Parcours thématique

Âges du tourisme, tourisme à travers les âges

Olivier Lazzarotti

Traverser la Picardie du tourisme, c'est aussi reconstituer les lieux et les modes de l'histoire du tourisme.

L'invention du tourisme en Picardie

Dans le prolongement de son invention, à Bath, en Angleterre, aux environs de 1780, le tourisme gagne la Picardie par la mer dans la seconde moitié du XIXe siècle. Des stations balnéaires, « villes en vacances » selon l'expression de l'architecte Richard Klein, émergent et se diffusent le long du littoral. Datant des années 1890, Mers-les-Bains en est le parfait exemple. Ce modèle privilégie les bains d'eau fraîche et organise les loisirs (tennis, golf, casino, etc.) autour de villas colorées qui réinterprètent les vocabulaires religieux et militaires du Moyen-Âge. Véritable ville-nouvelle construite selon les normes d'une stricte planification, la station alimente toute une économie qui trouve ses ressources dans la consommation des touristes et sa spéculation dans les ventes des terrains et des villas ainsi que leurs locations. Côté terre, si l'on peut dire, c'est-à-dire sous l'influence des villes qu'un type assez comparable de lieu s'impose à Pierrefonds, par exemple. La station est alors portée par les fastes d'un tout parisien Second Empire. Un tel modèle touristique s'impose en Europe jusqu'aux débuts de la Seconde Guerre mondiale. Il tombe en obsolescence durant les Trente Glorieuses, notamment parce que les goûts pour les eaux bleues et chaudes détournent les touristes des froids vivifiants, paraît-il, mais bien saisissants aussi.

 Mers-les-Bains obtient l'appellation officielle de station balnéaire et touristique

Mers-les-Bains obtient l'appellation officielle de station balnéaire et touristique

Reportage à Mers-les-Bains, qui bénéficie désormais de la double appellation station balnéaire et touristique. Pour son maire, Emmanuel Maquet, c'est une reconnaissance du travail de la Ville et label devrait donner un coup de pouce au budget de la commune et peut-être aboutir à la construction d'un casino.

09 mar 2009
01m 54s

La Picardie, un laboratoire touristique

Dans les années 1960, la Picardie est alors le champ d'expérimentation d'autres formes touristiques. Cette fois dans l'influence de Paris et de son agglomération, la région devient l'un des laboratoires français d'une formule inventée aux Etats-Unis, les parcs de loisirs : espaces clos pour être ouverts, ils sont donc payants pour les touristes. Dans la foulée de celui de Bagatelle, inauguré en 1955 entre Berck et Le Touquet, le comédien Jean-Richard invente la Mer de sable en 1963 à Ermenonville. Par ses paysages et ses attractions, elle joue sur le dépaysement ludique, y joignant la découverte des animaux d'un parc zoologique situé à quelques centaines de mètres de là. Jeux du corps et de l'esprit s'y combinent ainsi, tant bien que mal.

 La Mer de sable parc d'attractions Jean Richard à Ermenonville

La Mer de sable parc d'attractions Jean Richard à Ermenonville

Reportage sur le parc d'attractions de la Mer de sable à Ermenonville, créé par Jean Richard. Interview du directeur sur ce parc ouvert depuis huit ans. Le petit train du désert emmène les visiteurs dans la "forêt enchantée". Dans le village texan, reconstitution de la vie du far west. . Le directeur du parc parle de la clientèle du parc et de la sécurité. Interview d'enfants sur le parc. Interview de différents visiteurs dont un est venu de l'Aube. De nombreux manèges, dont la grande roue attendent les enfants.

22 aoû 1970
08m 09s

Une trentaine d'années après, le parc Astérix promeut un autre modèle. L'espace y est aménagé autour d'une thématique populaire. Après l'échec du parc Mirapolis de Pontoise, où la figure de Gargantua ne suffit pas à déplacer les foules, Astérix, ouvert en 1989, s'impose peu à peu au point de résister à l'arrivée d'Eurodisney Resort, inauguré en 1992. On s'y amuse, y rencontre ses héros favoris et, à l'occasion, parcourt mille ans d'une histoire racontée dans ses apparences de dessins animés. De fait, ce qui se joue ici est une part du récit enchanté de l'histoire de France, de même qu'Eurodisney raconte, à grand renfort de mythes, celui de la constitution des Etats-Unis d'Amérique. Dans les deux cas, l'inspiration est nationale et la formulation cinématographique.

