Dépôt d’une motion de censure contre le gouvernement Barre

04 octobre 1978
11m 59s
Réf. 00182

Notice

Résumé :
Déclaration de François Mitterrand, premier secrétaire du PS à l'Assemblée nationale lors de la discussion sur la motion de censure déposée par le Parti socialiste visant à sanctionner la politique du gouvernement car la situation économique et sociale de la France ne cesse de se dégrader.
Type de média :
Date de diffusion :
04 octobre 1978

Éclairage

Quand François Mitterrand prononce ce discours, le 4 octobre 1978, à l’Assemblée nationale, il est - au-delà d’être député - une personnalité politique de premier plan, depuis qu’en juin 1971, lors du congrès d'Épinay, il fut élu premier secrétaire du Parti socialiste.

Il se trouve cependant, cette année-là, dans une conjoncture plutôt défavorable. En septembre 1977, l'aventure du Programme commun de gouvernement - signé en juin 1972 avec le Parti communiste et le Mouvement des radicaux de gauche - s’est interrompue ; et les élections législatives de mai n’ont pas permis à la gauche d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale.

Il lui faut alors rassembler son camp et maintenir son leadership dans la perspective des prochaines élections présidentielles. Une motion de censure socialiste contre le Gouvernement, déposée dès l’ouverture de la session parlementaire, lui en donne l’occasion.

Pour la défendre, le député de la Nièvre s’attaque dans son discours à la politique menée par le Premier ministre Raymond Barre ; ce dernier, confronté aux hausses du chômage et de l'inflation liées à la crise économique mondiale des chocs pétroliers, mène, depuis deux ans, une politique d'austérité.

Ainsi, dans son exposé des motifs, la motion de censure peut-elle dénoncer que : « depuis les élections législatives, la situation économique et sociale de la France n’a pas cessé de se dégrader malgré les promesses électorales du président de la République, du gouvernement et de leur majorité : récession économique, aggravation du chômage, accélération de l’inflation qui ampute le pouvoir d’achat des travailleurs et des familles, reprise du déficit extérieur, déficit des finances publiques (budget, Sécurité sociale). La politique du gouvernement est devenue insupportable pour la majorité de nos compatriotes. Elle met en péril l’avenir du pays et de sa jeunesse. »

Le premier secrétaire du Parti socialiste avance alors qu’une autre politique peut être menée, différente de celle « des coups pour rien », et il montre que les socialistes en ont fait la preuve, tout au long du siècle, en remémorant les avancées économiques et sociales qu’ils ont permis. Cela lui offre l’opportunité d’avancer des propositions alternatives tirées du Programme commun, comme l’ouverture de nouveaux droits aux salariés et l’amélioration de leur pouvoir d’achat, l'allègement de la charge fiscale des moins favorisés, l’imposition du capital, l’indexation de l’épargne populaire, ou la gestion démocratique des entreprises par les travailleurs. 

Outre le fait de dénoncer la politique du Premier ministre, cette motion de censure permet également au député d’atteindre le président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, et ainsi de se hisser de nouveau en challenger face à celui qui le battit d’à peine 400 000 voix en 1974.

La motion de censure échoua de peu, mais elle conforta l’objectif qu’avait en ligne de mire François Mitterrand : l’élection présidentielle de 1981.
Pierre Gaudibert

