François Chalais
Si ce festival n'est pas riche en vedettes, du moins, nous a-t-il valu quelques rencontres d'une haute qualité.
Voici, par exemple, William Wyler, un des cinq ou six plus grands metteurs en scène du monde.
William Wyler, je voudrais d'abord faire le point de vos origines.
Quand on lit vos biographies, on apprend que vous êtes d'origine française, vous êtes alsacien, vous êtes né à Mulhouse.
Est-ce que c'est vrai ?
William Wyler
Je suis d'origine suisse.
Je suis né à Mulhouse mais je suis d'origine suisse.
Puisque mon père était suisse.
Je suis né, et élevé à Mulhouse, en Alsace.
Jean Cocteau
Est-ce que qu'il vous reste des souvenirs de l'époque où vous étiez en Alsace ?
William Wyler
Ah oui, beaucoup. J'ai passé toute ma jeunesse à Mulhouse.
Je suis allé à l'école.
J'ai encore beaucoup d'amis de jeunesse à Mulhouse, et j'y vais toutes les fois que j'ai l'occasion.
François Chalais
Que faisaient vos parents ?
William Wyler
Mes parents sont morts.
François Chalais
Mais votre père faisait quel métier ?
William Wyler
Il a un magasin, à Mulhouse, que nous avons encore.
François Chalais
Que vous avez encore ?
William Wyler
Oui. Et qui reste continuellement.
Il y a une dame, une gérante, qui mène le magasin de mon père.
Et puis, on y va de temps en temps, mon frère et moi, pour voir si ça marche.
François Chalais
Et là, ça marche bien ?
William Wyler
Là, ça marche pas mal.
François Chalais
Mais vous êtes revenu en Alsace à plusieurs occasions.
Et une de celles qui nous touchent le plus, c'est que vous êtes revenu comme aviateur pour la libération de l'Alsace.
William Wyler
J'y étais tout de suite après la libération de Mulhouse, je me suis arrangé (comme j'étais dans l'aviation américaine et Mulhouse a été libérée par la première armée française), je me suis arrangé avec mon général d'avoir la permission de visiter Mulhouse.
François Chalais
Vous vous êtes dit : " Si je dois libérer quelque chose, au moins que ça soit l'Alsace " ?
William Wyler
Oui. Malheureusement, ce n'est pas moi qui l'ai libérée.
C'était l'armée française. Mais j'y étais.
François Chalais
Voyez-vous, monsieur Wyler, ce qui est très frappant, chez vous, c'est qu'aucun de vos films n'est indifférent.
Il y a des metteurs en scène, parmi les plus grands, qui ont des hauts et des bas.
Et vous, quand on pense, justement, que vous avez fait des films aussi différents que "Les Plus Belles Années de notre vie", que "Les Hauts de Hurle-vent", que "La Vipère", que "Vacances Romaines", que "Histoire de détective", "La Maison des otages", (j'en passe parce qu'il y en a beaucoup), tous ces noms signifient quelque chose dans le domaine du cinéma.
Est-ce que vous avez une façon de choisir cette qualité ?
Comment est-ce que vous faites ?
Est-ce que vous avez une optique générale ?
Interviewer
Vous suivez une ligne ?
François Chalais
Ou c'est parce qu'un sujet se présente et qu'il vous plaît ?
William Wyler
On m'a souvent demandé si j'avais un style spécial.
Et puis, je ne m'en rends pas compte parce qu'en choisissant un sujet, il me semble que tout sujet... Comme les sujets sont différents, le style, le traitement de chaque sujet demande un traitement différent.
François Chalais
Oui, mais il y a des metteurs en scène qui ne peuvent pas choisir, justement, des styles différents.
Par exemple, on retrouve toujours, dans tous leurs films, certaines concordances d'images, certaines concordances de caractère.
Or vous, on a l'impression que c'est vous qui ne changez pas mais les milieux que vous présentez.
En général, c'est le contraire.
William Wyler
Et bien je tâche, j'espère que c'est vrai, ce que vous dites.
J'essaye de changer de style avec chaque sujets, oui.
François Chalais
Qu'est-ce que vous pensez qu'il vaut mieux avoir : du métier ou du coeur, quand on fait du cinéma ?
William Wyler
Je crois qu'il faut les deux.
François Chalais
Vous croyez qu'il faut les deux ?
William Wyler
Oui. L'un ou l'autre ne suffit pas.
François Chalais
Parlons, maintenant, du film que vous présentez au festival de Cannes, "La Loi du seigneur", avec Gary Cooper.
C'est un film absolument remarquable.
Mais peut-être, ce qui touche, ce qui me touche, personnellement, le plus, c'est qu'on y retrouve des échos des "Plus Belles Années de notre vie".
"Les Plus Belle Années de notre vie", c'est, je crois, ce que vous avez fait de plus bouleversant, et pour des tas de raisons.
Parce que ce film a été fait au moment où il devait être fait.
Avant, ce n'était pas possible et après, ça n'a plus été possible.
Pour des tas de raisons, d'ailleurs.
On dirait que vous avez profité d'une brèche.
Vous avez infiltré ce film dans cette brèche.
Et que maintenant, même ceux qui voudraient qu'il n'existe pas, ils ne peuvent rien faire : il est là.
Et bien, depuis très longtemps, nous n'avions pas entendu ce son, cette espèce d'attaque contre la violence, qui me touche, personnellement, beaucoup.
Et dans "La Loi du seigneur", qui est un film contre la violence, on retrouve de tels échos.
Et cela dont on voudrait vous remercier.
William Wyler
Et bien, comme vous disiez avant, quand vous me demandiez : " Faut-il du métier ou du coeur ? ", et je vous disais qu'il faut les deux.
Dans le cas des "Meilleures Années de notre vie", par exemple, comme je pouvais profiter du fait que j'avais fait la guerre aussi et que j'avais, moi-même, éprouvé les difficultés d'un soldat qui revient dans son foyer après quelques années de guerre...
Et pas nécessairement des difficultés financières mais toutes les difficultés d'ajustement de la vie ordinaire.
Ayant éprouvé ça moi-même, c'était beaucoup plus facile pour moi, de faire ce film.
Je n'avais pas besoin d'étudier la question.
Tandis qu'avec "La Loi du seigneur", parce que ça se passe à une époque dans laquelle je n'ai pas vécu, quand même, j'ai fait des recherches.
J'ai taché à comprendre et connaître ces gens, ces quakers, qui sont des gens magnifiques, des gens pas trop connus en France, mais des gens assez connus dans les pays de langue anglaise.
Et ce sont des gens magnifiques qui ont certains principes de religions et de vie...
Enfin, vous verrez le film !