François Mitterrand parlementaire
Présentation
De sa première élection en 1946 à son accession à l’Elysée en 1981, François Mitterrand n’a cessé d’appartenir au Parlement, à l’exception d’une brève période en 1958-1959 où, emporté par la vague gaulliste, il perd son siège de député de la Nièvre, avant d’être élu au Sénat où il retrouvera son statut de parlementaire.
L’apprentissage de la vie politique en République parlementaire
Lorsque François Mitterrand entre à l’Assemblée nationale comme député de la Nièvre, la culture politique des Français assimile l’idée de République à celle de la prépondérance du Parlement (et spécifiquement de l’Assemblée nationale) dans les institutions.
Héritière sur ce point de la IIIe République, la IVe République voit dans le Parlement le représentant légitime de la souveraineté de la nation et éprouve la plus grande méfiance envers un pouvoir exécutif toujours porté à abuser de ses pouvoirs. C’est dans cette conception qu’il partage que le jeune François Mitterrand fait ses premières armes politiques. Toutefois, membre d’un petit parti centriste presque toujours associé au pouvoir, l’UDSR, et, de ce fait, siégeant plus souvent dans les conseils de gouvernement que sur son banc de député, son expérience de la vie parlementaire s’opère à partir de la nécessité de satisfaire la majorité de coalition qui soutient le ministère, puisque toute défection au sein de celle-ci risque de jeter bas la combinaison gouvernementale dont il fait partie.
Aussi réfléchit-il très tôt aux conditions de la parole publique, aspect fondamental de la vie politique parlementaire. Comment parvenir à la fois à traduire en termes clairs sa propre pensée, tout en l’adaptant aux publics variés auxquels doit s’adresser un orateur politique ?
François Mitterrand à propos de son éloquence
François Mitterrand y parvient sans difficulté et ses qualités oratoires le font fréquemment désigner à l’Assemblée nationale, dans la presse ou à la radio pour défendre en diverses occasions le point de vue gouvernemental dans des dossiers difficiles et qui suscitent des réactions hostiles.
La défense de la République parlementaire contre le pouvoir gaulliste
Le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958 change profondément la donne pour François Mitterrand. Si la Ve République maintient l’existence d’un Parlement à deux Chambres, ses pouvoirs sont singulièrement réduits au profit d’une prépondérance du président de la République dans les institutions instaurée par la Constitution de 1958 et encore renforcée par la pratique institutionnelle du général de Gaulle.
Par ailleurs François Mitterrand perd son siège de député et s’il peut disposer à partir de 1959 de la tribune du Sénat pour faire valoir ses vues, l’écho de celle-ci est peu audible dans l’opinion. Jusqu’en 1962, le sénateur de la Nièvre est pratiquement absent du jeu politique. Il s’y trouve réintroduit par la formation du « Cartel des non », rassemblant tous les partis opposés au référendum proposé par le général de Gaulle pour instaurer l’élection du Chef de l’Etat au suffrage universel (à l’exception des communistes), et auquel François Mitterrand fait adhérer l’UDSR.
Si le « oui » souhaité par le général de Gaulle l’emporte sans discussion, les élections qui suivent en novembre 1962 permettent à François Mitterrand de retrouver son siège de député de la Nièvre grâce au désistement au second tour des candidats socialiste et communiste. Sa voie est désormais tracée : il sera le procureur impitoyable du pouvoir personnel, l’adversaire irréconciliable de la conception gaulliste du pouvoir, en s’efforçant d’obtenir dans ce combat l’appui des partis de gauche.
En attendant, François Mitterrand siège à l’Assemblée nationale dans les rangs du « Rassemblement démocratique » qui rassemble les députés radicaux conduits par Maurice Faure, le « Centre républicain » d’André Morice et les élus de l’UDSR, soit un centre-gauche antigaulliste.
Il lance son offensive en avril 1964, alors que se profile à l’horizon la première élection présidentielle du président de la République au suffrage universel. Car, à la différence de la plupart des dirigeants de la gauche qui, contestant cette procédure, n’entendent y participer d’aucune manière, François Mitterrand a compris que jamais les Français ne renonceront au droit d’élire eux-mêmes le Chef de l’Etat, et qu’il est donc nécessaire de s’en accommoder.
Toutefois, son intervention à l’Assemblée nationale est une contestation sans concession de la lecture que fait le général de Gaulle de la Constitution de la Ve République, qui aboutit à l’exercice d’un pouvoir personnel sans partage.