Transcription

François Mitterrand
Comment, Monsieur le Premier ministre, comment pourriez-vous et le gouvernement avec vous, être entendus, compris, suivis ; alors qu’à peine un an après avoir arrêté les mesures pour la sidérurgie, après avoir convié les syndicats à signer une convention sociale, ce que certains d’entre eux ont refusé, vous avez présenté un nouveau plan pour cette même sidérurgie en laissant prévoir de nouveau 20 000 licenciements et le gâchis des investissements réalisés jamais utilisés ; un an après, convention sociale, discussion avec les partenaires et pour se moquer d’eux ; imaginer que cela sera une cause supplémentaire pour eux d’aller au rendez-vous ! Mais les travailleurs et leurs syndicats se battront pour la défense de leur emploi et de leur région ! Et dans quel esprit s’associeront-ils, je le disais, à la table d’une nouvelle négociation, alors qu’on les a mystifiés. Il est vrai que dans le même temps, le gouvernement et le patronat ont parlé d’ouverture sociale, sans doute pour canaliser le mécontentement et l’inquiétude qui ne font que grandir. Or, les socialistes ont toujours été partisans, Monsieur le Premier ministre, inutile de vous le redire, du règlement des problèmes sociaux par la négociation et la convention collective, on se souvient tout de même de 1936. Mais ils en ont une autre conception que vous, fondée sur la confiance réciproque entre les partenaires et sur la transparence des données économiques et sociales. Et que constatent-ils ? Refus de négocier sur la réduction de la durée du travail, soit à la fin de l’âge professionnel, soit pour la durée du travail hebdomadaire, soit par la cinquième semaine de congé payé ; refus de discuter sur les conditions d’emploi et de travail dans l’entreprise ; refus de fournir aux syndicats en temps utile les informations nécessaires pour qu’ils puissent participer aux règlements des problèmes de restructuration et assurer le reclassement des travailleurs concernés. En face de cela, Monsieur le Premier ministre, le groupe socialiste entend développer une autre politique. Et s’il demande la censure à l’Assemblée nationale, c’est pour prendre le Parlement à témoin et le peuple avec lui. Nous ne sommes pas à la merci d’une procédure parlementaire au demeurant recommandée par la Constitution. Nous savons fort bien quel peut être le résultat, je le disais pour commencer, de cette procédure, mais quel reproche pourrait nous être fait de ne pas avoir utilisé tous les moyens que nous confère la loi pour exprimer à cette tribune, à cette haute tribune, la pensée du groupe socialiste, la pensée des parlementaires de toute opinion, puisque ce débat permettra à chacun de dire ici ce qu’il en pense.
(Bruit)
François Mitterrand
Je ne suis pas ici pour développer l’ensemble des propositions qui nous sont chères, a contrario, vous les imaginez, oui, nous voulons, nous, que la politique reflète davantage les chances de liberté pour les individus. Oui, sur la durée du travail, démarche constante des socialistes avant la Première Guerre mondiale, en 1919, lorsqu’il a fallu en finir avec les soixante heures, et la bataille des quarante heures menée par le Front populaire !
(Bruit)
François Mitterrand
Oui, et la bataille pour la retraite, et la bataille pour que l’on puisse enfin disposer des congés payés. Plus grande liberté pour l’individu par un plus grand pouvoir pour les comités d’entreprise, par l’amélioration du pouvoir d’achat de tous ces salariés et de toutes ces personnes hors de la production, plus défavorisées, par la transformation du système fiscal en imposant le capital et en rétablissant entre salariés et non salariés l’équité nécessaire ; par l’indexation de l’épargne populaire promise dans une lettre du président de la République au Premier ministre, servant d’argument électoral et dont nous attendons depuis le 1er janvier 1978 ce qu’il en adviendra. Liberté, oui aussi, par la démocratisation de la gestion des entreprises publiques. Nous attendons, Monsieur le Premier ministre, une plus grande autonomie dans le cadre de vos fonctions et dans le cadre de vos politiques. Nous estimons qu’il est possible encore de se diriger vers la plus grande autonomie des collectivités locales, par la décentralisation des finances publiques, le renforcement des moyens et les pouvoirs des agences régionales de toutes sortes, et d’abord l’agence pour l’emploi ; par la création de banques régionales d’investissement pour aider à la création de petites et de moyennes entreprises novatrices ; par la démocratisation qui attend tellement des institutions régionales et départementales. Mais tout cela, ce ne sera possible, raison supplémentaire pour que l’Assemblée nationale censure votre politique, que si nous développons contrairement à ce que vous en avez fait, l’indépendance ou les chances d’indépendance de la France. Oui, nous