De Gaulle et l'Europe
Introduction
Pour de Gaulle, les pays d'Europe doivent se constituer en une confédération de nations, capable de jouer un rôle sur la scène mondiale et de défendre ses propres intérêts face aux blocs américain et soviétique. Hostile aux conceptions supranationalistes, il rassure ses partenaires, lorsqu'à son retour au pouvoir, il fait savoir que la France honorera les engagements contractés lors de la signature du Traité de Rome en mars 1957.
Une "Europe européenne"
De Gaulle plaide en faveur d'une Europe des États : il refuse d'envisager une organisation politique qui impliquerait un quelconque abandon de la souveraineté française, s'opposant ainsi aux conceptions supranationalistes de ses adversaires. Dès l'après-guerre, il plaide en faveur d'une "Europe européenne", c'est-à-dire centrée sur elle-même et capable d'assurer sa défense militaire, sans avoir besoin de la protection des États-Unis. Ainsi combat-il, au début des années 50, le projet de la Communauté européenne de défense (CED), d'inspiration supranationaliste.
Facteur d'équilibre et de paix, cette Europe doit être capable de s'imposer face au monde bipolaire dominé par les Américains et les Soviétiques. Pour de Gaulle, la France - dont l'Empire colonial est désormais disloqué - doit jouer un rôle majeur dans la construction européenne, en être l'un des moteurs essentiels.
La dépendance militaire de l'Europe
Plaidoyer pour une Europe forte et indépendante
Face à l'expansionnisme soviétique, le général de Gaulle, dans une allocution prononcée à Nîmes, souhaite l'engagement américain pour la défense des libertés en Europe mais affirme que l'alliance ne peut se réaliser que dans le respect de la souveraineté des Etats. La France doit donner l'exemple de la fermeté, mais pour cela il lui faut un Etat qui en soit un.
Appel à l'union de l'Europe
Quelles institutions pour l'Europe ?
En juillet 1953, un armistice est signé en Corée mais les Etats-Unis accentuent leur pression pour la création d'une armée européenne placée sous leur contrôle. Le septennat du Président de la République Vincent Auriol s'achève en décembre de la même année. Le général convoque le 12 novembre une conférence de presse pour faire l'analyse de la situation internationale, rappeller les solutions qu'il préconise et commenter le rôle du RPF.
Les conceptions européennes du Général
Entretien avec Michel Droit, deuxième Partie
Deuxième entretien télévisé entre le général de Gaulle, candidat à la présidence de la République, et Michel Droit, rédacteur en chef du Figaro littéraire, entre les deux tours de l'élection présidentielle. Par le dipositif adopté et l'attitude du Général, cette série d'entretiens cherche à faire oublier l'image d'un personnage lointain, voire hautain, et d'un homme vieilli. Ce deuxième entretien traite de la politique étrangère de la France. Le général de Gaulle dévelope d'abord longuement sa vision de l'Europe, et s'explique sur l'usage du terme "Europe des patries" qu'on lui prête habituellement. Il parle ensuite des Etats-Unis, et se défend vigoureusement d'être antiaméricain. Enfin, il explique ce qu'apporte à la France la possession de l'arme atomique, et il justifie la politique de coopération de la France avec les pays du Tiers-Monde, notamment avec ses anciennes colonies.
Une Europe économique et technique
Dès janvier 1959, grâce au Plan Pinay-Rueff, la France applique les premières mesures prévues par le Traité de Rome dans le cadre de l'union douanière (baisse de 10% des droits de douane). C'est une rupture dans la politique commerciale, jusqu'alors marquée par une forte tradition protectionniste : il s'agit d'ouvrir les marchés hexagonaux sur l'extérieur et de dynamiser ainsi l'économie du pays.
Le général de Gaulle plaide aussi en faveur d'une politique agricole commune (PAC), et son action est déterminante : le "marathon agricole" de décembre 1961 permet de sceller les premiers accords. Mais les membres de la Communauté Economique Européenne peinent à résoudre les questions de son financement. Néanmoins, l'union douanière (abolition des droits de douane intérieurs et harmonisation des droits de douane extérieurs, pour les produits industriels et agricoles) entre définitivement en vigueur le 1er juillet 1968.
