Qui découvre la poésie de Marcelle Delpastre, son évidence et sa force évocatrice, est toujours saisi d’émerveillement. Elle incarne, aux côtés d’autres auteurs comme Jean Boudou, Bernard Lesfargues, Félix Castan ou encore Bernard Manciet, souvent admirés bien au-delà des frontières de l’Occitanie, l’extraordinaire renouveau de la littérature occitane contemporaine. Paysanne de Corrèze, écrivaine impressionnante, en marge des courants de l’occitanisme, Delpastre s’impose à partir du milieu des années 1970 comme un monument de la littérature occitane.
C’est essentiellement la Marcelle Delpastre paysanne et ethnologue que montre le film. Certes, elle a assumé ce métier qui a été celui de toute une vie. Mais cette vie était double, entre travaux agricoles et écriture. Elle est aussi l’auteur d’une œuvre littéraire immense, dont l’ethnographie n’est qu’une facette, néanmoins importante.
Née en 1923 et décédée en 1998 à Germont (Corrèze) dans une famille de paysans dont le père parlait français et la mère occitan, après son bac - chose rare pour les femmes de son temps en milieu agricole - Delpastre suit pendant un an les cours de l’École des Arts Décoratifs de Limoges. Elle revient cependant à la ferme familiale en 1945 et ne la quitte plus jusqu’à sa mort. Son œuvre est aussi celle d’un témoin direct de la fin d’un monde économique, social, technologique et aussi linguistique, d’une civilisation. Cette mort de la langue, qui est aussi mort du pays, hante l’œuvre dès les premiers poèmes : « Anei vers queu país coma aniriatz ad un amic, li borrar sus l’espatla : desvelha-te ! » (« J’allai vers ce pays, comme on irait vers un ami, lui taper sur l’épaule : réveille-toi ! ») écrit-elle dans « Queu país » (Saumes Pagans, ed. Novelum, 1974).
Dans ses travaux d’ethnologie, elle se consacre à l’analyse des croyances populaires et livre ses études à la Société d’ethnographie du Limousin et de la Marche, qui lui ouvre les pages de la grande revue de la culture du limousin, Lemouzi, fondée en 1893 par le Félibrige limousin. En 1964, elle y rencontre Jean Mouzat (1905-1986), universitaire, éditeur et poète limousin, qui lui révèle la richesse littéraire de sa langue et qui la pousse à l’écriture en occitan. Elle délaisse très tôt les formes versifiées classiques pour se tourner vers le psaume, comme en témoigne le titre de son premier recueil, Saumes pagans, dont la publication en 1974 par l’Institut d'études occitanes (IEO) aux éditions Novelum, la révèle véritablement au milieu des écrivains et intellectuels occitans.
Avec Jan dau Melhau et Micheu Chapduelh, deux personnalités de la jeune génération de l’action et de la création occitanes en Limousin, elle fonde en 1976 la revue Lo Leberaubre. Cette revue au format original, assumant sa facture artisanale, souhaite exalter l’âme populaire limousine sous le programme affiché en couverture : « Per balhar de las raiç au leberon e far corre l’aubre la nuech » (« Pour donner des racines au loup-garou et faire courir l’arbre la nuit »). Lo Leberaubre publie de nombreux textes de Delpastre, dont le recueil Lo sang de las peiras (1983), qui recevra le prix Méridien de la ville de Montpellier.
Dans les années 1990, Delpastre connaît le succès parisien, suite à la parution chez Payot du premier tome de ses mémoires, Les chemins creux. Cette expérience de la capitale - elle est notamment passée dans l’émission télévisée Apostrophes de Bernard Pivot - lui laisse cependant un goût amer : elle se sent rejetée de la sphère intellectuelle qui n’est pas prête à accepter de voir une paysanne faire œuvre de poète.
Cette oeuvre a été peu à peu éditée par Jan dau Melhau aux éditions du Chamin de Sent Jaume où Micheu Chapduelh poursuit l’esprit original de l’œuvre ethnologique de Delpastre dans la collection « De temps pacans ».