Interview with Jaco Van Dormael, winner of the Caméra d'Or at the 1991 Festival

22 juin 1991
07m 13s
Ref. 00262

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Summary :

Bernard Pivot receives Jaco Van Dormael, who won the Caméra d'Or award for "Toto the Hero" at the 44th Cannes Festival.

Media type :
Broadcast date :
22 juin 1991
Source :

Transcription

Bernard Pivot
Palmarès lundi soir, lundi vers dix-neuf heures, je crois. Merci à tous les deux. Alors, je vous présente Jaco Van Dormael. Il est... Vous n'avez pas été clown, vous, avant d'être...
Dormael Jaco Van
Il fut un temps.
Bernard Pivot
Alors, quand on est clown, on aime les enfants.
Dormael Jaco Van
C'est vrai, oui.
Bernard Pivot
Certainement que vous aimez les enfants, que vous les avez toujours aimés et que vous les aimerez toujours. Ca, c'est sûr. Quand on est clown, c'est la preuve évidente. Vous avez fait, aussi, des spectacles pour enfants, avant d'être metteur en scène ?
Dormael Jaco Van
J'ai surtout fait des courts métrages, en fait, avant de faire du long métrage. C'est là que j'ai appris mon métier, en faisant du court métrage. Tout au début, c'est vrai que je faisais des spectacles de clown, et c'était très gai à faire. Ca a mis assez longtemps à être drôle. Donc, il y a eu tout l'apprentissage de la comédie. Ce que j'aime bien, dans le travail de clown, c'est que c'est quelque chose de très précis, très mécanique, très boulonné, et ça repose vraiment sur le travail. Ce que j'aime bien, dans le spectacle pour enfant, c'est que c'est public vraiment fantastique, avec lequel on apprend énormément parce qu'ils ne sont pas polis, parce qu'on sait tout ce qu'ils pensent. Parce que s'ils n'aiment pas, ils le disent, ils sortent, ils lancent des papiers.
Bernard Pivot
Alors, "Toto le Héros" a obtenu, au festival de Cannes, la caméra d'or, c'est-à-dire... C'est votre premier long métrage. C'est-à-dire qu'il a obtenu... le jury a considéré que c'était le meilleur premier film, toutes compétitions confondues. Et Dieu sait qu'il y en a, à Cannes. Et moi, je trouve ça tout à fait mérité. D'abord, pour la qualité de la mise en scène, la qualité du montage, qui est absolument fabuleux, dans ce film, la qualité des dialogues, la qualité de l'histoire. Je ne vous reprocherais qu'une seule chose. C'est le titre, "Toto le Héros". Parce que je le trouve un peu réducteur. J'ai vu des gens qui croient que c'était un film, effectivement, pour des enfants, alors que c'est un film d'une très grande ambition qui raconte une histoire assez poignante. Alors, c'est vrai... Peut-être, oui, le film, vous n'êtes pas d'accord avec moi, évidemment. Non, c'est vrai, vous ne trouvez pas que " Toto le Héros ", ce n'est pas un peu réducteur ?
Dormael Jaco Van
C'est le seul titre que j'arrivais à retenir, donc j'ai gardé celui-là.
Bernard Pivot
Alors, disons que c'est l'histoire d'un vieillard qui, aux termes de sa vie, s'aperçoit qu'il n'a pas, comme Philippe Jeantot, il n'est pas allé au bout de ses rêves. Et tout d'un coup, il a envie de vivre intensément. C'est ça ?
Dormael Jaco Van
C'est ça. C'est quelqu'un qui est convaincu... depuis qu'il est gamin, il est convaincu qu'il a été échangé, à la naissance, avec son voisin d'en face.
Bernard Pivot
Qui est riche.
Dormael Jaco Van
Qui est riche. Et que donc, lui, vit la vie du voisin, que son voisin, Alfred, vit sa vie à lui. Et il ne sera jamais... Il ne se sentira jamais dans ses pompes, quoi. Il ne se sentira jamais à sa place. Il y a en fait, quatre lignes traversent le film, et qui se sont tout à fait mélangées, qui se bousculent les unes les autres. Il y a la ligne de Thomas enfant, qui vit son enfance, qui vit bien, avec ses parents, qui est bien, en fin de compte, qui vit une grande passion avec sa soeur.
Bernard Pivot
Oui, parce qu'il croit qu'elle n'est pas sa soeur.
Dormael Jaco Van
Puisque ce n'est pas sa soeur, puisqu'il a été changé à son enfance, donc, ça l'arrange assez bien. Puis, la deuxième ligne, c'est ce qu'il croit qu'il va devenir plus tard, Toto le Héros, l'as du contre-espionnage, une histoire vraiment pleine de...
