Jacques Yves Cousteau talks about The Silent World

02 mai 1956
06m 14s
Ref. 00030

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Summary :

Interview aboard La Calypso with Jacques-Yves Cousteau, whose film The Silent World was highly successful at the festival. The captain explained how he uses the cinema to make the public aware of conquering the sea.

Media type :
Broadcast date :
02 mai 1956
Source :

Transcription

François Chalais
En fait, le plus grand succès est allé au "Monde du silence". C'est pour cela que nous nous sommes rendus à bord de la Calypso, pour bavarder un instant avec son auteur, je commandant Jacques-Yves Cousteau. A cause de vous, les Français se sont aperçus d'une chose qui les a beaucoup étonnés, c'est qu'ils s'intéressaient aux documentaires. Ils croyaient, au contraire, les détester. Parce qu'en général, la plupart des documentaires sont mal faits, donc ennuyeux. Or les vôtres, qui aboutissent, maintenant, à ce merveilleux film qu'est "Le Monde du silence" les a passionnés. C'est assez étrange de penser que vous n'étiez pourtant pas, au début, un cinéaste professionnel ?
Jacques-Yves Cousteau
Non, pas du tout, même. Mais il n'en est pas moins vrai, cependant, que je me sers des documents cinématographiques dans certains buts, soit scientifiques, soit historiques, depuis près de vingt ans. Et j'ai toujours considéré le cinéma, dans la vie moderne, non pas comme un accessoire mais un levier extrêmement puissant tant pour convaincre les gens que pour faire des démonstrations, ou pour condenser, dans une période de temps assez réduite, l'expérience de plusieurs mois ou de plusieurs années de travail.
François Chalais
Comment est-ce que l'idée vous en est venue, de faire des films ?
Jacques-Yves Cousteau
Je crois que j'ai commencé à faire des films à partir du moment où j'ai constaté que nos camarades et moi, nous avions quelque chose à dire, à faire connaître au public. Vous voyez, à notre époque, je suis convaincu que rien ne peut se faire sans un large appui de l'opinion publique. Rien d'important, en tout cas. Et si nous voulons, par exemple, expliquer qu'il est nécessaire, pour l'humanité, d'entreprendre la conquête de la mer, et bien il faut que le public en soit convaincu. Tout ça va de pair. A notre époque, on ne peut rien faire sans s'associer largement l'opinion publique.
François Chalais
Pourquoi est-il nécessaire que nous fassions la conquête de la mer ?
Jacques-Yves Cousteau
Ça, c'est, je crois, une nécessité qui devient plus évidente chaque jour car vous savez qu'un des principaux soucis des services internationaux des Nations Unies, par exemple, c'est de constater que déjà, plus de la moitié du monde à faim. Que d'autre part, des ressources en matière première risquent de devenir très insuffisantes dans un temps rapproché. Il n'est pas sûr que la mer soit capable de satisfaire tous ces besoins. Mais en tout cas, il est certain qu'elle pourra diminuer la marge déficitaire, si vous voulez, des ressources.
François Chalais
Est-ce que vous pensez qu'un jour, nous arriveront à explorer le fond de la mer ? Le vrai, le fond, le plus lointain de la mer ?
Jacques-Yves Cousteau
J'en suis absolument persuadé. Déjà, mes camarades Houaut et Wilm ont fait ces plongées remarquables en bathyscaphe à 4050 mètres, plongée qui n'est pas seulement un record, qui est un indice, du fait que plusieurs nations se sont intéressées à ceci, à cette conquête de la mer. Et je suis convaincu que dans très peu d'années, l'homme parviendra au fond des abysses les plus profondes.
François Chalais
Qu'est-ce que les films que vous avez tournés vous ont appris, dans le domaine de l'océanographie ?
Jacques-Yves Cousteau
Et bien, nous nous sommes servis de documents photographiques, surtout, cinématographiques aussi dans une moindre mesure, pour descendre, pour explorer, si vous voulez, des profondeurs où l'hommene peut pas encore aller, là où on ne peut aller qu'avec un bathyscaphe, c'est-à-dire au moyen de dépenses considérables. Comme routine, ici, à bord de la Calypso, nous descendons une caméra utilisant le film cinématographique et prenant 800 photos en trois heures, à n'importe quelle profondeur. Alors, là, nous avons vraiment quand même des documents tout a fait nouveaux.
François Chalais
Il ne faut pas oublier, en effet, que grâce à des gens comme vous, les gens qui se trouvent dans leur fauteuil, dans des petites villes ou dans de plus grandes, qui n'auraient jamais vu certaines choses, peuvent les voir, maintenant, sans étonnement. Ils en savent plus que les plus savants d'il y a seulement quelques années.
Jacques-Yves Cousteau
C'est vrai. Mais ça, c'est le miracle du cinéma. C'est vrai également dans le domaine de l'astronautique, c'est vrai dans le domaine microscopique, par exemple. Une foule de gens qui n'auraient jamais regardé dans un microscope peuvent voir les films du docteur Comandon, par exemple. Donc, le miracle du cinéma, c'est de diffuser largement, de faire connaître aux foules des choses que jamais ils n'auraient l'occasion de rencontrer.
François Chalais
Moralité : nous vivons quand même une époque bien intéressante.
Jacques-Yves Cousteau
Une époque absolument passionnante qui le deviendra, d'ailleurs, de plus en plus, j'en suis persuadé.
François Chalais
Pour terminer, je voudrais savoir si vous êtes d'accord avec cette thèse qui dit que le poisson, les êtres maritimes, aquatiques étaient à l'origine des espèces vivantes risquent également d'être à leur fin ?
Jacques-Yves Cousteau
Ecoutez, ne parlons pas de la fin. Parce que là, nous sommes réduits à des hypothèses pures. Mais en ce qui concerne l'origine, il y a d'excellentes raisons de croire que l'océan a été le berceau de la vie. D'abord parce que tous les êtres vivants ont un milieu interne qui se rapproche beaucoup du milieu marin lui-même. Donc, de là à croire que la première cellule a été formée au sein des eaux, il n'y a qu'un pas. Ce n'est pas une certitude scientifique mais c'est une très grande probabilité. En ce qui concerne l'avenir des espèces et de l'humanité en particulier, là, je me refuse à faire la moindre hypothèse parce que c'est de la science fiction et ça ne m'intéresse pas.
François Chalais
Vous devez partir très prochainement. Vous partez quand ?
Jacques-Yves Cousteau
Nous partons mardi prochain.
François Chalais
Pour une nouvelle expédition ?
Jacques-Yves Cousteau
Oui. Nous allons sur la côte ouest, sur la côte d'Afrique équatoriale, au large du Gabon, dans la baie de Biafra qui est extrêmement peu connue et extrêmement riche en vie marine, que nous allons explorer avec de nombreux savants du Muséum national d'Histoire naturelle.
François Chalais
Est-ce qu'on en verra un film ?
Jacques-Yves Cousteau
Et bien, vous savez que... En principe, non. Mais je ne peux pas vous l'affirmer parce que tout ce que nous faisons, depuis des années est automatiquement enregistré à bord par le cinéaste de l'expédition. Est-ce que ces films vaudront la peine d'être montrés ou non ? Je n'en sais rien à l'avance. De toute façon, ils seront faits. Ils sont accumulés comme nous faisons depuis des années. Et à l'occasion, lorsque nous estimons que nous avons, sur nos étagères, un sujet, alors, on le sortira.