L'étrangeté du sentiment magique, avec Etienne Saglio
Notice
Le soir des monstres, premier spectacle d'Etienne Saglio, met en scène un démiurge de fortune ; dans l'aliénation de sa solitude, il donne vie aux vieux objets qui l'entourent. Un tube en plastique se met à ramper, les balles du jongleur finissent par voler de leurs propres ailes... Une illustration de magie nouvelle, mouvement éclos dans les années 2000.
- Europe > France > Bretagne > Ille-et-Vilaine > Rennes
Éclairage
C'est en trouvant une redingote dans la poubelle d'une banlieue de Stockholm que le jeune Etienne Saglio voit émerger les prémisses de son spectacle Le soir des monstres, qui éclot en 2009 : « ce grand manteau noir de femme m'a donné une posture que je n'avais pas habituellement. J'ai pris l'habitude de le porter sur scène pendans ma formation au Lido. Un personnage est né progressivement, lié à cette silhouette. » [1] Inspiré tant par Tim Burton que par le symbolisme, l'artiste invente un personnage de petit prince chiffonier : le regard enfiévré cerné de noir, tout à son délire d'enfant tourmenté, il domestique les objets qui l'entourent – ces "monstres" éponymes, laissés sur le coin du trottoir le soir des encombrants. La rencontre avec la magie nouvelle, lors de son cursus au CNAC en 2005, est décisive pour Etienne Saglio. De sa formation initiale de jongleur, il conserve un amour pour la manipulation d'objets. Mais ce sont bien les techniques magiques qui lui permettent d'aller plus loin : « La magie me permet de figurer dans le réel la solitude créatrice de l'artiste. Pour la création du spectacle, j'ai passé deux ans enfermé dans une pièce. Entre ennui et illuminations, le cerveau part loin, avec le risque de se perdre dans les chemins de l'imaginaire... Le soir des monstres raconte cet affrontement entre réalité et fiction, ce moment où l'on préfère parfois basculer dans la folie pour cesser de lutter. » [1] A l'arrivée, le spectateur ne cherche plus à comprendre le fameux « truc », mais se laisse embarquer dans une poésie sombre : un serpent fait de tube s'anime tout seul, un personnage s'arrache littéralement la tête sur scène... Pour Etienne Saglio, « la distorsion du réel permet à la magie d'être un langage artistique universel, qui commence là où le cirque s'arrête ». [1] La performance est soulignée, quand cinq balles en suspension se jonglent au ralenti ; le fantasme du jongleur se concrétise, quand elles se dotent d'ailes pour ne plus jamais tomber.
Epaulé par Raphael Navarro, co-auteur du Soir des monstres, Etienne Saglio devient le représentant d'un mouvement éclos dans les années 2000 : la magie nouvelle qui, à l'instar du nouveau cirque trente ans auparavant, se propose de donner un visage contemporatin à la discipline. Au sein de la Cie 14:20, l'artiste Raphael Navarro et l'anthropologue Valentine Losseau mènent un travail de recherches historiques, sociologiques et techniques sur la magie. Il s'agit de cerner les différentes modalités aptes à modifier la perception du réel, qui permettront d'utiliser l'effet magique non plus comme une finalité, mais comme un moyen pour servir le propos de l'artiste qui s'en saisira. Pour Etienne Saglio, il s'agit aussi de redonner à la magie sa place au sein des arts du cirque, elle qui a longtemps été cantonnée aux cabarets et au secteur événementiel. En 2009, l'artiste décroche ainsi la médaille de bronze du Festival mondial du cirque de demain, avec une forme courte : « L'envol est construit comme un numéro de cirque : j'apprends à des balles à voler. Cela opère un mix dans l'imaginaire collectif, entre les colombes utilisées par les magiciens traditionnels, et le dressage des animaux au cirque. Il s'agit de raconter le cirque, mais en passant par la magie. » [1]
En 2011, Etienne Saglio développe une série d'installations magiques, présentées à la manière d'un cabinet de curiosités (Le silence du monde) : un nuage en lévitation sous une cloche de verre, un couple de mini danseurs de papier, qui virevoltent de manière autonome dans un tango endiablé... Une magie qui se dispense de la présence physique du magicien, et qui ne repose plus sur le principe d'une surprise éphémère: « Il n'est pas question ici d'une somme d'étrangetés inquiétantes, mais d'un mystère à la croisée du sentiment magique et de la contemplation ». [2]
[1] Entretien avec Etienne Saglio, 2009
[2] Etienne Saglio cité dans le dossier de presse Cirque et magie en capitales, Théâtre d'Arles, 2013