 Inauguration du parc Astérix

Inauguration du parc Astérix

Reportage sur l'inauguration du parc Astérix à Plailly dans l'Oise par Jack Lang, ministre de la culture.

27 avr 1989
01m 16s

Suivant les mêmes principes d'aménagement de l'espace, le parc du Marquenterre ouvre ses chemins et ses mares en 1973. Dans la foulée des réserves animales, il contribue alors à diversifier le modèle. Profitant d'un important couloir de migrations, les oiseaux y sont le centre thématique et pédagogique du propos. La rencontre, bien balisée, avec la nature, bien ordonnée tout de même, peut avoir lieu.

 La création de la réserve ornithologique du Marquenterre

La création de la réserve ornithologique du Marquenterre

Présentation de l'historique du domaine du parc du Marquenterre par Michel Jeanson son créateur. Il explique dans quelles circonstances ce domaine est devenu une réserve ornithologique.

31 juil 1993
03m 24s

Le cas du parc Jean-Jacques Rousseau achève le tableau. Conçu comme espace privé au moment de sa construction à la fin du XVIIIe siècle, il devient public après son acquisition par le département de l'Oise au milieu des années 1980. Est ainsi mis à la disposition des visiteurs l'un des premiers jardins à l'anglaise, aujourd'hui réhabilité et entretenu. L'histoire et la nature, l'histoire des relations à la nature pour nommer précisément les phénomènes, constituent la trame du parc en même temps que le thème renouvelé de l'appel aux touristes.

 Les aménagements du parc d'Ermenonville

Les aménagements du parc d'Ermenonville

Découverte du parc Jean-Jacques Rousseau à Ermenonville, un parc dédié au philosophe et conçu par le Marquis de Girardin son propriétaire au XVIIIe siècle. Olivier Topart et Sébastien Porquier, jardiniers au conseil général de l'Oise, tentent de préserver l'esprit de ce lieu dédié à la nature et proche des idées développées par Rousseau comme le souligne Jean-Claude Curtil président de l'Office de tourisme.

29 sep 2005
02m 49s

Un tourisme renouvelé ?

Si Belle-Dune est bien une station touristique, en ce sens que ce lieu est très largement destiné aux pratiques touristiques, son modèle marque cependant, à la fin des années 1990, d'importantes différences par rapport aux premières inventions. Retournée vers l'intérieur, autrement dit à quelques centaines de mètres d'une mer invisible, elle valorise, dans un esprit de village, l'entre–soi de ses habitants. Ici, le spectacle de la mer n'est plus l'argument du tourisme, mais son prétexte. Ce qui fait le tourisme, ce sont les touristes eux-mêmes et l'aménagement du lieu est préférentiellement conçu pour favoriser d'heureuses rencontres entre eux. L'organisation et l'allure de l'hébergement prennent ainsi une importance renforcée par rapport au modèle précédent, et singulière.

 Aménagement de la côte Picarde : la station Belle Dune

Aménagement de la côte Picarde : la station Belle Dune

Reportage à Fort-Mahon-Plage où le chantier de l'Eco village de Belle Dune (Pierre et Vacances) prend fin. Ici, Le problème est de concilier le développement touristique et la protection de la nature. Les écologistes comme Patrick Thiery, secrétaire de Picardie Nature, soulignent la fragilité dunaire et craignent le piétinement.

06 mai 1998
03m 06s

Le tourisme pour changer la ville...

Enfin, dans Amiens même, le tourisme devient instrument de rénovation urbaine, si ce n'est l'un de ses moteurs, au cours des années 1990-2000. La restauration de la cathédrale, elle-même classée au patrimoine mondial en 1981, en est le moment inaugural. Sa spectaculaire colorisation ne fait que le mieux souligner. En symétrie, la construction du parc Saint-Pierre, toujours au milieu des années 1990, valorise la dimension « naturelle » de la ville. Plus récemment, le classement du Beffroi au patrimoine mondial en 2005 confirme et renforce le mouvement. Retour aux sources ? Phénomène urbain dans ses débuts, le tourisme revient en ses villes, pour y inscrire des valeurs qui en firent la vigueur. La valorisation, jusqu'au spectaculaire, du passé et l'accès à la nature, disons à une nature, font désormais partie des préoccupations des urbanistes aménageurs, autant que des attentes de certains urbains, les plus qualifiés si ce n'est les plus aisés. Les plus values symboliques qu'elles procurent aux villes sont alors une des dimensions de leurs rayonnements, au-delà de leur région entre particulier.

