La crise du textile : un exemple chez DMC
12 juillet 1978
03m 45s
Réf. 00020
Notice
Résumé :
Pilier de l'essor industriel du Nord Pas-de-Calais, l'industrie textile en 1978 est présentée soit en déclin, soit en mutation. Ce reportage, tourné chez DMC, donne la parole à Bernard Robbe un responsable CFDT du textile pour qui la situation est le résultat d'une volonté politique du gouvernement qui a programmé la mort du textile avec le septième plan et le huitième plan à venir.
Type de média :
Date de diffusion :
12 juillet 1978
Source :
FR3
(Collection:
JT FR3 Nord Pas de Calais
)
Personnalité(s) :
Lieux :
Éclairage
A partir du début des années 1960, l’ensemble de l’appareil industriel textile de l’agglomération lilloise entre en crise. A cette remise en cause des piliers de l’économie locale, deux réponses semblent avoir été choisies : en interne, les capitaux textiles fusionnent et participent à la création d’importants groupes à dimension nationale voir mondiale. Dans le même temps, les pouvoirs publics entérinent la désindustrialisation du textile et accompagnent une conversion du territoire du secteur secondaire au secteur tertiaire. Le cas du groupe DMC est particulièrement illustratif de ce double phénomène.
Le groupe DMC tel qu’il apparaît dans le reportage est le fruit de la fusion en 1961 de deux importants groupes textiles : Dollfus-Mieg & Compagnie (DMC) et Thiriez-Cartier-Bresson (TCB). Avant 1961, DMC est un groupe textile originaire de Mulhouse fondé en 1746 et qui oriente tout d’abord sa production vers l’impression sur étoffes, l’indiennage. Le dépérissement de cette activité au cours du XIXe siècle entraine l’entreprise à se reconvertir partiellement (puis exclusivement à partir de 1907) vers la fabrication de fil pour ouvrage. La fondation de la maison Thiriez date, elle, de 1833. Julien Thiriez fonde à cette époque une filature de coton à Lille. L’affaire fera la fortune de la famille Thiriez et l’imposa comme l’une des plus importantes représentantes de la bourgeoisie lilloise. Un siècle plus tard, en 1931, elle fusionne avec Cartier-Bresson, une famille parisienne engagée dans le secteur cotonnier.
Au cours du premier XXe siècle, les deux entreprises se retrouvent souvent concurrentes sur leurs parts de marché respectives. Dès la fin des années 1950, des pourparlers s’entament en vue d’une fusion des deux groupes sans pour autant aboutir. C’est en 1961, alors que l’industrie textile commence à connaître ses premiers soubresauts, que l'alliance de TCB et DMC donne naissance à un géant du textile national et européen. Le capital d’origine lilloise est majoritaire mais la raison sociale DMC est conservée en raison de sa notoriété et de sa cotation en bourse. DMC occupe alors le second rang européen dans son secteur.
A partir de cette date, pour faire face à la crise structurelle du secteur, les fusions vont s’enchaîner : entre 1964 et 1971, DMC absorbe une trentaine d’entreprises faisant passer son capital de 50 à 178 millions de francs. Gérard Thiriez explique à l’époque vouloir jouer un rôle de "coordinateur" de l’industrie textile française : "nous avons pensé servir de pôle de regroupement aux industriels textiles qui éprouvaient le besoin de s’adosser à un groupe important" [1]. Parmi les principales acquisitions : les sociétés Demeestère-Demeestère et Sion Frères à Halluin, les établissements André Huet à La Madeleine. Le groupe se rend acquéreur des établissements Leclercq-Dupire, installés depuis 1865 à Wattrelos, dans un étonnant "mariage de la laine et du coton". C’est ensuite au tour des filteries Wallaert, un des établissements les plus anciens de Lille. Et enfin de la filiale Texunion créée par le groupe lyonnais Gillet. Ces rachats entraînent une diversification des activités du groupe. En rachetant le groupe Leclercq par exemple, DMC se lance dans le tissage, le linge de maison et le travail de la laine. La holding est à ce moment implantée dans l’ensemble de l’agglomération lilloise ainsi que dans plusieurs régions françaises : en Alsace, dans les Vosges, dans la région lyonnaise, en Picardie et en Normandie. Cet élan de concentration est dans l’ère du temps. Pour faire face aux transformations des marchés textile, les sociétés fusionnent formant ainsi de grands groupes textiles : Prouvost-Masurel, Agache-Willot et ici Thiriez-DMC. Les choix réalisés par les industriels locaux participent donc à modifier la structure de l’activité textile : d’une industrie de main-d’œuvre, le textile devient progressivement une industrie de capitaux.