La politique agricole de la France
Conférence de presse du 5 septembre 1961
Lors d'une conférence de presse tenue à l'Elysée le 5 septembre 1961, le général de Gaulle évoque plusieurs questions d'actualité : la crise de Berlin, la situation en Algérie, la question de la base de Bizerte, la modernisation de l'agriculture française, la perspective de l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun.
Une Europe politique
Le plan Fouchet
En février 1961, le général de Gaulle constitue une commission d'étude présidée par Christian Fouchet, et chargée de présenter un projet structuré d'union politique. Cette tentative de réforme (qui implique une politique étrangère et de défense homogène entre les six pays membres de la CEE) est rejetée par les partenaires européens en avril 1962, ce que de Gaulle dénonce dans sa conférence de presse le mois suivant.
L'échec du Plan Fouchet
Conférence de presse du 15 mai 1962 (questions européennes)
Cette conférence de presse est pour une grande part consacrée aux questions internationales et européennes. Elle est donnée au lendemain du rejet, le 17 avril, du "plan Fouchet" par les membres de la Communauté européenne, pour deux motifs principaux : l'absence de dimension supranationale et l'exclusion du Royaume-Uni. La conférence porte sur les thèmes de l'organisation politique de l'Europe des six, sur le problème de l'Allemagne, sur les rapports de la France et de l'OTAN, sur les problèmes Est-Ouest et la construction d'une force de frappe française, enfin sur les rapports avec l'Afrique Noire et du Nord. A propos de la CEE et du "Plan Fouchet", le Général explique pourquoi une Europe unie est nécessaire. Il rappelle que le Marché Commun existe déjà mais que l'Europe doit également avoir une existence politique, formulée dans le plan Fouchet. Le Général démonte les objections qui ont amené le rejet de ce plan. Sur la question de l'Allemagne, le Général explique pourquoi elle est l'enjeu capital entre les deux Grands. Il attaque l'URSS qui se sert de la situation de la ville de Berlin comme moyen de pression. Dans l'atmosphère internationale actuelle, le Général pense qu'une négociation sur l'Allemagne ne peut aboutir. Il insiste sur la nécessaire solidarité entre la France et l'Allemagne (RFA) dans le cadre de la construction européenne. A propos de l'OTAN, de Gaulle commence par affirmer que la France fait partie intégrante de l'Alliance atlantique. Mais selon lui, le problème de la défense de la France a changé. Il explique longuement pourquoi et comment il considère que le rôle de l'OTAN n'est plus le même. Sur la Conférence de Genève, à laquelle la France n'a pas participé, le Général explique que dans la mesure où les deux grands ne veulent pas arrêter la course aux armements, il n'est pas question pour la France de suspendre ses essais nucléaires. Sur l'Afrique, de Gaulle évoque la nouvelle Algérie, et plus largement l'Afrique, dont il souhaite le développement harmonieux, et qu'elle continue à entretenir d'étroits liens avec la France. Enfin, sur l'élection du président au Suffrage universel direct, le général de Gaulle explique avec humour que ce n'est pas encore le moment d'en parler.
La politique de la "chaise vide"
À partir de 1965, la France entre en conflit avec la Commission européenne, présidée par Walter Hallstein (1958-1967). Le général de Gaulle s'oppose à deux réformes qui privilégient les institutions communautaires au détriment du Conseil des ministres, où sont représentés les intérêts des États.
Mais ce n'est pas la seule cause de la discorde : les négociations portant sur le financement de la PAC n'aboutissent pas. En conséquence, la France refuse de siéger dans les instances communautaires à partir du 1er juillet 1965 : la délégation française ne participe ni aux réunions du Conseil ni à celles du Comité des représentants permanents. Le "compromis de Luxembourg" met fin à la crise de la "chaise vide" en janvier 1966, en donnant gain de cause à la France.
La "crise de la chaise vide"
Conférence de presse du 9 septembre 1965
Trois mois avant l'élection présidentielle qui doit avoir lieu en décembre, le général de Gaulle a convoqué les journalistes à l'Elysée. Il aborde les questions du développement économique et social de la France, du Marché commun, de la position de la France dans le monde, et des institutions françaises.