 La colorisation de la cathédrale d'Amiens

La colorisation de la cathédrale d'Amiens

Page découverte consacrée à la colorisation de la cathédrale d'Amiens. Xavier Bailly, directeur du patrimoine, explique pourquoi dès sa construction, la cathédrale était peinte, puis au XVIe siècle, la couleur est passée de mode. On a retrouvé des traces lors des restaurations récentes. Pour imaginer ce que pouvait être cette colorisation, on a confié la réalisation d'images à une société spécialisée qui les projette ensuite sur la façade. Explication d'Hélène Richard qui travaille sur une deuxième version du procédé. Philippe Charron conservateur des monuments historiques, explique que de nouvelles techniques de nettoyage de la pierre permettent d'ôter la noirceur sans atteindre les couleurs, ce qui ouvre un nouveau champ de recherche historique.

20 déc 2008
06m 40s
 Le parc Saint-Pierre d'Amiens

Le parc Saint-Pierre d'Amiens

Reportage au parc Saint-Pierre à Amiens cinq ans après son ouverture. Parc de loisir et espace naturel, des "guides verts" expliquent aux promeneurs comment protéger leur environnement.

20 mai 1999
02m 23s
 Le beffroi d'Amiens candidat au patrimoine de l'Unesco

Le beffroi d'Amiens candidat au patrimoine de l'Unesco

Le Beffroi d'Amiens datant de 1406 fait partie des six beffrois de la Somme candidats à l'inscription au patrimoine mondial de l'Unesco. Présentation du monument avec Xavier Bailly, directeur du Patrimoine d'Amiens métropole et François Vasselle architecte responsable de la restauration : le rôle du beffroi, tour et signal qui doit être le plus haut possible pour être visible dans la ville médiévale, l'apport du label Unesco, en terme de notoriété et d'enjeu touristique et économique, la dimension historique de ce patrimoine amiénois.

11 juil 2005
02m 03s

Le cas de Saint-Valéry s'inscrit dans ces logiques qu'entretient, depuis le début des années 2000, la municipalité actuellement en place. Mais elle les prolonge encore. Ville historique tentée par le tourisme à la fin du XIXe siècle, elle connaît en effet aujourd'hui comme une seconde mise en tourisme. Elle se fait sur fond historique de requalification des bâtiments et de nature en s'ouvrant sur la baie. Mais le tourisme n'y est plus seulement une activité spécifique dans la mesure où toute la ville connaît, sur ses fondements, de significatives transformations. Des habitants mobiles choisissent désormais d'y résider. Dès lors, le lieu, plutôt rural dans ses apparences, à la fois par sa taille, la nature de ses constructions et son environnement, devient un lieu urbain par ses habitants. A leurs manières, il n'est plus paradoxal de qualifier ces lieux d'urbains.

 Saint-Valery-sur-Somme une station balnéaire de plus en plus prisée

Saint-Valery-sur-Somme une station balnéaire de plus en plus prisée

Gros plan sur Saint-Valery-sur-Somme, une station balnéaire qui en l'espace de 20 ans est devenue la station balnéaire très cotée de la Baie de Somme. C'est en perdant sa plage dans les années 70 qu'elle se démarque des autres villes côtières : elle n'attire plus de tourisme de masse, mais une clientèle fortunée, en quête d'authenticité, de calme, et d'une certaine qualité de vie. Le marché de l'immobilier s'est envolé, mais pour les commerçants, comme Denis Courtois, si l'afflux touristique est une manne, il faut veiller à ce que la station ne perde pas son âme. Par ailleurs, grâce à sa situation géographique Saint-Valery draine une clientèle venant de l'étranger.

25 juin 2010
02m 40s

Des dynamiques comparables sont observables dans et autour de la forêt de Compiègne. Vieux-Moulin ou Saint-Jean-aux-Bois, par exemple, ont tous les atours des campagnes. Mais, à y regarder le plus près et à considérer les types d'habitants qui y résident, en déplacements fréquents ne serait-ce que pour leur travail, ils s'apparentent surtout à de « chics » quartiers urbains. Ce phénomène, inscrit dans les dynamiques du tourisme, mais englobant celles des lieux entiers, n'est du reste pas exceptionnel en Europe. On en retrouve des exemples significatifs dans l'Ouest de la France aussi bien que dans certaines campagnes anglaises, au sud de Londres notamment, ou allemandes.

