Provence terre de festivals
Provence terre de festivals
# Présentation
Festival de Cannes, Cannes Séries, festival d'Avignon, festival international d'art lyrique d'Aix-en-Provence, Chorégies d'Orange, festival international de piano de la Roque d'Anthéron, festival international de musique de chambre de Salon de Provence, Les Suds à Arles, Marseille Jazz des Cinq Continents, Fiesta des Suds, Delta Festival, Marsatac, festival international de cinéma (FID) dans la cité phocéenne, festival de Ramatuelle, festival de jazz d'Antibes Juan-les-Pins, Nice Jazz Festival, Nuits du Sud à Vence... Tels sont, dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, les grands noms des festivals. La réputation de certains d’entre eux est depuis longtemps internationale. Derrière ces manifestations majeures, connues et reconnues, se cache une multitude d'événements de moindre importance mais également dynamiques, comme le festival cinématographique d’automne de Gardanne, dont c’est en 2022 la 34e édition, ou le festival MANCA de musique contemporaine organisé par le centre international de création musicale de Nice. Par ailleurs, du festival du film militant d'Aubagne au festival de lutherie expérimentale, les Inovendables (Marseille) en passant par le Tour du Pays d'Aix (qui promeut le dialogue interculturel dans le pays aixois), le festival de la bande dessinée de Solliès-Ville (Var), le festival des Givrés (Forcalquier, Alpes-de-Haute-Provence) ou encore la Foire des nations (spécialités culinaires), tous les genres culturels, tous les styles artistiques et toutes les tendances sont représentés dans la région. Mieux encore : chaque année se crée un ou plusieurs festivals nouveaux, alors que la Provence occupe, avec l'Ile-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, l’Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine une des premières places en France pour le nombre de festivals. Six festivals sur dix se déroulent en effet dans l’une de ces cinq régions.
# Le foisonnement estival, phénomène national, spécificité régionale
Plus que d'une mode passagère, il s'agit bien au contraire d'un mouvement de fond, amorcé il y a plus d’un demi-siècle. Le premier des « grands » fut le festival de Cannes qui devait se tenir du 3 au 17 septembre 1939 pour concurrencer la Mostra de Venise créée en 1932 dans l'Italie mussolinienne.
Mais c'est après la Libération, en 1946, que s'ouvrit ce qui allait devenir le plus prestigieux des festivals de cinéma au monde. Déjà international, il ne reçoit pas moins de quarante-neuf films en provenance de dix-neuf pays différents, dont des chefs-d'œuvre tels que Rome ville ouverte de Roberto Rossellini ou Les Enchaînés d'Alfred Hitchcock avec Ingrid Bergman et Cary Grant. Le succès est au rendez-vous, les stars aussi et le nouveau Palais des Festivals est inauguré en 1947. Glissant au printemps en 1950, le festival acquiert rapidement son rythme de croisière. Projetant de plus en plus de films venant de pays toujours plus nombreux, il devient une véritable institution.
L'histoire du festival d'Avignon commence, elle aussi, en 1947, lorsque le poète René Char et le critique d'art Christian Zervos font appel au metteur en scène Jean Vilar pour monter une pièce de théâtre, afin d'accompagner une exposition de peinture moderne à Avignon. En guise de réponse, Jean Vilar propose trois spectacles. Les organisateurs et la municipalité acceptent. La cour d'honneur du Palais des Papes accueille les représentations théâtrales, dont Richard II de Shakespeare. La première "semaine d'art en Avignon", ancêtre du Festival, est née. D'édition en édition, le succès ira grandissant, notamment à partir de 1951.
À l'instar de Cannes et d'Avignon, le festival international d'art lyrique d'Aix-en-Provence est créé au sortir de la guerre. L'initiative en revient à Gabriel Dussurget, qui, après un essai concluant en 1947, lance avec quelques amis et sous le patronage de plusieurs mécènes, dont la comtesse Pastré, et avec l'appui de la Société thermale, la première édition du festival d'Aix en juillet 1948. Cette conjonction significative du changement social et culturel de la France d'après la Libération lance donc un mouvement qui ne devait cesser de s'épanouir trente ans plus tard, favorisé par l'émergence des collectivités locales et territoriales, la Région au premier chef.
Créées en 1869, les Chorégies d'Orange ont fêté leur 150e anniversaire en 2019. Ce vénérable festival, régénéré en 1971, donne chaque été, au cours de six soirées exceptionnelles, toute sa place à la diversité des expressions de l’art lyrique.
