La fermeture de l'usine Levi's de La Bassée
12 mars 1999
01m 58s
Réf. 00024
Notice
Résumé :
Les 541 salariés de l'usine Levi's de La Bassée ont appris la fermeture de leur usine le jour même. La nouvelle est tombée au lendemain d’ultimes négociations sur le plan social. L’émotion submerge les ouvrières.
Date de diffusion :
12 mars 1999
Source :
France 3
(Collection:
JT Europole TV
)
Personnalité(s) :
Lieux :
Éclairage
Septembre 1998, la multinationale américaine Levi’s annonce la fermeture de quatre sites de production de part et d’autre de la frontière franco-belge : trois sont situés, en Belgique ; le quatrième dans l’agglomération lilloise, à La Bassée. Dans cette commune située à la limite du bassin minier, ce sont 541 emplois industriels qui disparaissent dans un secteur, le textile, qui est perpétuellement en crise depuis les années 1950. Les chiffres sont édifiants. Le textile est la première industrie régionale en 1954, et il emploie alors plus de 171 000 personnes, c’est plus que dans les charbonnages. Pourtant, en 1998, on ne recense plus que 24 000 emplois. Au plus fort de la crise industrielle du secteur, entre 1973 et 1992, 88 500 emplois ont disparu. L’usine de La Bassée, de la marque Levi’s, mondialement célèbre pour ses jeans, avait semble-t-il vaillamment résisté… jusqu’à l’annonce fatidique.
Localisée en dehors du principal périmètre d’implantation des établissements textiles métropolitains – surtout concentrés sur Roubaix-Tourcoing – l’usine Levi’s cultive sa différence : spécialisation, savoir-faire et qualité de ses produits. Mais ce n’est plus suffisant pour la direction qui a pris la décision de délocaliser la production. Ce choix se heurte à la colère et à l’incrédulité des salariées qui sont persuadées que la multinationale est rentable, bénéficiant d’un leadership mondial sur son marché.
La proximité avec le bassin minier et sa tradition ouvrière d’opposition et de lutte sociale, encore vivace au moins dans les têtes, est sans doute le terreau sur lequel va fertiliser le mouvement social des "filles de chez Levi’s" comme elles se désignent elles-mêmes. En effet, malgré l’annonce de la fermeture, et à la différence de ce qui se passe dans les sites belges, à La Bassée, on n’arrête pas le travail. Arrêter de produire, ce serait montrer à la direction qu’on se résigne à la fermeture. Eviter les débrayages, ne pas appeler à la grève : voilà la stratégie que choisit d’adopter l’intersyndicale qui rassemble la CGT, la CFDT, la CFTC et la CGC. Une ouvrière raconte : "on nous a dit : "il faut continuer de travailler malgré que vous avez pas le goût ! Il faut montrer qu’on veut garder notre travail"". Parallèlement, les ouvrières participent à des manifestations, elles en feront cinq, cherchant ainsi à interpeller les pouvoirs publics dans l’espoir qu’ils interviennent en leur faveur. Une délégation de représentants syndicaux ira même jusqu’à se rendre au siège de la Commission européenne, tandis que les salariées vont proposer d’elles-mêmes, à leur employeur, de baisser leur salaire de 10 % ! Autant d’efforts payants dans le sens où le conflit bénéficie d’une bonne couverture médiatique, mais la multinationale restera finalement inflexible…
Dans le reportage, on assiste au dernier acte du conflit. La fermeture de l’usine est actée et les salariées s’y sont résignées. La veille, le 11 mars, dans le cadre du plan social, elles cherchent à négocier une meilleure indemnisation et une prime de fermeture, justifiant leur demande par le préjudice moral qu’elles subissent. Elles continuent de mettre la pression en se déplaçant à une centaine d’ouvrières au siège du géant américain, et en orchestrant la préparation d’une grève de la faim qui sera finalement interrompue par les forces de l’ordre. "On demande à être récompensées par rapport à ce qu’on a apporté à Levi’s" déclare un déléguée syndicale à la sortie de la réunion. Cette déclaration laisse transparaître l’attachement des ouvrières de La Bassée à "leur" l’usine. La déléguée poursuit : "on est dans une région sinistrée, des femmes, des couples, donc il nous faut absolument plus que les Belges". Une forme de concurrence s’est installée, durant le conflit, entre les deux côtés de la frontière, les formes d’action avaient d’ailleurs divergé dès le départ, du fait de contextes sociaux et de cultures d’opposition différentes dans les deux pays (plus contestataire dans le Nord, plus réformiste en Belgique). Cependant, les efforts fournis par les salariées de La Bassée ne seront pas réellement suivis d’effets. La suite montrera que les ouvrières Françaises n’obtiendront pas significativement plus que les ouvrières Belges.
Et le plus difficile est encore à venir : comment faire pour tourner la page ? Au-delà du travail en lui-même, c’est l’ambiance, le collectif, "les copines" qui vont beaucoup manquer. Vingt-huit d’entre elles décident de s’engager pour un dernier round. Pendant plusieurs mois, elles vont devenir intermittentes du spectacle. Grâce au metteur en scène de théâtre Bruno Lajara, elles montent une pièce sur leur histoire. Elles l’appelleront "501 blues", dont le texte a été publié sous le titre Les mains bleues.