François Mitterrand sur la responsabilité du gouvernement face au parlement
Quelques jours plus tard, il fait paraître un ouvrage qui détaille son réquisitoire et dont le titre parle de lui-même, Le Coup d’Etat permanent.
Désormais, la tribune parlementaire lui permet, en attaquant la politique gouvernementale dans ses aspects essentiels, par exemple dans le choix du nucléaire comme fondement de la politique de défense de la France, d’apparaître comme le porte-parole de l’opposition.
François Mitterrand contre la loi de programmation militaire de 1964
Aussi, lorsqu’à l’automne 1965, les partis de gauche sont à la recherche d’un candidat pour affronter le général de Gaulle lors de l’élection présidentielle prévue en décembre, François Mitterrand peut-il proposer sa candidature, acceptée par ses partenaires.
Du même coup, il voit sa stature politique changer. Ayant mis en ballottage le général de Gaulle au premier tour, rassemblé 45% des votes des Français au second, il apparaît sans conteste comme un des chefs de l’opposition. Statut qu’il confirme en réussissant à réunir sous son autorité la majorité de la gauche non communiste au sein d’une Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS) dont il devient le président et au nom de laquelle il constitue un « contre-gouvernement ».
Désormais, il apparaît comme le principal chef de l’opposition et se sert de la tribune parlementaire pour clouer au pilori non seulement le pouvoir discrétionnaire du Chef de l’Etat, mais aussi sa volonté de marquer son indifférence vis-à-vis du Parlement, et une politique étrangère nationaliste qui confine la France dans l’isolement.
Les élections du printemps 1967 qui ont représenté un échec pour la majorité (qui ne conserve son statut que grâce à quelques élus d’outre-mer) l’encouragent à poursuivre son offensive. En septembre 1967, la gauche remporte un succès aux élections cantonales avec 49,8% des suffrages exprimés.
Aussi dès la rentrée parlementaire, François Mitterrand dépose-t-il une motion de censure contre le gouvernement qui a pris durant l’été des ordonnances et y affirme-t-il la capacité de la gauche à diriger le pays.
François Mitterrand demande une motion de censure
On peut alors penser que François Mitterrand est sur le point de réussir dans sa lutte contre le pouvoir gaulliste. Mais la crise de 1968 va ruiner ses espoirs en conduisant les partis de gauche à la division et en renforçant la majorité.
Sur le chemin du pouvoir
Pour François Mitterrand, tout semble à refaire durant la décennie qui suit.
Sans doute reste-t-il député et a-t-il acquis une stature et une notoriété d’homme d’Etat. Mais la démission du général de Gaulle en avril 1969 ne mène pas à la chute du système qu’il avait mis en place : Georges Pompidou lui succède, et après la mort de celui-ci en 1974, Valéry Giscard d’Estaing devient président à la tête d’une majorité de droite.
Mais François Mitterrand, fort du prestige acquis entre 1964 et 1968, va patiemment réunir les conditions d’un succès futur. En 1971, il adhère au parti socialiste et en devient Premier secrétaire. En 1972 est signé sous son égide le Programme commun de la gauche unissant socialistes, communistes et radicaux. Il peut désormais s’exprimer au Parlement au nom de la gauche tout entière et les victoires électorales de celle-ci aux municipales et aux cantonales paraissent annoncer le succès aux élections législatives du printemps 1978.
Encore une fois, le destin se met en travers de ses projets. Le parti communiste, inquiet de se voir marginalisé au sein de l’union de la gauche, choisit de formuler des exigences inacceptables, qui conduisent à l’automne 1977 à la rupture du Programme commun.
Toutefois, si en raison de cette surenchère, la gauche perd une nouvelle fois les élections législatives, François Mitterrand tient à garder l’initiative. A la rentrée parlementaire, il dépose au nom du Parti socialiste une motion de censure contre la politique d’austérité du gouvernement Raymond Barre, lui opposant les propositions économiques du Programme commun.
Dépôt d’une motion de censure contre le gouvernement Barre
Il réaffirme ainsi son statut de chef de l’opposition et s’affirme, face au président Giscard d’Estaing comme son très vraisemblable rival à l’élection présidentielle de 1981.
Après 23 ans d’opposition où le Parlement a servi de caisse de résonance nationale à ses idées, François Mitterrand est aux portes du pouvoir.