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La vallée de la Clarée est au centre d'un conflit entre partisans de son classement, qui entendent la préserver de tout aménagement agressif, et ceux qui souhaitent faire passer par là une liaison rapide vers l'Italie.
20 juin 1992
La vallée de la Clarée longe la frontière italienne. Reliée à Briançon et à la route qui, par Montgenèvre, est l'une des principales voies vers l'Italie, elle se termine en cul-de-sac. La seule liaison routière directe vers l'Italie passe par le col de l'Échelle (1778 m.), mais elle est saisonnière. Depuis les années 1870, les milieux politiques et économiques locaux se sont souciés d'améliorer les communications à travers les Alpes, en direction de Turin, l'une des capitales de l'industrie italienne. Depuis lors, le projet de percement d'un tunnel sous l'Échelle revient régulièrement sur le tapis. Ce projet ressurgit après la Libération alors que la frontière vient d'être rectifiée par le traité de 1947 entre la France et l'Italie en rattachant la Vallée étroite, de l'autre côté du col de l'Échelle, à la France. Dans les années 1970, plutôt que de liaison ferroviaire, il porte plutôt sur une liaison routière rapide reliant Fos-sur-Mer à Turin, avec, en prime, un projet de station de ski. Mais cette construction entamerait une grande partie de la Clarée, jusqu'à Plampinet, premier hameau de la commune de Névache, alors que la vallée, grâce à son isolement relatif, a pu préserver un cadre humain et naturel privilégié.
C'est contre ce projet que s'est dressée Émilie Carles, l'ancienne institutrice de Val-des-Prés, le premier village de la vallée, où elle était née en 1900 et où elle était venue s'établir avec son mari, le libertaire Jean Carles qui tenait l'hôtel-auberge des Arcades. Elle est à la tête de la manifestation de Briançon le 13 août 1973. Elle défile à Gap sur un tracteur en 1975. Elle tient une conférence de presse à Paris le 27 octobre 1976. Le conflit est ardent et vaut à la vallée, dont le slogan est "Des moutons, pas de camions", le surnom de "Petit Larzac". Le combat de l'Association des habitants de Val-des-Prés que préside Émilie va durer jusqu'en 1977. La vieille dame devient une vedette, surtout après la publication de son livre souvenir, Une Soupe aux herbes sauvages, où elle dit la vie des habitants de la vallée. L'ouvrage remporte un grand succès, à une époque où triomphent récits de vie et histoire orale. Émilie Carles s'éteint peu après, le 29 juillet 1979.
Le débat rebondit à la fin des années 1980 avec le projet SETUMONT lancé par Pierre Bernard-Reymond, maire de Gap (UDF), qui reprend l'idée de percement d'un tunnel sous L'Échelle. Ce projet est combattu par son adversaire socialiste, Robert de Caumont, alors maire de Briançon, et partisan d'un tunnel sous le Montgenèvre. Un collectif de défense se reforme en 1989, qui reprend le flambeau de la lutte pour la préservation du patrimoine naturel et humain que représente la Clarée. Le combat reste difficile, la coopération entre les villages ne va pas de soi et les défenseurs de l'environnement (parmi lesquels, comme dans les années 1970, les néo-ruraux sont nombreux) se heurtent à ceux qui voudraient tirer plus de profit du développement ou qui, comme les chasseurs, sont hostiles aux contraintes liées à la protection de l'environnement. Certains sont favorables à un classement limité à la haute vallée. Finalement, Ségolène Royal, ministre de l'Environnement, décide de classer toute la Clarée comme le souhaitait le collectif et malgré les réticences de nombreux élus. Le classement, signé le 17 juillet 1992, concerne les quatre communes de Mônetiers-les-Bains, Névache, La Salle-les-Alpes et Val-des-Prés. La Clarée est désormais à l'abri des projets qui pourraient la dénaturer. La commission européenne vient, au début de l'année 2008, de la classer Natura 2000. Et tous les ans, une fête de la soupe aux herbes sauvages perpétue le souvenir d'un combat qui n'a pas été vain.
Bibliographie :
Émilie Carles (avec Robert Destanque), Une Soupe aux herbes sauvages, Paris, Jean-Claude Simoen, 1978.
René Siestrunck, Voyageurs de la Clarée, Vallouise, Le Tournefeuille, 1999.