Historique des sources

Un des derniers chevaux de la mine
Les documents sélectionnés proviennent des fonds d’archives gérés par l’Ina : archives de la télévision publique nationale et régionale, archives de la presse filmée (Actualités Françaises), films du « Plan Marshall » (fonds du ministère de l'Agriculture).

Pour aborder un fonds thématique sur une activité industrielle, sur les techniques et les groupements sociaux, sur une période de plus de 60 ans, il faut interroger le contexte économique et politique, le cadre institutionnel dans lequel les images ont été produites, mais aussi l’évolution des techniques audiovisuelles.

Le contexte politique et social

Plus que pour toute autre activité industrielle, les charbonnages sont à la Libération au centre du redressement économique du pays ; le mineur qui doit mener la « bataille » de la production est considéré comme un héros et le Nord-Pas de Calais, premier bassin houiller de France, est au cœur de ces enjeux. Rapidement, cette activité est aussi un enjeu de politique intérieure avec le départ des communistes du gouvernement et des postes d’administrateurs aux Charbonnages de France nationalisés et, dans un contexte de guerre froide, avec la modernisation aidée par le Plan Marshall puis la mise en place de la CECA, premier embryon de la communauté européenne. Alors que la récession est annoncée, le pouvoir gaulliste connaît son plus long conflit social depuis 1958 avec un mois de grève des mineurs en mars 1963. Si la fin de l’activité minière est programmée à partir de 1968, posant la question de la reconversion des hommes et des territoires, la production charbonnière revient au centre du débat à la fin des années 70 avec la crise pétrolière. C’est un des gros dossiers qu’a à traiter la Gauche au pouvoir en 1981 avec le tournant de 1983 et les dernières fermetures fin 1990, dans un contexte économique régional difficile -disparition de l’industrie textile et d’une partie de la sidérurgie.

Dans ce contexte politique et social, il s'agit de prendre du recul par rapport à ce qu’ont produit les médias : outil ouvertement de propagande (fonds Marshall), ou d’allégeance au pouvoir en place (Actualités Françaises), télévisions publiques « sous contrôle » du ministre de l’Information ou des Préfets jusqu’à la fin des années 1970. On peut tout autant s’interroger de l’absence de documents sur certains événements ou thématiques (la silicose quasi absente jusqu’en 1963).

Les techniques de production audiovisuelle

Jusqu’à la fin des années 70, il existe peu d’images tournées au fond. Contrairement à d’autres bassins miniers, dans le Nord-Pas-de-Calais, les veines sont étroites et souvent grisouteuses. Ainsi filme-t-on le mineur avant la descente ou à la remontée, mais la caméra descend rarement. Le 35 mm pellicule nitrate (film flamme) est encore utilisé dans les années 50 et si les caméras légères 16 mm permettent plus de souplesse d’utilisation, il faudra attendre la fin des années 70 pour que du matériel (16 mm) antidéflagrant soit mis au point et utilisé par des équipes de la télévision. Jacques Renard dans Les Mémoires de la mine pourra montrer pour la première fois les conditions de l’exploitation dans des galeries ne dépassant pas parfois un mètre de hauteur. Michel Barre, journaliste à FR3 Lille, utilise ces moyens en 1981 pour un magazine dans lequel il montre à la fosse Ledoux les différentes étapes de la production. Pour le traitement de l’événementiel, l’arrivée de la vidéo légère dans ces mêmes années va permettre une plus grande réactivité et un nombre de sujets d’actualités et de magazines plus important.

La période 1945-1960 : la presse filmée

Les documents les plus anciens datent de 1945. Pour illustrer la période antérieure, des témoignages, principalement recueillis à partir des années 70, ont été utilisés pour la période allant de la catastrophe de la Compagnie de Courrières de 1906 à la Libération (1944).

Entre 1945 et 1960, les documents proviennent essentiellement des fonds des Actualités Françaises. Ce fonds de presse filmée a été acquis par l’ORTF. Il a parfois fallu tenter de donner une date aux événements : diffusion décalée dans les salles, datations approximatives dans les archives, etc. Par exemple, la nationalisation de décembre 1944 n’est pas évoquée avant un journal de mars 1945. Caisse de résonance du pouvoir politique en place, le commentaire et le montage ont par ailleurs nécessité un regard critique. Ainsi il a été choisi de montrer le bout à bout d'origine de trois sujets du journal du 11 décembre 1947 : entre un sujet sur les mines en grève et un sujet sur le meeting de Maurice Thorez, un sujet sur le déraillement du train Paris-Arras est intercalé - laissant entendre que les communistes sont à l’origine de l'incident. Pour cette période et pour illustrer la modernisation, des extraits du fonds Marshall produit par l’United State Information Service (USIS) ont été utilisés. Ce sont des films de vulgarisation technique et d’information sur la modernisation, dans le cadre de l’aide américaine apportée par le plan Marshall aux pays européens meurtris par la Seconde Guerre mondiale.

