Journaliste
... et cette petite fille de treize ans qui a, elle aussi, une vie un peu particulière.
[Extrait]
[Anglais]
Journaliste
Moi, je réponds et lui... et lui ... translate...
Jean-Claude Mangeot
Alors "Pretty Baby", "La Petite", en français, le film de Louis Malle, dans la sélection américaine.
Il me dira, d'ailleurs, peut-être pourquoi, tout à l'heure.
Un film 100 % dans la sélection américaine.
On va dire, Louis Malle, encore le scandale au festival de Cannes ?
Un sujet un peu bizarre, un peu osé ?
Louis Malle
D'abord, sur l'histoire du film américain, je veux dire, c'est un film que j'ai tourné en Amérique, dont le sujet est américain, donc c'est un film américain qui est techniquement américain, donc, c'est normal qu'il représente l'Amérique.
Vous savez, Jo Loseyvient de faire un film, en France, qui s'appelle"Les Routes du sud". Il aurait pu être sélectionné, il aurait fait... Il aurait pu représenter le France, c'est un film français.
Jean-Claude Mangeot
On ne peut pas vous soupçonner, par exemple, de préférer aller faire votre film aux Etats-Unis pour être plus sûr d'être dans la sélection.
Louis Malle
Non, je crois pas, non.
Quand j'ai fait le film, je n'ai pas pensé au festival de Cannes.
Jean-Claude Mangeot
Bon, alors, on parle du film, La Petite Fille.
Louis Malle
Alors, ça s'appelle "La Petite", en français, et c'est tiré d'un récit authentique.
Ca se passe à Storyville, le quartier réservé, le quartier qui était absolument légal jusqu'en 1917, de la prostitution, à la Nouvelle-Orléans, qui est un quartier très fameux parce que, comme vous savez, c'est où est né le jazz.
Et l'action est centrée sur trois personnages qui sont joués par Brooke Shields qui joue une jeune fille qui est née et élevée dans une maison close, sa mère, qui s'appelle Hattie, qui est jouée par Susan Sarandon qui est une prostituée de la maison, et un photographe qui est un personnage réel, aussi, qui a existé, qui s'appelait Belloch, et que je joue dans le film Keith Carradine.
Et c'est une histoire.
C'est aussi l'évocation d'une atmosphère.
C'est la fin d'une époque.
Il y a beaucoup d'autres choses en dehors...
Si on résume le film en deux lignes en disant que c'est l'histoire d'une prostituée de douze ans, je crois que c'est un peu injuste et un peu facile.
C'est effectivement le personnage principal qui est interprété par Brooke, mais il y a beaucoup d'autres choses dans le film.
Et de toute façon, je ne vois rien de scandaleux à évoquer ce sujet dans la mesure où la prostitution enfantine existe, a toujours existé, existe encore aujourd'hui.
Et donc, il y a des articles dans les journaux sur ce problème.
Moi, je ne vois pas pourquoi je ne ferai pas un film là-dessus.
Jean-Claude Mangeot
On se souvient des Ballets roses, par exemple.
Louis Malle
Oui. Il y a beaucoup d'exemples. Je veux dire, depuis la Grèce antique, la prostitution enfantine a toujours existé dans toutes les civilisations.
Et moi, je fais référence à une époque de la prostitution aux Etats-Unis où c'était aussi une chose...
Je veux dire, à Storyville, c'était très important.
Et en plus, toute l'histoire du film est vraie, je veux dire.
Il y a aucun détail...
Jean-Claude Mangeot
C'est la peinture, en même temps, d'une société...
Louis Malle
C'est une peinture de moeurs.
C'est aussi un film sur l'hypocrisie, un film sur la corruption.
Au fond, il s'agit d'une enfant qui est deux fois exploitée.
Elle est exploitée comme prostituée, comme femme, et elle est aussi exploitée comme enfant.
Alors, évidemment, c'est un peu facile de dire qu'un film sur l'exploitation est un film d'exploitation. Ce n'est pas vrai.
C'est, du reste, un film qui est très austère et très chaste.
Alors, c'est simplement une réflexion que les gens n'ont pas nécessairement envie de faire.
Mais parce qu'ils n'ont peut-être pas envie qu'on leur parle d'une chose aussi dérangeante sociologiquement.
Mais malheureusement, ça existe.