En dépit des aléas, des difficultés financières et de la concurrence internationale, chaque festival a su s'adapter et perdurer. Même si aujourd'hui, dans certains milieux culturels ou cercles intellectuels, il est de bon ton de se gausser de la vogue des festivals et du consumérisme culturel qu'elle semble révéler, on ne peut nier le succès de ces manifestations ni leur impact grandissant sur l'économie et la vie de la cité. Certes on peut, à juste titre, s'inquiéter de la « festivalisation » accrue de la culture, de la tendance à transformer la moindre action artistique ou culturelle en « événement » plus ou moins médiatisé. Mais les faits sont là, têtus : les Français apprécient de plus en plus les festivals, dont le caractère intergénérationnel ne cesse de progresser. On observe également une large féminisation du public et la forte proportion en son sein de diplômés de l’enseignement supérieur. La démocratisation de certaines manifestations culturelles demeure donc en partie un enjeu malgré les progrès déjà réalisés. Les festivals sont devenus des instruments quasi incontournables des politiques culturelles et urbaines menées par les collectivités, et la Provence fait plus que jamais figure de « terre de festivals ».
La plupart des grandes manifestations ont pour particularité de se dérouler durant l'été. Il se produit alors un phénomène d'« embouteillage estival » qui a tendance à s'accroître et qui parfois inquiète organisateurs et pouvoirs publics. Bien que de plus en plus de festivals de taille plus modeste se déroulent à d'autres moments de l'année, le contraste demeure saisissant entre la pléthore d'offre festivalière en été et la relative indigence de manifestations le reste de l'année. Ce contraste est particulièrement frappant dans la région, bien plus que dans la région parisienne par exemple, et pour cause : traditionnellement, depuis cinquante ans, les festivals de fréquentation élitiste comme Aix ou les Chorégies d'Orange accueillent une bonne partie de l'intelligentsia parisienne migrant vers le Sud de la France au moment de l'été.
Bien que relevant d'initiatives locales, les festivals d'Aix (art lyrique), d'Orange (opéra et concerts), d'Avignon (théâtre) ou de Juan-les-Pins ou Nice (jazz) doivent d'ailleurs une part de leur succès originel au fait qu'ils offraient aux élites parisiennes en vacances et désœuvrées en été des spectacles de qualité qu'elles estimaient dignes de leur rang social et de leurs attentes.
Ce n'est que plus tard, dans les années 1960, avec notamment l'avènement du théâtre national populaire de Jean Vilar en Avignon, que, progressivement le public se diversifie et que la culture se démocratise.
Mais il faut attendre les années Jack Lang, ministre de la Culture sous les deux septennats de François Mitterrand (1981-1995), pour assister à un double processus de multiplication des festivals et de démocratisation de la culture. Aujourd'hui, en 2022, c'est l'ensemble du territoire français - et particulièrement la région Provence-Alpes-Côte d’Azur - qui est irrigué, des métropoles jusqu'aux petites villes et parfois aux villages, en manifestations festivalières de tous ordres.
# Les conditions de l'originalité provençale
Comment expliquer l'engouement continu pour les festivals dans la région ? On peut tout d'abord invoquer des facteurs généraux, comme l'amélioration du niveau de vie ou l'augmentation du temps libre avec l'instauration de la semaine de 40 heures par le Front populaire, de 39 heures en 1982, puis de 35 heures en 2000 avec son corollaire, les jours de RTT offrant la possibilité de multiplier les courts séjours. Il ne faut pas non plus négliger le développement des moyens de communication. La mise en service, en 2001, de la ligne à grande vitesse Méditerranée améliore fortement l’accessibilité du Sud de la France, mettant Avignon et Aix-en-Provence à trois heures de Paris ou moins. Le rôle des médias, par le biais d’articles rédigés dans la presse quotidienne ou spécialisée puis sur internet, mais aussi via des retransmissions radiophoniques et télévisuelles, est aussi à prendre en considération. Cette médiatisation croissante et de plus en plus diversifiée a en effet suscité la curiosité de nombreuses couches de la population pour des genres culturels, des lieux et des festivals qu'elles ne connaissaient pas ou peu. S'ajoutent à ces facteurs généraux des caractères spécifiques à la Provence. La douceur du climat, l'ensoleillement quasiment garanti pendant l'été et la clémence du ciel ont permis l'apparition puis le développement exponentiel des festivals de plein air. Ce sont les Chorégies d'Orange qui, dès la fin du XIXe siècle, inaugurèrent la mode des festivals à ciel ouvert, en prenant pour écrin le théâtre antique de cette ancienne cité romaine et son exceptionnelle acoustique.
Aujourd'hui, 95 % des festivals estivaux de la région se déroulent en plein air, et des sites naturels prestigieux tels que la pinède de Juan-Les-Pins ou la clairière du parc du Château de Florans à La Roque d'Anthéron sont très prisés des artistes et du public, qui aime à goûter à un concert ou à un spectacle sous la voûte étoilée - et malgré le chant des grillons.