Source :
Serge Dormard, L'économie du Nord-Pas de Calais. Histoire et bilan d'un demi-siècle de transformation, Presses Universitaires du Septentrion, 2001.
Fanny Gallot, En découdre. Comment les ouvrières ont révolutionné le travail et la société, Paris, La découverte, 2015.
Christophe Martin et collectif, Les mains bleues (501 blues), Sansonnet, 2001.
Laurence Vanommeslaghe, "Deux formes nationales d'opposition ouvrière à la délocalisation de Levi's", Revue française de science politique, n°5, Vol. 51, pp.739-762, 2001.
Localisée en dehors du principal périmètre d’implantation des établissements textiles métropolitains – surtout concentrés sur Roubaix-Tourcoing – l’usine Levi’s cultive sa différence : spécialisation, savoir-faire et qualité de ses produits. Mais ce n’est plus suffisant pour la direction qui a pris la décision de délocaliser la production. Ce choix se heurte à la colère et à l’incrédulité des salariées qui sont persuadées que la multinationale est rentable, bénéficiant d’un leadership mondial sur son marché.
La proximité avec le bassin minier et sa tradition ouvrière d’opposition et de lutte sociale, encore vivace au moins dans les têtes, est sans doute le terreau sur lequel va fertiliser le mouvement social des "filles de chez Levi’s" comme elles se désignent elles-mêmes. En effet, malgré l’annonce de la fermeture, et à la différence de ce qui se passe dans les sites belges, à La Bassée, on n’arrête pas le travail. Arrêter de produire, ce serait montrer à la direction qu’on se résigne à la fermeture. Eviter les débrayages, ne pas appeler à la grève : voilà la stratégie que choisit d’adopter l’intersyndicale qui rassemble la CGT, la CFDT, la CFTC et la CGC. Une ouvrière raconte : "on nous a dit : "il faut continuer de travailler malgré que vous avez pas le goût ! Il faut montrer qu’on veut garder notre travail"". Parallèlement, les ouvrières participent à des manifestations, elles en feront cinq, cherchant ainsi à interpeller les pouvoirs publics dans l’espoir qu’ils interviennent en leur faveur. Une délégation de représentants syndicaux ira même jusqu’à se rendre au siège de la Commission européenne, tandis que les salariées vont proposer d’elles-mêmes, à leur employeur, de baisser leur salaire de 10 % ! Autant d’efforts payants dans le sens où le conflit bénéficie d’une bonne couverture médiatique, mais la multinationale restera finalement inflexible…
Dans le reportage, on assiste au dernier acte du conflit. La fermeture de l’usine est actée et les salariées s’y sont résignées. La veille, le 11 mars, dans le cadre du plan social, elles cherchent à négocier une meilleure indemnisation et une prime de fermeture, justifiant leur demande par le préjudice moral qu’elles subissent. Elles continuent de mettre la pression en se déplaçant à une centaine d’ouvrières au siège du géant américain, et en orchestrant la préparation d’une grève de la faim qui sera finalement interrompue par les forces de l’ordre. "On demande à être récompensées par rapport à ce qu’on a apporté à Levi’s" déclare un déléguée syndicale à la sortie de la réunion. Cette déclaration laisse transparaître l’attachement des ouvrières de La Bassée à "leur" l’usine. La déléguée poursuit : "on est dans une région sinistrée, des femmes, des couples, donc il nous faut absolument plus que les Belges". Une forme de concurrence s’est installée, durant le conflit, entre les deux côtés de la frontière, les formes d’action avaient d’ailleurs divergé dès le départ, du fait de contextes sociaux et de cultures d’opposition différentes dans les deux pays (plus contestataire dans le Nord, plus réformiste en Belgique). Cependant, les efforts fournis par les salariées de La Bassée ne seront pas réellement suivis d’effets. La suite montrera que les ouvrières Françaises n’obtiendront pas significativement plus que les ouvrières Belges.
Et le plus difficile est encore à venir : comment faire pour tourner la page ? Au-delà du travail en lui-même, c’est l’ambiance, le collectif, "les copines" qui vont beaucoup manquer. Vingt-huit d’entre elles décident de s’engager pour un dernier round. Pendant plusieurs mois, elles vont devenir intermittentes du spectacle. Grâce au metteur en scène de théâtre Bruno Lajara, elles montent une pièce sur leur histoire. Elles l’appelleront "501 blues", dont le texte a été publié sous le titre Les mains bleues.
Source :
Serge Dormard, L'économie du Nord-Pas de Calais. Histoire et bilan d'un demi-siècle de transformation, Presses Universitaires du Septentrion, 2001.
Fanny Gallot, En découdre. Comment les ouvrières ont révolutionné le travail et la société, Paris, La découverte, 2015.
Christophe Martin et collectif, Les mains bleues (501 blues), Sansonnet, 2001.
Laurence Vanommeslaghe, "Deux formes nationales d'opposition ouvrière à la délocalisation de Levi's", Revue française de science politique, n°5, Vol. 51, pp.739-762, 2001.
Fabien Eloire