La réconciliation franco-allemande
Faire la paix avec l'Allemagne
La grande oeuvre européenne du général de Gaulle est sans conteste la réconciliation franco-allemande, postulat nécessaire à la construction d'une Europe forte, en paix avec elle-même, et capable de peser sur le destin du monde. Il trouve en Konrad Adenauer, qui dirige alors l'Allemagne fédérale, un partenaire qui poursuit le même idéal de paix.
L'amitié franco-allemande
Voyage dans l'Est : discours à l'Université de Strasbourg
A l'occasion d'un voyage dans l'Est de la France, le général de Gaulle prononce un bref discours à l'Université de Strasbourg, dont la tâche est selon lui d'aider à la coopération franco-germanique. Il cite ensuite quelques grands hommes de la civilisation germanique (Leibniz, Goethe), qui ont appellé de leurs voeux l'union des peuples.
Voyage triomphal de de Gaulle en Allemagne
Le traité de l'Elysée
L'amitié qui lie le président français au chancelier allemand permet d'aboutir, le 22 janvier 1963, à la signature du Traité de l'Élysée : substitut au projet d'Europe politique proposé par la commission Fouchet, il prévoit la réalisation de projets communs et la concertation systématique des deux pays dans les domaines de la défense, des affaires étrangères et de la culture. Le but ? Établir une politique européenne sur un axe fort, celui de Paris-Bonn. Pourtant, ce rapprochement ne parvient pas à détourner l'Allemagne fédérale des États-Unis, qu'elle considère comme l'essentielle garantie de son existence. D'ailleurs, le préambule du Traité anéantit presque tous les efforts du Général : il est stipulé l'étroite collaboration que doivent entretenir les deux pays avec les États-Unis.
L'échec du Traité de l'Élysée
Conférence de presse du 23 juillet 1964
Le 23 juillet 1964, le général de Gaulle donne une conférence de presse à l'Elysée. Interrogé par les journalistes, il aborde d'abord la question des perspectives économiques de la France. Il parle ensuite longuement de la construction européenne, du contexte de sa naissance, de son avenir, et du Traité franco-allemand signé en 1963.
Une Europe de l'Atlantique à l'Oural
Militant d'une Europe unie "de l'Atlantique à l'Oural" (expression prononcée maintes fois à partir de 1950), le général de Gaulle se montre favorable à l'adhésion de nouveaux membres. Il n'exclut donc, par principe, ni la Grande-Bretagne, ni le bloc soviétique.
De Gaulle face à l'Angleterre
Le général de Gaulle - constatant la dépendance militaire vis-à-vis des États-Unis de cet allié de la Seconde Guerre mondiale - refuse irrévocablement de la laisser entrer dans le Marché commun, craignant qu'elle ne pervertisse ses tentatives d'indépendance. Il rejette catégoriquement la conception britannique, exclusivement libre-échangiste, et dont la défense est inféodée à la force nucléaire américaine. Ainsi oppose-t-il par deux fois son veto à l'adhésion de la Grande-Bretagne, en janvier 1963 et en mai 1967.
L'Angleterre : l'allié de la France dans la guerre
Discours au Parlement britannique
Du 5 au 8 avril 1960, le Général est en voyage officiel en Grande-Bretagne. Le 7 avril, il est reçu à Westminster Hall, à Londres, par les membres du Parlement britannique. Après les remerciements d'usage au Speaker de la Chambre des Communes, le général de Gaulle commence son discours en rappellant sa précédente visite en Angleterre, pendant la guerre. Il rend hommage à Winston Churchill et au peuple britannique, à ses sacrifices, ses angoisses, ses larmes. Après ce rappel historique, de Gaulle s'attarde sur la qualité des institutions britanniques. Il évoque ensuite le problème de la limitation et du contrôle des armements de l'un et l'autre camp. Enfin, il souhaite la paix mais est persuadé qu'elle restera précaire tant que 2 milliards d'hommes demeureront plongés dans la misère. Pour conclure, le Général rappelle les valeurs communes de la France et de l'Angleterre, à quelques semaines du sommet de Paris. Le Général se rassoit sous les applaudissements, puis se relève pour écouter la Marseillaise et le God save the Queen.