Pour faire écho aux propos du syndicaliste CFDT qui intervient dans la vidéo, il convient de se demander comment réagissent les pouvoirs publics face à cette crise structurelle du textile dans l’agglomération de Lille. A partir du milieu des années 1970, la stratégie industrielle de l’état français cherche à stimuler les exportations grâce à un "redéploiement industriel" vers les branches les plus rentables. Il s’agit de promouvoir les secteurs sur lesquels la France dispose d’"avantages comparatifs". Et le textile n’en fait pas partie. Les secteurs de l’aéronautique, de l’armement, des équipements lourds et du nucléaire vont, dans ce cadre, être tout particulièrement soutenus à cette époque. En revanche, pour les secteurs condamnés, comme le charbonnage et le textile, l’état facilite le retrait industriel et procède à l’accompagnement social des restructurations en étalant dans le temps les impacts sociaux, notamment grâce à l’action de la DATAR (Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale) ou à la création d’un Comité interministériel d’aménagement des structures industrielles (CIASI). Au niveau local, dès le milieu des années 1960 avec le schéma d’urbanisme de la ville de Lille d’Henry Bernard puis au début des années 1970 avec les Livres blancs de l’agence d’urbanisme et de l’OREAM (Organismes régional d’étude et d’aménagement d’aire métropolitaine), le choix de l’acceptation de la récession des deux industries traditionnelles de la région, les mines et le textile, est entériné. Pour compenser les pertes d’emploi, la "métropole Nord" doit s’engager dans le secteur tertiaire et développer les grands moyens de communication qui doivent en faire un lieu de passage, "carrefour du nord de l’Europe". Loin de n’être qu’un mouvement inexorable, la désindustrialisation est également le résultat de choix politiques.
Pour ce qui est de la société DMC, le groupe a poursuivi la délocalisation de ses unités de production entamée dès 1950, quand la famille Thiriez était à l’initiative de l’implantation d’usine en Amérique du Sud, notamment en Colombie, et en Afrique. Au milieu des années 2000, DMC produit toujours en Egypte et au Pakistan, mais en 2008, est mis en liquidation judiciaire et frôle la disparition. L’entreprise est alors rachetée par le groupe Bernard Krief Consulting (BKC) qui ne conservera que la production de fil à broder [2]. En 2009, le groupe n’emploie plus que 350 personnes mais il est devenu le leader mondial du fil à broder.
[1] Jacques Bonte, Patrons Textiles. Un siècle de conduite des entreprises textiles à Roubaix Tourcoing (1900-2000), Editions La Voix du Nord, 2002, p.258.
[2] Le site de Loos était devenu Coats peu avant la fermeture en 2005. La friche qui occupait trois hectares à la limite de Loos et Lille, fut détruite en 2007 et un nouveau quartier de 300 logements a vu le jour sur cet emplacement.
Le groupe DMC tel qu’il apparaît dans le reportage est le fruit de la fusion en 1961 de deux importants groupes textiles : Dollfus-Mieg & Compagnie (DMC) et Thiriez-Cartier-Bresson (TCB). Avant 1961, DMC est un groupe textile originaire de Mulhouse fondé en 1746 et qui oriente tout d’abord sa production vers l’impression sur étoffes, l’indiennage. Le dépérissement de cette activité au cours du XIXe siècle entraine l’entreprise à se reconvertir partiellement (puis exclusivement à partir de 1907) vers la fabrication de fil pour ouvrage. La fondation de la maison Thiriez date, elle, de 1833. Julien Thiriez fonde à cette époque une filature de coton à Lille. L’affaire fera la fortune de la famille Thiriez et l’imposa comme l’une des plus importantes représentantes de la bourgeoisie lilloise. Un siècle plus tard, en 1931, elle fusionne avec Cartier-Bresson, une famille parisienne engagée dans le secteur cotonnier.
Au cours du premier XXe siècle, les deux entreprises se retrouvent souvent concurrentes sur leurs parts de marché respectives. Dès la fin des années 1950, des pourparlers s’entament en vue d’une fusion des deux groupes sans pour autant aboutir. C’est en 1961, alors que l’industrie textile commence à connaître ses premiers soubresauts, que l'alliance de TCB et DMC donne naissance à un géant du textile national et européen. Le capital d’origine lilloise est majoritaire mais la raison sociale DMC est conservée en raison de sa notoriété et de sa cotation en bourse. DMC occupe alors le second rang européen dans son secteur.
