Entretien avec Arnaud Desplechin pour "La Sentinelle"

15 mai 1992
02m 48s
Réf. 00263

Notice

Résumé :

Arnaud Desplechin présente son film "La Sentinelle", en compétition officielle pour la France au 45ème Festival.

Type de média :
Date de diffusion :
15 mai 1992
Source :
Personnalité(s) :

Transcription

Journaliste
Votre film est un film politique, mais à la différence des films politiques des années 60, c'est qu'il ne traite pas le politique d'une façon directe mais d'une façon militante, qu'il traite, je dirais, le politique par une symbolique, par quelque chose de tout à fait différent. Presque une métaphore, en vérité.
Arnaud Desplechin
Ce que j'ai essayé de faire, c'est de mettre plusieurs choses, si vous voulez. Comme j'avais envie de faire un film... Bon c'est un paradoxe parce que le film est un peu long, j'avais envie de faire où il y ait plusieurs vitesses, quoi, où ça raconte plein de trucs, de profiter du fait que maintenant, les spectateurs vont plus vite, pour essayer de mettre plus de choses, tout bêtement, dans le film. Et du coup, j'aimais bien l'idée de comparer des plans qui ne sont pas forcément... qu'on n'aurait pas l'idée de mettre en rapport. Par exemple, les rapports entre un garçon et sa petite amie, entre un garçon et son pays, entre un garçon et sa famille, entre un garçon et son travail, entre un garçon et la mort. Vous voyez ? De comparer ça. De dire, par exemple, qu'est-ce que ça fait, si je me dispute avec un autre pays ? Et qu'est-ce que ça fait si je me dispute avec ma petite amie ? Est-ce que je peux me servir de ma petite amie pour être mieux politiquement ? Est-ce que je peux me servir de politique pour mieux vivre avec ma petite amie ?
Journaliste
Mais pourquoi avoir choisi l'autopsie, tout de même ? Pourquoi avoir choisi un étudiant en Médecine légale ? Pourquoi ?
Arnaud Desplechin
Vous voyez, moi, par exemple, je ne fais pas de politique mais je suis citoyen, mais je suis gouverné. Alors, on peut s'imaginer et réfléchir en vitesse, comme ça, et se dire : " Voilà la politique... ". Mais en fin de compte, choisir comme frontière, aller là ou là. Ce n'est même pas pour les vivants que c'est le plus important. C'est pour les gens qui viennent de mourir. Vous voyez, par exemple, quand il y a dix mille personnes, ça vaut le coup de déplacer un petit peu une ligne sur une carte. Et de la même manière, j'avais besoin de comparer ça en médecine avec ce qu'il y a de plus grave à un moment, c'est-à-dire que quand vous mourez, il faut qu'il y ait un certain nombre de choses qui se fassent pour que vous ne soyez pas expulsé de la société mais que vous y entriez. Que vous, mort, vous soyez avec la société, vous ne soyez pas oublié. Donc, c'était un petit peu l'idée de comparer ces deux choses qui sont que pour faire un pays, il faut respecter ce qu'il s'est passé avant, et que de la même manière, médicalement, il faut respecter le corps humain, tout le temps. Alors, j'avais envie de prendre un garçon qui faisait un métier un peu sale, comme ça, qui choisit de... oui, d'être au plus bas de l'échelle sociale.
Journaliste
Vous êtes un jeune cinéaste. Vous êtes né en 1960. Là, vous vous trouvez, tout de même, réalisateur d'un film important qui passe à Cannes. C'est un sacré destin ?
Arnaud Desplechin
C'est une coïncidence.
Journaliste
Vous avez de la chance.
Arnaud Desplechin
J'ai énormément de chance, oui. J'ai énormément de chance. Ca, j'ai beaucoup de chance, oui.