Veto à l'adhésion britannique (1)
Conférence de presse du 14 janvier 1963 (sur l'entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE)
Les thèmes abordés lors de cette conférence de presse concernent la politique intérieure et extérieure : la réforme constitutionnelle récente, le développement économique, l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun, les relations Est-Ouest, l'indépendance nationale en matière de défense, la conférence des Bahamas, le désarmement et, enfin, les relations Franco-Allemandes. En politique intérieure, le Général revient d'abord sur le récent référendum sur l'élection du Président de la République au suffrage universel. Il enchaîne ensuite sur la politique économique menée pour transformer la France, et insiste sur l'application du Plan qui fixe les objectifs et donne les moyens d'y parvenir. En politique extérieure, le sujet principal est l'entrée de Grande-Bretagne dans le Marché Commun. De Gaulle explique longuement pourquoi l'entrée de l'Angleterre pose "des problèmes d'une très grande dimension". Sur l'accord des Bahamas entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, de Gaulle répète, une nouvelle fois, que sans rejeter l'alliance atlantique, la France "entend avoir en propre sa défense nationale". Enfin, le Général évoque les relations franco-allemandes, et affirme la nécessaire coopération des deux pays, condition et fondement même de la construction de l'Europe.
Veto à l'adhésion britannique (2)
Conférence de presse du 16 mai 1967
Lors de la conférence de presse du 16 mai 1967, le général de Gaulle traite plusieurs sujets. Il commence par les résultats des élections législatives du mois de mars, et fustige la campagne de dénigrement du gouvernement orchestrée par les partis politiques. Il parle ensuite de l'état de la France, des mutations économiques et sociales qu'elle connaît et des conséquences de ces mutations, dans un contexte européen et mondial de concurrence accrue. Le Général évoque ensuite les institutions, et particulièrement l'article 38 de la Constitution de 1958. Il aborde ensuite le prochain sommet de l'Europe des Six à Rome, et se félicite de l'alliance toujours plus étroite de ses membres, face à une puissance américaine et "atlantique" surdimensionnée. Il en vient enfin à la question de l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun, entrée à propos de laquelle le Général émet de grandes réserves, qu'il explique en détail.
De Gaulle et les Etats satellites de l'URSS
Plaidant en faveur d'une indépendance diplomatique, le général de Gaulle opère un rapprochement diplomatique avec l'URSS. Il encourage alors les pays de l'Europe communiste à se défaire de la domination soviétique. L'intervention des troupes russes en Tchécoslovaquie, au mois d'août 1968, marque l'arrêt de cette politique d'ouverture à l'Est.
Triomphal voyage en Pologne
Voyage en Pologne
Le général de Gaulle effectue un voyage officiel en Pologne, du 6 au 12 septembre 1967. Premier chef d'Etat occidental à se rendre dans le pays, il y est accueilli triomphalement. A Cracovie, il appelle de ses vœux une réelle coopération entre les cultures françaises et polonaises, et non pas "l'absorption dans quelque énorme appareil étranger". Il se rend ensuite à Auschwitz, puis en Silésie, à Zabrze, d'où il lance : "Vive Zabrze, la ville la plus silésienne de toute la Silésie, c'est-à-dire la plus polonaise de toutes les polonaises". A Varsovie, il rejette la partition du monde en deux blocs et plaide pour la détente et la coopération, qui seule permettra la résolution du problème allemand. Enfin, le Général s'adresse à tout le peuple polonais à travers une allocution télévisée.
En Roumanie : pour l'indépendance des nations européennes
Discours à Bucarest
Le général de Gaulle effectue un voyage officiel de cinq jours en Roumanie à partir du 14 mai 1968. Dans un discours prononcé devant le Parlement roumain, le Général plaide pour une Europe des nations indépendantes, seule capable à ses yeux de surmonter le partage du continent en deux blocs.
Conclusion
La construction européenne, entreprise avec énergie par le président de Gaulle, contribue à la prospérité économique de la France des "Trente Glorieuses". Sur le plan politique, s'il ne réussit pas son grand projet d'une Europe forte et unie - où la France jouerait l'un des premiers rôles, à l'intérieur comme sur la scène mondiale - il accomplit néanmoins la réconciliation avec l'Allemagne, garantie essentielle de la paix du vieux continent.