Bataille financière autour des derniers groupes lainiers
22 avril 1988
01m 49s
Réf. 00021
Notice
Résumé :
Avec une nouvelle redistribution du groupe Prouvost, deux grands groupes lainiers se sont constitués. Jérôme Seydoux rachète à Christian Derveloy du groupe Prouvost le tissage, le peignage et le négoce et revend ses titres acquis dans le précédent raid boursier. Pour ce dernier, c'est une bonne opération, les liquidités vont permettre d'accélérer la restructuration de son groupe.
Type de média :
Date de diffusion :
22 avril 1988
Source :
FR3
(Collection:
Midi 3 informations Nord Pas de Calais
)
Personnalité(s) :
Éclairage
La laine a fait la fortune de Roubaix et Tourcoing qui comptent 87 filatures et 72 tissages mécaniques en 1914. Son développement au XIXe siècle est sans égal dans le monde. Roubaix, à elle seule, produit 42 000 tonnes de tissus au début de XXe siècle et abrite l’Exposition Internationale de textile du Nord en 1911, événement considérable visité par plus de 775 000 personnes. Après la Seconde Guerre mondiale, Roubaix-Tourcoing dominent toujours le secteur, leurs usines lainières fournissant par exemple 45 % de la production nationale de laine cardée.
Mais en 1987, se joue la dernière grande restructuration de l’activité lainière de la métropole, qui en sortira très affaiblie. Cette restructuration survient d’abord dans un contexte de financiarisation accrue des anciens empires familiaux qui s’étaient constitués au XIXe siècle. Jérôme Seydoux, PDG des Chargeurs Réunis, lance une "grande bagarre boursière" pour prendre le contrôle du numéro un mondial de la laine, Prouvost SA, dirigé par Christian Derveloy. Cette opération financière défraye la chronique économique durant plusieurs mois, ce que montrent les coupures de presse exposées dans le reportage.
En 1980, les branches industrielles de la famille Prouvost fusionnent sous la raison sociale Prouvost SA. Mais les petites-filles de Jean Prouvost, fondateur de La Lainière de Roubaix, ainsi que ses associés historiques, les Lefebvre, décident de vendre leurs parts. 34 % du capital risquent de passer entre les mains d’un groupe extérieur. Pour éviter cette situation, Derveloy entreprend leur acquisition, via VEV (Vitos Etablissements Vitoux), une entreprise qu’il contrôle indirectement, et un consortium de banques. Le PDG renforce ainsi son contrôle, ce que les Prouvost voient d’un mauvais œil : pour eux, Derveloy, dont le seul soutien familial, Albert-Bruno, fils de Jean, meurt dans un accident d’avion en 1987, conspire contre leurs intérêts. Pour le contrer, ils sollicitent Seydoux qui, après plusieurs mois d’opérations boursières intenses, parvient à détenir 47% du groupe en septembre de cette année.