Jean-Claude Mangeot
On pourrait demander, d'ailleurs, à Brooke Shields, quand vous l'avez contactée pour faire ce film, si elle n'a pas été choquée ?
Elle parle un peu français, je crois ?
Interwiewé
[Anglais]
Louis Malle
Elle dit qu'elle était très intéressée de tourner ce film parce qu'elle aimait beaucoup le sujet, parce que je ne sais pas.
Et puis, elle faisait confiance.
Enfin, qu'elle pensait que de toute façon, ça serait un film qui serait bon et qui serait de bon goût, et donc, elle n'a pas eu de crainte d'engager...
Et bien, il faut faire confiance, oui, parce qu'effectivement, je peux vous dire qu'effectivement, avec ce sujet-là, on aurait pu faire un film complètement pornographique.
Malheureusement, ce n'est pas le cas. Je suis obligé de le dire pour les gens qui s'attendent à voir un film porno, ils vont être très déçus.
Jean-Claude Mangeot
Alors, on remarque une chose, et on va le voir, d'ailleurs, à travers d'autres films dont nous allons parler, cette année.
Il semble qu'il y ait, au festival, cette année, il semble qu'il y ait beaucoup de films dont le féminisme, la femme est un peu le centre d'intérêt.
Louis Malle
C'est-à-dire que je trouve que c'est un peu temps parce que pendant des années, on faisait uniquement des films sur des hommes, des amitiés d'hommes, des films virils.
Moi, ça ne m'a jamais beaucoup passionné.
Et je dois dire, une des choses qui m'a intéressé de faire "La Petite", c'est que ça m'a donné l'occasion de faire un film où, finalement... qui est un film sur un univers féminin, entièrement féminin.
Ça se passe dans une maison close pendant les trois quarts du temps, et c'est l'histoire d'une dizaine de femmes plus les hommes étant des objets, pour une fois.
C'est toujours les femmes qui sont les objets, dans les films. Alors, pour une fois, dans ce film, les hommes sont les objets.
Ils sont, en général, inexistants, à l'exception du personnage de Belloch et du personnage du pianiste, qui est joué par Antonio Fargus, qui est aussi un personnage très important, le pianiste qui joue du très bon jazz.
Parce qu'il y a du très bon jazz dans le film parce qu'on a eu la chance de pouvoir utiliser et reconstituer la musique authentique de la Nouvelle-Orléans de l'époque, les enregistrements de Jelly Roll Morton, en particulier.
Et donc, en fait, c'est un film sur l'univers féminin.
Du reste, j'ai travaillé avec une scénariste qui était une femme.
J'ai beaucoup voulu travailler avec une femme parce que je pensais que c'était indispensable.
Jean-Claude Mangeot
C'est très curieux parce que finalement, le couple Brooke Shields- Keith Carradine, on pourrait faire un peu le parallèle un peu avec le film dont on vient de parler, en ce moment, Violette Nozière.
C'est un peu la même chose, dans des situations qui sont un peu abracadabrantes et peut-être qu'on a quand même une certaine morale, une certaine pureté dans le sentiment.
Louis Malle
C'est-à-dire oui. Moi, je n'ai pas encore vu le film de Claude, et j'ai très envie de le voir parce qu'on me dit que c'est très bon.
Je sais que j'ai toujours été très intéressé par l'histoire de Violette Nozière, le personnage, effectivement.
Il me semble qu'il y a un renouveau dans le cinéma, ce que je trouve vraiment bien.
Des films qui sont, au fond... dont les personnages clés sont des personnages de femmes, et des personnages de femmes qui ont une certaine réalité, qui ne sont pas seulement des objets sexuels ou des personnages manipulés, mais qui sont des personnages qui ont leur propre vie et leur propre complexité.
Et ça, c'est bien.
Et ça, ça devait arriver parce que ça fait trop longtemps qu'on nous embête avec des histoires d'hommes.
Jean-Claude Mangeot
Merci à tous. Je pense que "Pretty Baby", on aura l'occasion certainement d'en reparler.
Il va sortir également dans quelques jours, en France.
Louis Malle
Il sort mercredi, à Paris.
Jean-Claude Mangeot
Très bien.
Alors, maintenant, on va retrouver, et toujours pour parler, d'ailleurs, d'un film de femmes, on va retrouver à côté de Georges Bégou, Melina Mercouri et Jules Dassin.
Le titre de ce film, en français, "Cri de femme".