Jérôme Bel et Le Dernier spectacle

03 janvier 2001
01m 36s
Réf. 00921

Notice

Résumé :

Le journaliste Jean-Marc Adolphe remet dans son contexte historique et esthétique Le Dernier spectacle de Jérôme Bel, créé en 1998. Il en analyse les enjeux et l'originalité pour Philippe Lefait. Quelques images complètent cette courte séquence.

Date de diffusion :
03 janvier 2001
Source :
Lieux :

Éclairage

Jérôme Bel (né en 1964), tête d'affiche de la "non danse" depuis son apparition au milieu des années 90, a fait de la critique de l'art chorégraphique son cheval de bataille. Avec lucidité, non sans humour. L'auto-déclaré "fils de Pina Bausch et de Roland Barthes" sait manipuler les concepts, les mots et les images avec autant d'intelligence que de plaisir.

Elève au Centre national de danse contemporaine d'Angers, interprète dans la compagnie de Régis Obadia et Joëlle Bouvier, puis assistant de Philippe Decouflé pour la mise en scène des cérémonies des JO d'Albertville, il crée sa première pièce Nom donné par l'auteur en 1994. Face à face, deux hommes (Jérôme Bel et Frédéric Séguette) se livrent à un rangement-aménagement-déménagement d'objets (aspirateur, dictionnaire, sèche-cheveux...). Un an après, il présente Jérôme Bel. La "non danse" s'offre un manifeste : pas de décor, pas de costume, de lumière, pas de musique. Pas de danse non plus au sens strict du terme. Les trois interprètes, dont une chanteuse interprétant a cappella Le Sacre du Printemps d'Igor Stravinsky, sont nus sur un plateau vide, orné d'une ampoule. Ils écrivent leurs mensurations, le code de leur compte bancaire tout en triturant leur corps... Avec ce spectacle, Jérôme Bel affirme haut et fort son impossibilité de lever la jambe, d'enfiler des mouvements comme des perles... Quelques-unes de ses obsessions apparaissent : la question de l'identité, de l'auteur, de l'illusion théâtrale...

Shirtologie (1997), avec Frédéric Séguette en vedette, marque le coup en filant un clin d'œil à Roland Barthes dont Bel est un fervent lecteur. En emballant le danseur sous des couches de tee-shirts ornés d'un sigle ou d'un slogan, le chorégraphe organise une séance de lecture de tous les clichés qui animent la vie d'aujourd'hui. Il secoue aussi la mythologie contemporaine de ce vêtement porté par tous. Au fil de ce qui peut ressembler à un drôle de strip-tease, le héros finit par se retrouver torse nu et même pas à poil : la peau a finalement l'apparence d'un tee-shirt. Avec cette pièce d'anthologie, diffusée dans le monde entier, Jérôme Bel retourne les thèmes contemporains du formatage, de l'apparence, des jeux de rôles, des signes vestimentaires...

Même combat dans Le Dernier spectacle (1998). Il y endosse, ainsi que trois autres interprètes, le costume de la danseuse allemande Susanne Linke, du tennisman André Agassi, d'Hamlet et de... Jérôme Bel. Confusion et travestissement, la vérité du leurre théâtral explose. Depuis 2004, Jérôme Bel a decidé de ne plus tourner ce spectacle et l'a "remplacé" par une conference sur les enjeux de son travail.

Son best-seller s'intitule The show must go on (2001) et quel succès ! Il faut dire qu'entre les mailles apparemment lâches de ce vrai-faux show pop et moqueur, il se glisse bien des images et réflexions sur le pouvoir de la musique, la force de la boîte noire du théâtre, l'illusion du divertissement... En scène, plus d'une vingtaine d'interprètes se tiennent debout côte à côte. Face à eux, un DJ va passer une série de hits musicaux connus de tout le monde. Chaque morceau entraîne une illustration paradoxale. Let's dance de David Bowie enclenche un numéro de boîte de nuit ; Yellow Submarine des Beatles voit tout le monde descendre par une trappe jaune sous le plateau...

Depuis 2004, Jérôme Bel réalise des portraits chorégraphiés d'interprètes. Après Véronique Doisneau (2004), solo-monologue conçu avec la danseuse de l'Opéra de Paris Véronique Doisneau qui y raconte les dessous de la vraie vie du corps de ballet, il a poursuivi ce travail documentaire avec une ballerine de l'Opéra de Rio de Janeiro, un interprète thaïlandais, le danseur contemporain Cédric Andrieux... Il a également collaboré avec la chorégraphe flamande Anne Teresa de Keersmaker pour 3 Abschied (2010), sur une musique de Gustav Mahler. Les deux complices tentent de faire surgir l'idée de la mort sur scène, obsession de Bel depuis toujours. Son Catalogue raisonné 1994-2008 rassemble neuf films correspondant à ses neuf spectacles consultables sur internet.

Rosita Boisseau

Transcription

(Bruit)
Jean-Marc Adolphe
Alors, là, il faut peut-être préciser que cette séquence du dernier spectacle, c’est en fait une réinterprétation d’un solo qui a une place un petit peu à part dans l’histoire de la danse ; qui est un solo de Susanne Linke, danseuse chorégraphe allemande, qui est issue de, je dirais, de la grande école de la danse d’expression allemande. Et c’est un solo qui est, dans cette pièce de Jérôme Bel, successivement interprété par 4 danseurs, y compris donc par des danseurs masculins. Là, c’est Jérôme Bel en personne, je crois. Donc, il y a aussi un jeu sur le travestissement, d’une certaine manière, sur…. Donc, c’est un travail de citation qui est tout à fait inhabituel dans la danse. C’est la première fois, à ma connaissance, qu’un chorégraphe reprend dans un spectacle un extrait d’un spectacle de quelqu’un qui l’a précédé enfin, d’une autre génération.
Philippe Lefait
Alors, Jérôme Bel qui dit aussi qu’il a une fascination, en tout cas, une tentation, ce serait dans cette œuvre de négation de l’identité, de mettre des cadavres sur scène aussi, enfin, qui est le fantasme. Enfin, son fantasme absolu de contact avec la mort.
Jean-Marc Adolphe
Oui, chaque artiste, je crois, a ses fantasmes qu’il réalise plus ou moins. C’est à dire que c’est peut-être le summum à reporter de pièce en pièce et de s’en approcher, en même temps, à chaque fois.