Les origines du festival d'Avignon

03 juillet 1991
03m 27s
Réf. 00115

Notice

Résumé :

Maurice Coussonneau - comédien et ancien assistant de Jean Vilar - et Jean Negroni - comédien et metteur en scène proche également proche de Vilar - reviennent sur les origines du festival d'Avignon. Ils racontent notamment la première rencontre entre Jean Vilar et la cour d'honneur du Palais des Papes.

Date de diffusion :
03 juillet 1991
Source :

Éclairage

Le festival d'Avignon est né en 1947, d'une proposition que firent René Char et Christian Zervos, critique d'art, à Jean Vilar (1947-1971) : mettre en scène Meurtre dans la cathédrale de T.S. Eliot dans la cour d'honneur du Palais des Papes d'Avignon. Christian Zervos organise à ce moment-là une exposition d'art moderne dans la chapelle du Palais des Papes. Jean Vilar commence par refuser, pour finalement accepter, mais à la place de Meurtre dans la cathédrale, il met en scène La Tragédie du roi Richard II de Shakespeare et La Terrasse de midi de Maurice Clavel. Il propose également Histoire de Tobie et Sara de Paul Claudel, mis en scène par Maurice Cazeneuve. Jean Vilar sollicite la Mairie d'Avignon pour obtenir les autorisations et leur appui. Après l'obtention de l'accord, l'ensemble de ces manifestations devient la première « semaine d'art en Avignon » du 4 au 11 septembre 1947. Dès cette première année, on peut déjà voir de jeunes comédiens qui deviendront célèbres comme Jeanne Moreau, Bernard Noël, Michel Bouquet ou encore Sylvia Monfort.

L'année suivante, en 1948, Jean Vilar revient en Avignon pour une « Semaine d'art dramatique », mais cette fois-ci du 15 au 25 juillet, où il présente une reprise de son Richard II, La Mort de Danton de Georg Büchner et Shéhérazade de Jules Supervielle. D'année en année, le festival, qui aura toujours lieu en juillet désormais, prend de l'ampleur. En 1951, Jean Vilar prend la direction du TNP (Théâtre National Populaire) au Théâtre National de Chaillot, qu'il quittera ensuite en 1963 pour se consacrer pleinement au festival. En 1954, la semaine d'art devient « festival d'Avignon » et la programmation, jusqu'alors tournée exclusivement autour de l'équipe du TNP, s'ouvre à d'autres metteurs en scène en 1966. Jean Vilar dirigera le festival jusqu'à sa mort inattendue en 1971. C'est ensuite Paul Puaux, déjà administrateur du festival depuis de nombreuses années, qui prendra le relais.

Maurice Coussonneau (1918-1999) et Jean Negroni (1920-2005), qui présentent ici les origines du festival, ont été de très proches collaborateurs de Jean Vilar. Tous deux comédiens, Jean Negroni a également été le directeur et fondateur de la Maison de la culture de Créteil.

Sidonie Han

Transcription

Intervenant 1
Liberté, et il y avait, un marchand de tableaux qui s’appelait [Zervos], qui était venu plusieurs fois au spectacle, qui avait trouvé ça formidable. Et il organisait à ce moment-là, une grande exposition d’art moderne, sculpture, peinture, dans la grande chapelle du Palais des Papes. Et il est venu trouver Vilar en lui disant, ça serait formidable si on venait jouer Meurtre dans la Cathédrale dans le palais des Papes. Et Vilar n’était pas chaud. D’abord, il trouvait que ça faisait un peu pléonasme, Meurtre dans la cathédrale au Palais des Papes ça ne les emballait pas. Il avait d’abord dit non. Et puis, huit jours après, nous sommes arrivés à la nuit tombante et on a eu l’impression tout d’un coup, qu’on n’était pas ennemi, dans cette cour d’honneur. Et je me souviens toujours que Jean nous a arrêté parce qu’il avait l’impression que nos pas sur le gravier, ils étaient un peu déplacés. Et on est resté là au moins quatre ou cinq minutes sans dire un mot. Il y avait Maurice Cazeneuve, Jean et moi. Et puis tout d’un coup, il y a eu un petit coup de vent, il y a eu un petit écho qui est passé, et on a osé avancer. Et là, Jean a commencé à balancer quelques alexandrins, qui ont commencé à résonner un peu sur les murs ; et on s’est senti tout d’un coup non plus des étrangers, mais comme avec l’impression qu’on avait lié un petit peu d’amitié avec cette cour qui était austère finalement ! Et c’est de là que c’est parti. Moi j’ai un souvenir de ça extraordinaire. C’est surtout ces longues minutes de silence, parce qu’on était impressionné par le lieu.
Intervenant 2
Et tout d’un coup, il voit ce lieu, ce lieu fort, ce lieu de pierres âpres, ce lieu dur. Et en même temps, capable de familiarité, capable de recevoir des œuvres et qui a un passé. Et là-dedans on va pouvoir jouer, un de ces auteurs qu’il aime particulièrement, Shakespeare ; et alors là, y a effectivement le miracle. C’est-à-dire que la confrontation du texte de Shakespeare avec les pierres et dans l’esprit de Vilar, donne le spectacle, l’étonnant spectacle de Richard II.
Intervenant 3
C’était une entreprise et une aventure, il ne faut pas l’oublier. En 1947, aller jouer à quelques 800 kilomètres de Paris, c’était aller jouer dans le désert.
Intervenant 1
Et la presse a été, je dirais même dithyrambique. Je me souviens toujours d’un article de Barjavel qui était un fanatique du festival ; et qui avait écrit un article dans je ne sais plus quel journal, en disant tout le bien qu’il pensait du spectacle ; et qui terminait en disant si vous n’avez pas d’argent pour prendre le train, allez-y à pieds, en voiture, ou en bicyclette mais allez au festival d’Avignon. C’était quand même pas mal !
Intervenant 2
Songez que dans le premier festival d’Avignon, il y a Robert Hirsh, il y a Jeanne Moreau, il y a François Chaumette, il y a Françoise Pira, il y a Bernard Noël. Enfin, c’était incroyable le nombre de gens qui sont là sur le plateau, et qui sont tous devenus des grands comédiens par la suite.
Intervenant 1
On a fait les créations. On lui a d'ailleurs beaucoup reproché d’avoir créé des pièces étrangères, La Mort de Danton, etc. Et puis, on lui reprochait beaucoup justement en montant du Brecht et tout ça, on l’appelait le communiste. D’ailleurs, il y a eu des manifestations assez lamentables de premiers ministres en place, disant, vous comprenez, le festival d’Avignon c’est bien mais il faudrait quand même trouver quelqu’un de plus convenable que Jean Vilar.
Intervenant 2
A ce moment là sévissait non pas seulement aux Etats-Unis, mais dans l’Europe et notamment en France, un Maccarthisme qui était assez lâche.