Outre la magie des lieux et la douceur des soirées provençales ou azuréennes, il est clair que l'aura internationale de la Côte d'Azur et de la Provence, deux des premières destinations touristiques du monde, a permis à ces régions d'attirer et de fidéliser un public national et international qui, à son tour, a contribué à asseoir la réputation des festivals du Midi en France à l'étranger. Aix-en-Provence, ville étape sur la grande route des vacances dès l'après-guerre, la RN7, avec le charme de ses rues piétonnes et son cachet de capitale historique de la Provence, devint un lieu très apprécié des festivaliers du monde entier. Elle le reste. On y croise tous les ans au mois de juillet des personnalités et des vedettes, ainsi que nombre de touristes américains, anglais, allemands et hollandais.
Nice a aussi des paysages, un art de vivre et de solides atouts culturels à faire valoir pour agrémenter le séjour des festivaliers. Son statut de station touristique de rang international lui a, conféré dès le XIXe siècle, une très large notoriété. En 2021, la cité azuréenne a d’ailleurs été inscrite par l’UNESCO sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité au titre de « ville de la villégiature d’hiver de Riviera ».
Par ailleurs, la qualité et la ténacité des artistes de renom et des directeurs de festivals ont beaucoup contribué à leur succès. Le seul nom de Jean Vilar et de ses acteurs fétiches (Gérard Philipe, Maria Casarès, Jeanne Moreau, Georges Wilson...) suffisait à attirer chaque été à Avignon, dans les années 1950 et 1960, des foules très nombreuses venues de toute la France comme en pèlerinage.
De même, Gabriel Dussurget à la tête du festival d'Aix, Henri Soubeyran au théâtre antique de Vaison-la-Romaine, Jean Serge aux Chorégies d'Orange ont tous été de grands directeurs, capables de faire venir des artistes prestigieux du monde entier et de proposer des programmations toujours renouvelées. Leurs successeurs, qu'il s'agisse de Bernard Faivre d'Arcier à Avignon, Stéphane Lissner à Aix-en-Provence ou encore Gilles Jacob au festival de Cannes, se montrèrent à la hauteur du lourd héritage.
Enfin, n'oublions pas le rôle joué par les politiques et notamment par certaines équipes municipales qui n'ont eu de cesse de soutenir « leur » festival et de lui accorder des subventions importantes. L'action de certains maires fut déterminante dans la création de festivals. Pierre Delmas est maire d'Antibes de 1959 à 1971 et co-fondateur du festival de jazz d'Antibes Juan-les-Pins. Maire de La Roque d'Anthéron de 1959 à 1989, Paul Onoratini donne naissance en 1981 dans sa ville au festival international de piano et le préside jusqu’en 2007. Sur le plan national, enfin, les ministres de la Culture, à l'instar d'André Malraux, de 1959 à 1969, et de Jack Lang dans les années 1980 et 1990, ont parfois apporté un soutien décisif - et médiatisé - à la création ou à la pérennisation de tel ou tel festival de grande ampleur.
Dans une région où, Corse exceptée, le tourisme a proportionnellement le poids économique le plus important, et où sa variante culturelle augmente d'année en année, les festivals constituent une incontestable plus-value dans le cadre d’une concurrence de plus en plus intense entre les régions françaises pour attirer les visiteurs. Les retombées économiques des festivals sont par ailleurs significatives. C'est la raison pour laquelle ce type de manifestation se multiplie un peu partout avec le soutien de l’État, des collectivités locales et territoriales, voire d’entreprises mécènes. En moyenne un peu moins de la moitié du budget est assuré par le recours aux subventions. Un festival, certes, coûte de l'argent, mais il en rapporte davantage. Pour un euro investi on en récupère en moyenne plus de trois, et le ratio peut s’avérer encore beaucoup plus élevé. Les villes de Cannes, Aix-en-Provence, Avignon vivent en partie des revenus directs et indirects engendrés par le tourisme et l'activité festivalière. Le festival international d'art lyrique d'Aix-en-Provence génère douze euros de retombées économiques par euro de subvention versé, et deux tiers des touristes ayant assisté au festival ne seraient pas venus visiter la ville si cette manifestation culturelle n’avait pas eu lieu.
La grève des intermittents du spectacle durant l'été 2003, qui entraîna l'annulation des plus grands festivals de la région, a constitué un manque à gagner douloureux non seulement pour les organisateurs mais aussi pour les commerçants, hôteliers et restaurateurs des villes concernées. En 2014, un nouveau mouvement social des intermittents du spectacle, pour la défense de leur système d’indemnisation chômage, a perturbé durant l’été plusieurs festivals et même fait craindre l’annulation pure et simple de celui d’Avignon.
La crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19 a provoqué en 2020 l’annulation de la quasi-totalité des festivals de la région. Le 73e festival de Cannes n’y a pas échappé, et sa non tenue constitue une première depuis l’édition écourtée de 1968.
En 2021, les principaux festivals provençaux et azuréens ont certes fait leur retour. Mais l’absence de certains touristes étrangers, les jauges imposées ou l’instauration au cœur de l’été du « pass sanitaire » ont mécaniquement réduit la fréquentation et par conséquent les recettes escomptées. À l'inverse, lorsque les festivals marchent bien, et ce fut de nouveau le cas en 2022, ils constituent une manne pour la ville où ils se déroulent, a fortiori si le pourcentage du public extérieur à la ville est élevé. Une part importante des plusieurs centaines de milliers de festivaliers d'Avignon n'habite pas dans la région. Or, un touriste étranger réside en moyenne deux jours et demi dans la ville et dépense 120 euros par jour, en plus du coût des places de spectacle. Dans le cas du tourisme culturel de luxe, tel qu'il se développe à Cannes ou à Aix-en-Provence, cette somme peut dépasser le millier d’euros par jour.
[M1]A mettre dans le corpus d’enrichissement 2023. Pour l’instant, n’a pas été pris en compte dans l’enrichissement calendaire de 2020
Les retombées des festivals en termes d'image et d'attractivité sont évidentes, même si elles sont plus difficiles à quantifier. Le maire d'Aix-en-Provence Jean-François Picheral considérait en 2000 que, grâce au festival international d'art lyrique, la ville avait attiré 90 nouvelles entreprises. Aujourd'hui, les villes de Cannes, d'Avignon, de La Roque d'Anthéron, de Juan-les-Pins ou d'Orange sont identifiées à leur festival respectif. Ces festivals sont devenus un label, une marque qui fait rêver et que l'on décline à l'infini dans des produits dérivés. La désignation de Marseille-Provence comme capitale européenne de la culture 2013, année qui s’est accompagnée de très nombreuses manifestations et festivals sur l'ensemble du territoire de la métropole, a contribué à modifier positivement l’image de la cité phocéenne et conforté les représentations positives associées à Aix-en-Provence.
L'impact des festivals en termes d'emploi est également important, même si la plupart des emplois créés sont saisonniers. Le festival d'Avignon génère ainsi, pendant sa durée, la création de 1 000 emplois (dont 400 dans le secteur des services et 100 dans l'hôtellerie-restauration). Les festivals estivaux représentent par ailleurs une source de revenus essentielle pour les intermittents du spectacle, qu'ils soient comédiens ou techniciens.
Au-delà de ces aspects économiques, les festivals ont un impact social voire éducatif sur les populations. En dehors des quelques manifestations élitistes et chères, les festivals constituent bien souvent pour la population locale une occasion unique de découvrir un genre nouveau (les arts de la rue, le cirque, la danse, etc.), un artiste inconnu ou un nouveau lieu de culture. De plus, la tenue d'un festival peut impulser toute une série d'actions artistiques municipales, d'ateliers d'éveil ouverts à la population ou encore d'actions en milieu scolaire et universitaire. Loin de ne représenter qu'un événement culturel par nature éphémère, les festivals ont donc, non seulement un impact économique et social, mais aussi, de plus en plus, un impact en termes d'aménagement culturel du territoire.
# Bibliographie
- Antoine de Baecque, Avignon, le royaume du théâtre, Paris, Gallimard, 2006.
- Pierre Billard, D'or et de Palmes. Le Festival de Cannes, Paris, Gallimard, 1997.
- Philippe Chabro, Chorégies d'Orange (1971-1994), Arles, Actes Sud, 1995.
- Aurélien Djakouane et Emmanuel Négrier, Festivals, territoire et société, Paris, Ministère de la Culture, Presses de Sciences Po, 2021.
- Anaïs Fléchet, Pascale Goetschel, Patricia Hidiroglou, Sophie Jacotot, Caroline Moine, Julie Verlaine (dir.), Une histoire des festivals XXe-XXIe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2013.
- Boris Grésillon, Un enjeu « capitale », Marseille-Provence 2013, La Tour d'Aigues, Éditions de l'Aube, 2011.
- Alain Gueullette, Le Festival d'Aix-en-Provence. Histoire mythologie, divas, renseignements pratiques, Paris, Éditions Sand, 1989.
- Gilles Jacob, Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes, Paris, Plon, 2018.
- Loredana Latil, Le Festival de Cannes sur la scène internationale, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2005.
- Emmanuelle Loyer, Antoine de Baecque, Histoire du Festival d'Avignon, Paris, Gallimard, 2007 et 2016.