Bernard Pivot
Il imagine qu'il sera l'as du contre-espionnage ?
Dormael Jaco Van
C'est ça.
Bernard Pivot
Vous avez rêvé, vous, que vous étiez un as du contre-espionnage ?
Dormael Jaco Van
Non, pas vraiment.
Bernard Pivot
Mais vous avez rêvé, parce que c'est un film de rêveur de vous avez écrit. Donc vous avez rêvé d'être beaucoup de choses, certainement.
Dormael Jaco Van
Quand j'étais gamin ?
Bernard Pivot
Oui.
Dormael Jaco Van
Oui, je pensait être, peut-être, Ivanhoé ou quelque chose ça. Et puis, je voulais aussi être trappeur au Canada ou j'aurais pu être marin. Là, j'ai choisi de faire du cinéma, comme ça, on fait un peu de tout, en restant dans sa chambre. On fait un peu tous les métiers. En vivant par personnages interposés.
Bernard Pivot
Oui. C'est-à-dire que vous ne serez pas comme Thomas, votre héros, qui s'aperçoit qu'il a une vie ratée, médiocre, à la fin de ses jours. Vous, metteur en scène de cinéma, vous vous donnez de multiples vies, toutes les vies que vous inventez. C'est ça qui est fabuleux, dans votre métier.
Dormael Jaco Van
Oui. C'est peut-être fabuleux. Quoique ça ne résoud pas la vie non plus. C'est-à-dire que c'est vrai que le travail qu'on fait, tous les jours, c'est essayer d'arranger la vie des personnages pour que leur histoire... pour qu'il n'y ait pas un trou, pour qu'il y ait un début, un milieu, une fin, dans leur vie, que tout aille de l'avant, que ce soit bien rythmé, et tout. Et que la vie quotidienne qu'on vit, ce n'est pas vraiment ça. Ce n'est pas vraiment la grande aventure. Et la vie de scénariste ou d'écrivain ou de réalisateur, ce n'est pas vraiment la grande aventure. C'est un travail qui est vraiment très très proche de la vie concrète, de la vie banale. Et je crois, ce qui demande le plus de talent, c'est de vivre cette vie normale-là.
Bernard Pivot
Alors, Philippe Jeantot, il faut vraiment qu'il faut que vous alliez voir ce film. J'engage tous les téléspectateurs à y aller. Le film obtient un très grand succès en Belgique. Il a démarré depuis mercredi, en France. Mais il faut vraiment aller le voir parce que c'est un film qui est comme la vie. C'est-à-dire que par moments, il est drôle, par moments, il est tragique. Parfois, il est bouleversant. Et on va voir... Jouent dedans, Mireille... il y a des enfants qui sont formidables, il y a Mireille Perrier que j'avais invitée à Cannes lors de Bouillon de culture de Cannes, et puis, Michel Bouquet qui joue le rôle du vieillard qui se révolte contre lui-même et contre la vie. Voici une scène de "Toto le Héros" avec Michel Bouquet. Vous verrez, dans un moment, son sourire splendide.
Charles Trenet
"La pendule fait tic tac, tic tic, les oiseaux du lac, pic pac, pic pic, glouglouglou font tous les dindons, et la jolie cloche, ding ding dong. Mais boum, quand notre coeur fait boum, tout avec lui dit boum, et c'est l'amour qui s'éveille... " Arrêtez-vous.
Bernard Pivot
Vraiment magnifique. Pourquoi vous avez choisi cette chanson de Charles Trenet, "Boum" qui accompagne le film ?
Dormael Jaco Van
Parce qu'il y a cette espèce de naïveté, de fraîcheur, d'innocence. En fait, pour lui, c'est le paradis perdu. Je dirais même qu'à soixante-dix ans, ce qu'il aimerait retrouver, c'est cette ambiance de quand il était gamin, que son papa jouait au piano et que sa soeur l'accompagnait à la trompette. Et c'est vrai que dans les chansons de Trenet, il y a un peu ce contraste, toujours, quelque chose de très dur, dans le texte, et quelque chose de très léger dans la façon dont c'est raconté. C'est un peu le ton de Toto aussi. C'est à la fois grave, et à la fois, ce n'est pas grave.
Bernard Pivot
Jaco Van Doemal, bravo pour cette caméra d'or qui est bien méritée. Je crois que vous n'aurez pas de peine, après le succès de ce premier film, d'en faire un second. Vous trouverez certainement des producteurs. Philippe Jeantot, quel est le dernier...