Présentation du site
L’histoire de France vue de la région Rhône-Alpes au prisme des archives audiovisuelles
Une région ou deux régions ?
Fernand Braudel dans son ouvrage L’Identité de la France (Flammarion, 1986) souligne combien l’histoire de ce qu’il appelle la « France une » est souvent contredite par l’histoire de la « France plurielle » sous-jacente, combien cette histoire de la « France une » essaie de gommer les particularismes. Cette considération ne peut qu’être ravivée à l’examen d’une histoire des mutations de la France (contemporaine) dans le second XXe siècle s’appuyant sur les ressources de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) pour la région Rhône-Alpes. Dans ce cas précis, on pourrait même aller jusqu’à dire que l’histoire « une » de la région ne doit pas gommer les particularismes départementaux qui permettent de nous interroger sur l’existence d’une identité régionale.
En effet, la région Rhône-Alpes ne renvoie à aucune évidence identitaire comme le sens commun le conçoit pour la région Bretagne ou la région Alsace. D’ailleurs, c’est la seule des 22 régions métropolitaines qui ait été, au départ divisée en deux régions. Ainsi, les programmes d’action régionale prévue par le décret du 30 juin 1955 (décret 55-873) prévoient l’existence d’une région Rhône avec cinq départements (Ain, Ardèche, Drôme, Loire et Rhône) et une région Alpes avec l’Isère, la Savoie et la Haute-Savoie. Il faut attendre le décret du 2 juin 1960, portant sur l’harmonisation des circonscriptions administratives, pour que les huit départements se regroupent en une circonscription unique d’action régionale désignée sous le nom de Rhône-Alpes. Les années 1960 sont aussi celles d’une vaste entreprise d’aménagement du territoire qui, dans le cadre du Ve plan, tire les conséquences en créant les métropoles d’équilibre où Lyon joue un rôle éminent. Cette politique, qui se poursuit pendant les années 1970, voire 1980, entraîne de multiples mutations dans le domaine du logement, de la culture, des transports ou de la recherche dont « Lumières sur Rhône-Alpes » présente de nombreuses manifestations, depuis la construction du réseau autoroutier ou la décentralisation théâtrale, jusqu’au projet de la première ligne TGV, en passant par la naissance de centres directionnels régionaux ou la conception d’une ville nouvelle à l’Isle d’Abeau. Autant de manifestations particulières de ce que, dans une conception que Braudel aurait appelé une histoire de la « France une », le sociologue Henri Mendras a nommé la « seconde révolution française ».
Images produites, conservées, diffusées
Pas d’histoire sans traces. Pour que l’historien ou l’historienne puisse pratiquer son métier il faut, d’abord, que les traces soient produites et qu’ensuite, elles soient conservées. Pour les sources audiovisuelles, on peut même faire une distinction supplémentaire puisque, dans le cadre des actualités cinématographiques ou des reportages télévisés, ce qui est diffusé n’est pas la totalité de ce qui a été filmé et conservé. Et parfois ce qui a été diffusé n’a été conservé que partiellement. Au début de la télévision, seule la part images du reportage télévisuel était enregistrée : les caméras n’étant pas dotées alors de moyens d’enregistrement du son, les reportages étaient muets. Ils étaient diffusés avec l’ajout d’un commentaire en « off », par le présentateur du journal télévisé et ce commentaire ne pouvait, pour des raisons techniques, être enregistré. C’est pourquoi les archives de cette période sont constituées de reportages muets, ce qui rend parfois difficile la tâche de l’historien-ne. Une partie de nos choix a donc été guidée par notre appréciation ou par celle des spécialistes de l’INA : telle scène muette est-elle vraiment montrable ? Nous pensons par exemple à la construction de l’un des premiers grands ensemble, celui de Bron dans la banlieue lyonnaise, dont un reportage muet montre l’édification, mais que l’absence de commentaire rend peu compréhensible.