pensons que c’est s’attaquer véritablement au problème de l’indépendance nationale que de préconiser la nationalisation de grands groupes industriels et du secteur bancaire plutôt que de laisser les sociétés multinationales maîtresses de notre terrain. Oui, nous pensons que c’est défendre l’indépendance nationale que de mettre en place une politique à long terme en faveur des industries de pointe capables de concurrencer les meilleurs partout sur la surface de la terre. Oui, nous pensons que c’est défendre l’indépendance nationale que de développer un plan pour l’informatisation de la société française, non pas sur les thèmes qui ont été développés par le gouvernement précédent mais sur la base d’un sens de la liberté mettant à sa disposition les grands moyens de la technologie. Et le reste, la liste est longue de tous les projets qui touchent aux développements de la France et qui n’ont été qu’effleurés. Mais voyez-vous, Monsieur le Premier ministre, il est une conclusion qui s’impose à tout exposé lorsque l’opposition et particulièrement les socialistes ont l’honneur de s’adresser au gouvernement de la France. Vous ne pourrez jamais mobiliser les énergies ni rassembler les Français derrière une politique d’envergure et d’indépendance du pays si vous ne réduisez hardiment, courageusement, continûment les inégalités qui continuent de peser à la fois sur les structures de l’inflation et sur l’état d’esprit de nos concitoyens désorientés de constater que chaque mesure prise consiste à soutenir de plus en plus la propriété et la grande propriété du capital ; tandis que le salariat et que ceux qui se trouvent rejetés hors de la production paient le prix de la crise comme ils le paient en vérité depuis le début de l’ère industrielle !
(Bruit)
François Mitterrand
Je finirais, je finirais, Monsieur le Premier ministre, comme j’ai commencé en disant, après tout, notre censure s’adresse à d’autres qu’à vous-même. Vous exécutez une politique, vous y remplissez un grand rôle en raison de votre personne et de ces capacités, mais vous êtes fidèle à la philosophie politique et économique qui est vôtre et qui nous paraît aller en contresens des nécessités exigées par la fin de ce siècle. Mais au-delà de vous, énumérons. J’appellerais la politique du chef de l’État, dont vous êtes ici - le terme ne présente rien d’insolent - le commis, comme on dit les grands commis de l’État. Vous exécutez une politique qui vient d’ailleurs, et cette politique, si je voulais la résumer d’un mot, je dirais, la politique des coups pour rien ! Qu’est-il advenu de la conférence Nord-Sud et des relations des pays industriels et des pays du tiers-monde ? Que sont devenues les propositions françaises et qui y songe ? Qu’est devenu, c’était hier, la grande commission franco-soviétique sur le développement des échanges ? Qu’est devenu, en vérité, le plan sur le désarmement hors une apparition à Genève, proposer de désarmer tandis que nous continuons d’être en valeur absolue le premier marchand d’armes du monde ! Que prétendre sur la défense des droits et des libertés dans tant de pays du monde et particulièrement des pays d’Amérique latine. Oui, vous avez agi, c’est vrai, et vous avez bien fait ! C’était votre devoir, mais vous l’avez fait, on doit le constater, pour la libération de détenus dans de nombreux pays, notamment l’Argentine. Comment comprendre cette logique que dans le même moment, nous recevions à Paris des officiers supérieurs et généraux de l’armée de ce pays pour leur vendre des armes ! Comment comprendre, comment comprendre ces contradictions qui font que toujours des coups pour rien ! Comme si la politique du premier responsable de la France consistait essentiellement à se regarder au fond des yeux dans un miroir et à constater, et à se constater, si vous voulez une précision sur la politique de Narcisse je peux vous en fournir, à tenter de donner une image de la politique au point d’en oublier la réalité ! Une image, oui, un mot qu’on lance, une proposition qui entretiendra l’espérance. Et puis, tant pis pour l’espérance, on passera à autre chose, assurer que le verbe suffira pour contenter, oui, la demande. Ainsi, ainsi, ainsi, l’opinion publique française est-elle de plus en plus sensible à l’appel des socialistes, une fraction des Français, ceux qui ont été appelés par l’imprudente audace du Conseil constitutionnel, une partie des Français vous a déjà répondu qu’il convenait de censurer et d’en finir avec votre politique. Oui, je me suis adressé, au-delà de cette Assemblée, à celui qui décide, c’est à son égard que le groupe socialiste a déposé la motion de censure aussi. On me dira ce ne sont pas les institutions, alors, ayez l’obligeance de transmettre, nous voterons à la fin de ce débat le refus des socialistes, le refus de votre politique et nous demanderons au pays d’y mettre fin !
(Bruit)