A partir de cette date, pour faire face à la crise structurelle du secteur, les fusions vont s’enchaîner : entre 1964 et 1971, DMC absorbe une trentaine d’entreprises faisant passer son capital de 50 à 178 millions de francs. Gérard Thiriez explique à l’époque vouloir jouer un rôle de "coordinateur" de l’industrie textile française : "nous avons pensé servir de pôle de regroupement aux industriels textiles qui éprouvaient le besoin de s’adosser à un groupe important" [1]. Parmi les principales acquisitions : les sociétés Demeestère-Demeestère et Sion Frères à Halluin, les établissements André Huet à La Madeleine. Le groupe se rend acquéreur des établissements Leclercq-Dupire, installés depuis 1865 à Wattrelos, dans un étonnant "mariage de la laine et du coton". C’est ensuite au tour des filteries Wallaert, un des établissements les plus anciens de Lille. Et enfin de la filiale Texunion créée par le groupe lyonnais Gillet. Ces rachats entraînent une diversification des activités du groupe. En rachetant le groupe Leclercq par exemple, DMC se lance dans le tissage, le linge de maison et le travail de la laine. La holding est à ce moment implantée dans l’ensemble de l’agglomération lilloise ainsi que dans plusieurs régions françaises : en Alsace, dans les Vosges, dans la région lyonnaise, en Picardie et en Normandie. Cet élan de concentration est dans l’ère du temps. Pour faire face aux transformations des marchés textile, les sociétés fusionnent formant ainsi de grands groupes textiles : Prouvost-Masurel, Agache-Willot et ici Thiriez-DMC. Les choix réalisés par les industriels locaux participent donc à modifier la structure de l’activité textile : d’une industrie de main-d’œuvre, le textile devient progressivement une industrie de capitaux.
Pour faire écho aux propos du syndicaliste CFDT qui intervient dans la vidéo, il convient de se demander comment réagissent les pouvoirs publics face à cette crise structurelle du textile dans l’agglomération de Lille. A partir du milieu des années 1970, la stratégie industrielle de l’état français cherche à stimuler les exportations grâce à un "redéploiement industriel" vers les branches les plus rentables. Il s’agit de promouvoir les secteurs sur lesquels la France dispose d’"avantages comparatifs". Et le textile n’en fait pas partie. Les secteurs de l’aéronautique, de l’armement, des équipements lourds et du nucléaire vont, dans ce cadre, être tout particulièrement soutenus à cette époque. En revanche, pour les secteurs condamnés, comme le charbonnage et le textile, l’état facilite le retrait industriel et procède à l’accompagnement social des restructurations en étalant dans le temps les impacts sociaux, notamment grâce à l’action de la DATAR (Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale) ou à la création d’un Comité interministériel d’aménagement des structures industrielles (CIASI). Au niveau local, dès le milieu des années 1960 avec le schéma d’urbanisme de la ville de Lille d’Henry Bernard puis au début des années 1970 avec les Livres blancs de l’agence d’urbanisme et de l’OREAM (Organismes régional d’étude et d’aménagement d’aire métropolitaine), le choix de l’acceptation de la récession des deux industries traditionnelles de la région, les mines et le textile, est entériné. Pour compenser les pertes d’emploi, la "métropole Nord" doit s’engager dans le secteur tertiaire et développer les grands moyens de communication qui doivent en faire un lieu de passage, "carrefour du nord de l’Europe". Loin de n’être qu’un mouvement inexorable, la désindustrialisation est également le résultat de choix politiques.
Pour ce qui est de la société DMC, le groupe a poursuivi la délocalisation de ses unités de production entamée dès 1950, quand la famille Thiriez était à l’initiative de l’implantation d’usine en Amérique du Sud, notamment en Colombie, et en Afrique. Au milieu des années 2000, DMC produit toujours en Egypte et au Pakistan, mais en 2008, est mis en liquidation judiciaire et frôle la disparition. L’entreprise est alors rachetée par le groupe Bernard Krief Consulting (BKC) qui ne conservera que la production de fil à broder [2]. En 2009, le groupe n’emploie plus que 350 personnes mais il est devenu le leader mondial du fil à broder.
[1] Jacques Bonte, Patrons Textiles. Un siècle de conduite des entreprises textiles à Roubaix Tourcoing (1900-2000), Editions La Voix du Nord, 2002, p.258.
[2] Le site de Loos était devenu Coats peu avant la fermeture en 2005. La friche qui occupait trois hectares à la limite de Loos et Lille, fut détruite en 2007 et un nouveau quartier de 300 logements a vu le jour sur cet emplacement.
Antonio Delfini