Le reportage rapporte l’accord conclu entre les deux hommes d’affaires le 11 avril 1988. Chargeurs absorbe le secteur négoce, peignage et tissu de Prouvost pour 1,8 milliard de francs. Et VEV rachète les 47 % du capital passés entre les mains de Seydoux, pour une somme de 950 millions. De cette façon, Derveloy récupère la quasi-totalité des parts du groupe, mais perd son rang de numéro un mondial au profit de Seydoux. Cet accord, qui met un terme au "Dallas" du textile, est celui de deux hommes, deux ambitieux, pour qui les affaires sont avant tout une prise de risques permanente, dont les conséquences dramatiques demeurent largement occultées. Normand, fils du propriétaire de Triconfort, très important fabricant de mobilier de jardin, polytechnicien (études pendant lesquelles il se lie d’amitié avec l’héritier Prouvost Albert-Bruno), Christian Derveloy est entré à la Lainière en 1968 et a progressivement gravi les marches de l’empire industriel pour en occuper la direction en 1980. Pour contenir le raid boursier de Seydoux, et s’assurer le contrôle des parts du groupe, tout en continuant d’absorber d’autres entreprises textiles, Derveloy s’est considérablement endetté. D’autant plus l’année suivante, en 1989, après le rachat de Boussac et la constitution d’un nouveau groupe désormais appelé VEV. En 1991, sous la pression de ses créanciers, Derveloy est forcé de démissionner et de revendre ses actions (30,7 % du capital) pour un franc symbolique. De son côté, Jérôme Seydoux est le riche héritier Schlumberger. Ingénieur en aéronautique, banquier, directeur général de Schlumberger Ltd, puis propriétaire de l’entreprise textile Pricel qu’il fait fusionner avec les Chargeurs en 1980, Seydoux n’a de cesse de faire progresser son empire. Deux ans avant son "raid" boursier, en 1985, il se lance dans l’aventure de la chaîne La Cinq, aux côtés de Silvio Berlusconi. Puis, en 1990, il s’offre Pathé. Ainsi, délaisse-t-il rapidement le textile pour se consacrer au cinéma.
Le reportage laisse entrevoir l’inquiétude des salariés quant à l’accord conclu entre les deux hommes d’affaires. La restructuration va en effet entraîner de lourdes pertes. En 1990, VEV, qui n’est plus que l’ombre de l’empire Prouvost, enregistre 800 millions de francs de perte et un endettement de 3,5 milliards. En 1988, 1000 ouvriers sont licenciés, 750 en 1989, 200 en 1991 après la démission de Derveloy. En 1993, le groupe, qui comptait encore 11 000 salariés dix ans plus tôt, voit ses effectifs passer à moins de 1000 employés. À la fin du XXe siècle, les anciennes entreprises Prouvost ferment toutes leurs portes, laissant sans emploi les quelque centaines d’ouvriers qui y travaillaient encore. Roubaix et Tourcoing qui faisaient partie des villes les plus riches de France au début du XXe siècle, s’affichent désormais au rang des plus pauvres. Deux villes écrasées par le poids d’un effroyable taux de chômage, dépassant les 30 %.
Sources :
- L. Trenard (dir.), Histoire d’une métropole. Lille-Roubaix-Tourcoing, Privat, 1977.
- P. Pouchain, Les maîtres du Nord du XIXe siècle à nos jours, Perrin, 1998.
- J.-G. Fredet, "Du rififi dans le textile", Le Nouvel Observateur, 28 août 1987.
- "Chute d’un baron du textile", Le Nouvel Observateur, 23 mai 1991.
Mais en 1987, se joue la dernière grande restructuration de l’activité lainière de la métropole, qui en sortira très affaiblie. Cette restructuration survient d’abord dans un contexte de financiarisation accrue des anciens empires familiaux qui s’étaient constitués au XIXe siècle. Jérôme Seydoux, PDG des Chargeurs Réunis, lance une "grande bagarre boursière" pour prendre le contrôle du numéro un mondial de la laine, Prouvost SA, dirigé par Christian Derveloy. Cette opération financière défraye la chronique économique durant plusieurs mois, ce que montrent les coupures de presse exposées dans le reportage.
En 1980, les branches industrielles de la famille Prouvost fusionnent sous la raison sociale Prouvost SA. Mais les petites-filles de Jean Prouvost, fondateur de La Lainière de Roubaix, ainsi que ses associés historiques, les Lefebvre, décident de vendre leurs parts. 34 % du capital risquent de passer entre les mains d’un groupe extérieur. Pour éviter cette situation, Derveloy entreprend leur acquisition, via VEV (Vitos Etablissements Vitoux), une entreprise qu’il contrôle indirectement, et un consortium de banques. Le PDG renforce ainsi son contrôle, ce que les Prouvost voient d’un mauvais œil : pour eux, Derveloy, dont le seul soutien familial, Albert-Bruno, fils de Jean, meurt dans un accident d’avion en 1987, conspire contre leurs intérêts. Pour le contrer, ils sollicitent Seydoux qui, après plusieurs mois d’opérations boursières intenses, parvient à détenir 47% du groupe en septembre de cette année.
Le reportage rapporte l’accord conclu entre les deux hommes d’affaires le 11 avril 1988. Chargeurs absorbe le secteur négoce, peignage et tissu de Prouvost pour 1,8 milliard de francs. Et VEV rachète les 47 % du capital passés entre les mains de Seydoux, pour une somme de 950 millions. De cette façon, Derveloy récupère la quasi-totalité des parts du groupe, mais perd son rang de numéro un mondial au profit de Seydoux. Cet accord, qui met un terme au "Dallas" du textile, est celui de deux hommes, deux ambitieux, pour qui les affaires sont avant tout une prise de risques permanente, dont les conséquences dramatiques demeurent largement occultées. Normand, fils du propriétaire de Triconfort, très important fabricant de mobilier de jardin, polytechnicien (études pendant lesquelles il se lie d’amitié avec l’héritier Prouvost Albert-Bruno), Christian Derveloy est entré à la Lainière en 1968 et a progressivement gravi les marches de l’empire industriel pour en occuper la direction en 1980. Pour contenir le raid boursier de Seydoux, et s’assurer le contrôle des parts du groupe, tout en continuant d’absorber d’autres entreprises textiles, Derveloy s’est considérablement endetté. D’autant plus l’année suivante, en 1989, après le rachat de Boussac et la constitution d’un nouveau groupe désormais appelé VEV. En 1991, sous la pression de ses créanciers, Derveloy est forcé de démissionner et de revendre ses actions (30,7 % du capital) pour un franc symbolique. De son côté, Jérôme Seydoux est le riche héritier Schlumberger. Ingénieur en aéronautique, banquier, directeur général de Schlumberger Ltd, puis propriétaire de l’entreprise textile Pricel qu’il fait fusionner avec les Chargeurs en 1980, Seydoux n’a de cesse de faire progresser son empire. Deux ans avant son "raid" boursier, en 1985, il se lance dans l’aventure de la chaîne La Cinq, aux côtés de Silvio Berlusconi. Puis, en 1990, il s’offre Pathé. Ainsi, délaisse-t-il rapidement le textile pour se consacrer au cinéma.
Le reportage laisse entrevoir l’inquiétude des salariés quant à l’accord conclu entre les deux hommes d’affaires. La restructuration va en effet entraîner de lourdes pertes. En 1990, VEV, qui n’est plus que l’ombre de l’empire Prouvost, enregistre 800 millions de francs de perte et un endettement de 3,5 milliards. En 1988, 1000 ouvriers sont licenciés, 750 en 1989, 200 en 1991 après la démission de Derveloy. En 1993, le groupe, qui comptait encore 11 000 salariés dix ans plus tôt, voit ses effectifs passer à moins de 1000 employés. À la fin du XXe siècle, les anciennes entreprises Prouvost ferment toutes leurs portes, laissant sans emploi les quelque centaines d’ouvriers qui y travaillaient encore. Roubaix et Tourcoing qui faisaient partie des villes les plus riches de France au début du XXe siècle, s’affichent désormais au rang des plus pauvres. Deux villes écrasées par le poids d’un effroyable taux de chômage, dépassant les 30 %.
Sources :
- L. Trenard (dir.), Histoire d’une métropole. Lille-Roubaix-Tourcoing, Privat, 1977.
- P. Pouchain, Les maîtres du Nord du XIXe siècle à nos jours, Perrin, 1998.
- J.-G. Fredet, "Du rififi dans le textile", Le Nouvel Observateur, 28 août 1987.
- "Chute d’un baron du textile", Le Nouvel Observateur, 23 mai 1991.
Thomas Boggio