« Habiter au pays des vacances »

Par l'ouest et la mer, d'une part, par le sud et la ville, de l'autre, le tourisme prit la Picardie par ses deux bouts. Dans les deux cas, un même modèle de station. En même temps qu'il se « bétonnise » parfois dans les années 1970, il perd aussi de sa vigueur. Cela dit, on suit autrement les jalons d'une histoire et d'une géographie en renouvellement de plus en plus rapide. La mer et, d'une manière générale, tout ce qui se différencie de la ville, constituaient les arguments fondateurs des premiers lieux touristiques. Si la nature reste un point fort du tourisme des années 1960 et 1970, ses lieux prennent d'autres formes, à la fois moins cimentées et plus construites, peut-être, plus pédagogiques, en tout cas. A cette thématique s'en ajoute une autre, plus historique. Elle est celle du patrimoine qui étend son emprise au point finalement d'englober aussi une nature retenue pour être désormais patrimoniale. Dans cette logique, le passé tout entier sert les arguments des parcs de loisirs qui n'offrent plus seulement des attractions de foires, mais un dépaysement qui puise ses propos aux sources des histoires nationales. Troisième étape : au tournant des années 1990, le tourisme sort de ses lieux, stations et parcs. Il devient alors un fait territorial total. Autrement dit, les valeurs et les pratiques qui ont été inventées comme touristiques constituent peu à peu des valeurs communes à toutes les sociétés. C'est en cela que le géographe Michel Lussault parle du tourisme comme d'un genre commun . Après avoir fui la ville pour s'expérimenter à ces marges, le tourisme y revient pour en façonner les parties les plus centrales, les plus symboliques, les plus riches aussi. C'est alors et peu à peu tout le territoire qui cultive ses lignes touristiques pour diffuser ce que l'aménageur Jean-François Gravier pointait, dès 1964, comme le « travailler au pays des vacances ».

Avec les spécificités qui sont celles de la Picardie, le phénomène tourisme s'y reconnaît à travers ses grands moments. Il sont ceux, d'abord, de l'exploration, de l'invention, de la découverte : la mer en est le grand horizon, mais aussi les corps, dans l'eau, sur les plages, face aux ombres et au soleil. De ce point de vue, les lieux picards sont essentiels. Passée la Seconde Guerre mondiale, le tourisme se fait apprentissage. Apprentissage du monde, au-delà de ses horizons quotidiens, mais qui peut aussi passer par des proximités inconnues, historiques ou pittoresques. Les parcs et jardins, entre autres, en constituent d'excellents exemples. Enfin, au cours des deux dernières décennies du siècle dernier, le tourisme connaît une double évolution. D'une part, il se fait rencontres. Rencontres avec l'autre, ailleurs, touriste, comme à Belle-Dune ou non, au-delà du cadre régional. Le thème des rencontres, d'autre part, se moule alors, au point de s'y parfois confondre, avec celui du vivre-ensemble. Et tous les arguments qui faisaient des lieux touristiques des lieux propres aux bonheurs, des eutopies, servent de fondements aux politiques d'aménagement de tous les espaces. Ainsi, si le « travailler au pays des vacances » exprimait le projet naissant des sociétés européennes des années 1960, celui des années 2010, facilement observable dans une Picardie où la ville semble l'avoir emporté sur la mer, revient désormais et pleinement, au-delà même du logement, à celui d'un « habiter au pays des vacances ».

Bibliographie

CORBIN, Alain (dir.) (1995). – L'avènement des loisirs, 1850-1960. Coll. Historique, Aubier, 472 p.

DUHAMEL, Philippe (2013). – Le tourisme, lectures géographiques . Paris, La Documentation, photographique, n° 8094, La Documentation française, 64 p.

DUHAMEL, Philippe et KNAFOU, Rémy (2007). – Les mondes urbains du tourisme . Coll. Mappemonde, Belin, 366 p.

EQUIPE MIT (2005). – Tourismes 2. Moments de lieux. Coll. Mappemonde, Belin, 350 p.

LAZZAROTTI, Olivier (1995). – Les loisirs à la conquête des espaces périurbains . Paris, Coll. Tourismes et Sociétés, L'Harmattan, 320 p.

VIOLIER, Philippe (dir.) (2013) – Le tourisme, un, phénomène économique . Paris, La Documentation française, 218 p.