L’histoire n’existe pas sans traces. Et si l’on s’intéresse à l’histoire du temps présent, les archives audiovisuelles régionales s’avèrent indispensables et sont pertinentes, dans leur existence, comme dans leurs manques.
Il faut souligner que, jusqu’au milieu des années 1950, les Actualités présentées dans les cinémas avant le film constituent l’essentiel des images conservées, avant que ne s’impose le médium télévisuel (voir pour les détails sur cette source le parcours « Histoire de la Seconde Guerre mondiale »). Dans un tout autre domaine, les documents concernant les activités culturelles sont en petit nombre dans les fonds conservés et concernent essentiellement les événements spectaculaires, telles les manifestations (comme la Biennale de la Danse) ou les inaugurations. La médiatisation d’un sujet renvoie parfois à sa facilité d’accès, d’où – jusqu’à la fin des années 1960 – la couverture médiatique peut être plus forte à proximité des lieux où exercent les producteurs d’images que dans des zones plus enclavées. L’agglomération lyonnaise et, plus tard, l’agglomération grenobloise accueillent des bureaux régionaux dont les ressorts rappellent le découpage des programmes d’action régionaux du milieu des années 1950 ; la couverture de l’actualité y est alors plus soutenue que dans des espaces plus éloignés des métropoles (qui n’ont pas eu tout de suite de couverture hertzienne).
Par ailleurs, pour explorer les millions de documents conservés par l’INA, les historiens sont dépendants (comme pour les archives écrites) des outils de recherche, et des catégories retenues au fil des années par les documentalistes de l’INA. La pratique de la base documentaire montre que ces catégories ne sont pas toujours homogènes et que les caractéristiques descriptives – qui sont un passage obligé pour se repérer dans le maquis des images animées – ont des focales très variables. La télévision est aussi un miroir (déformant ?) pour les téléspectateurs et sa mémoire est marquée par l’histoire même du développement et la gestion de ce médium spécifique de l’histoire du temps présent.
Les spécificités régionales
Au même titre que l’histoire, les paysages et les ressources naturelles, marquent durablement les spécificités régionales des archives audiovisuelles conservées par l’INA : la montagne, comme les fleuves ou encore les mines et les terres agricoles sont à l’origine de reportages qui concernent soit leur aménagement, soit leurs usages. C’est ainsi que le Rhône (avec ses affluents) est peut être l’organisateur et le vrai trait d’unité de la région, que les pratiques sportives sont marquées du sceau des hauteurs alpines, que les parcs naturels ont permis de protéger la nature et que les volailles de Bresse, comme les olives, la vigne et les fruits de Drôme-Ardèche, ont contribué à entretenir et enrichir une tradition culinaire bien ancrée. Autour du textile et des mines, la première industrialisation a marqué durablement les paysages ; mais la seconde industrialisation avec la production d’électricité hydraulique, puis de pétrole raffiné et enfin – malgré de fortes oppositions - du nucléaire, a fait perdurer la tradition industrielle, alliée à la recherche de haut vol, faisant de la région le premier centre français de l’industrie chimique et pharmaceutique. Tout ce tissu industriel a été irrigué par une population venue d’ailleurs, majoritairement composée de travailleurs venus des ex-colonies d’Afrique du nord que l’on voit à l’écran à partir des années 1970. Enfin, patrie du cinéma, la région Rhône-Alpes a développé autour des images animées, une industrie et des activités culturelles enrichies par le tourisme des festivals. De la capitale des Gaules, il a subsisté non seulement un patrimoine archéologique mis en valeur dans des sites et des musées, mais aussi une forte tradition religieuse qui imprègne encore les mentalités d’aujourd’hui autour de l’humanitaire. Toutes ces spécificités régionales sont lisibles dans les documents présentés dans cette fresque, comme dans les parcours, qui résultent aussi d’un choix des auteurs de cette présentation, professeurs d’histoire et membres du laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA) ainsi que de l’équipe de l’INA centre-est.
Jean-Luc Pinol et Michelle Zancarini-Fournel
LARHRA (Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes)