitan ?
Pierre Pous
Oui.Ça fait comme une tare.
Marc Henri Piault
Ça, parce qu’on leur a appris ça non ?
Pierre Pous
Alors que nous autres, non. Même à l'école, nous.Dans notre temps, c’était interdit de parler français.
Marc Henri Piault
Justement.
Pierre Pous
De parler occitan et on parlait occitan.C’est-à-dire que l’instituteur était assez souple.
Marc Henri Piault
Ah oui, quand même.
Pierre Pous
Il n’était pas bête quand même.
Marc Henri Piault
Mais euh… mais c’est resté longtemps à l’école de parler occitan ?
Pierre Pous
Même, certains instituteurs nous apprenaient des chansons en occitan.
Marc Henri Piault
Ah bon !
Pierre Pous
Les seules chansons que je sais en occitan.Je les ai apprises à l’école.
Daniel Fabre
Ah bon !
Marc Henri Piault
C’est un instituteur qui venait d’où ?
Pierre Pous
Il y en avait un de Chalabre.
Marc Henri Piault
Ah oui.
Pierre Pous
Ils étaient de par ici.L’autre de Carcassonne.
Marc Henri Piault
C’est ça oui.
Pierre Pous
Alors ceux-là... ils ont compris sans doute le danger.Alors,ils avaient agi.
Marc Henri Piault
Alors, pendant la récréation quand vous parliez occitan, ils faisaient…
Pierre Pous
Pfff !On jouait à la foire ! Jouer à la foire en parlant français ?!.Surtout pas !
(Silence)
Pierre Pous
C’est impossible.Les filles, les filles oui.Les filles, on avait réussi à les faire parler français.
Marc Henri Piault
Ah bon !Plus facilement.
Pierre Pous
Ah oui, les filles, on les avait domptées.
Marc Henri Piault
Est-ce qu’il y a une différence entre les histoires que racontent les hommes et les histoires que racontent les femmes ?C’est les mêmes histoires ou c’est différent ?
Pierre Pous
Quand c’était les histoires et que c’était les contes, c’était les mêmes.
Marc Henri Piault
Ah, ah !
Pierre Pous
Mais les histoires, c’était différent parce que les femmes racontaient des histoires de femme.
Marc Henri Piault
Oui.
(Silence)
Pierre Pous
Elles racontaient quand elles allaient moissonner, quand elles allaient vendanger.
Daniel Fabre
Oui, parce que ce qui joue un très grand rôle aussi dans ces histoires c’est qu’on est dans un pays qui semble fermé comme ça, qui semble loin de tous les centres mais les gens circulaient beaucoup dans le temps.
Pierre Pous
Eh oui !Ils partaient à pied mais ils partaient quand même.Oui.
Daniel Fabre
C’est-à-dire, on allait dans les plaines, on allait…
Pierre Pous
Oui, en hiver par exemple, pour ce qui était des hommes,Il y en avait un qui partait au [pays bas], puis il se louait pour aller, pour bécher les vignes, pour moissonner, pour…
Daniel Fabre
Et de là, on ramenait…
Pierre Pous
On ramenait toujours quelque chose.On avait toujours appris quelque chose.On avait… Il s’était passé quelque chose.Ça faisait une… des histoires… ça alimentait le feu des histoires au coin de la cheminée après.
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Date de la vidéo: 21 nov. 1992
Durée de la vidéo: 05M 51S