La télévision nationale de 1955 à 1963

La (re)naissance de la télévision en France date de juin 1949 ; seul Paris est doté d’un émetteur. Il faut attendre 1955 pour que soient montrés aux Français - mais aussi aux familles du Nord-Pas-de-Calais - la mine, les mineurs et leurs conditions de travail. Dans Visite à…, Pierre Tchernia descend au fond de la fosse 12 de Lens (à Loos en Gohelle). Images rares, parmi lesquelles on voit un des derniers chevaux de mine. Cette émission aura des répercussions importantes puisque les familles de mineurs du Bassin vont à cette occasion s’équiper de téléviseurs ; le taux d’équipement par habitant devenant, avec Paris, le plus important de France !

La mine sera de nouveau abordée avec À la découverte des français : une famille de mineurs à Bruay en Artois. Il s'agit une fois encore d'un grand moment de télévision dans lequel Jacques Krier montre la vie quotidienne d’une famille, en particulier le rôle de la femme qui gère le foyer tout au long de la journée, avec les rythmes de travail décalés du père et des fils mineurs de fond.

La télévision régionale et le Magazine du mineur 1950-1972

C’est à Lille que naît en France la télévision régionale en avril 1950. Centrée sur la Métropole, on trouve peu de documents sur la mine. La popularité du média télévisuel dans la population du bassin minier va toutefois pousser les relations publiques des Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais (HBNPC) à proposer à la RTF un magazine mensuel destiné prioritairement à cette population. Diffusé à partir du 4 octobre 1959, le Magazine du mineur durera 12 ans sur 111 numéros. Une grande partie des documents sélectionnés traitant des loisirs des mineurs ainsi que de techniques modernes d’exploitation proviennent de ce Magazine. Cependant, en dehors de ce rendez-vous mensuel, la mine reste absente des programmes et de l’information régionale. Si Télé Lille a la maîtrise technique et éditoriale du Magazine, une grande partie du programme est composé et contrôlé par le service des relations publiques des HBNPC. Certains sujets ne sont pas abordés : la maladie, les accidents… et les conflits sociaux. Malgré tout, il faut reconnaître que, tout en exerçant un contrôle, les Charbonnages de France ouvrent leurs portes à la télévision, ce qui n’est pas le cas d’autres grandes industries régionales, comme la sidérurgie et surtout l’industrie textile.

La télévision nationale après mars 1963

Si, dans la fresque interactive, les documents provenant de la télévision nationale sont peu nombreux avant la grande grève de mars 1963, ils vont occuper une place importante dans la sélection par la suite. Il ne s'agit pas tant de sujets provenant des journaux télévisés - le plus souvent muets et peu exploitables-, mais plutôt de magazines divers. A cette époque, avec la naissance de 5 Colonnes à la Une , Zoom , Les Femmes aussi… les magazines vont devenir un espace de liberté dans la très corsetée maison ORTF. Après la grève de 63, qui a permis de faire découvrir les difficultés des mineurs et de leurs familles, vont être abordées les conditions de travail et les risques du métier. Les ravages de la silicose ne sont plus passés sous silence, et dans l’émission médicale d’Igor Barrère, le Dr Schaffner en décrit longuement les symptômes. On découvre la condition des femmes à travers plusieurs générations dans Les femmes aussi (en 1965), les jeunes et le métier de mineur, ou encore les travailleurs étrangers (Seize millions de jeunes, 1965).

Dans les années 70, les questions de la reconversion, des hommes et des territoires, de l’habitat sont abordées, à travers Aujourd’hui madame, La France défigurée, Question de Temps…

Les Mémoires de la mine

La diffusion en 1981 d’une série de 4 heures 30 consacrée à 70 ans d’« ’histoire de la mine et des hommes de la mine du bassin houiller du Nord-Pas-de Calais, par ces hommes eux-mêmes » va constituer l’apogée de cette période.

Réalisée sur plus d’un an avec plus de 10 heures d’enregistrements (qui ont été numérisés à l’occasion de cette fresque), les conditions de production de cette série documentaire sont exceptionnelles et uniques. En effet, à cette époque, le département de la production de l’Ina - producteur de la série - dépendait du service de la Recherche, ce qui permettait une liberté de réalisation qui n’existait nulle part ailleurs.

Les témoignages recueillis par Jacques Renard auprès de mineurs français et polonais ont été une source inestimable pour traiter la période allant de la Révolution industrielle à la Bataille du charbon : les expulsions des Polonais de 1934, 1936, la grève de 1941, la Résistance, la collaboration, la Libération, la nationalisation…

La télévision régionale à partir de 1972

Les questions de la fermeture des mines (prévue à l’origine en 1983), de la reconversion dans un contexte économique difficile, vont être au cœur de l’information régionale - journaux et magazines. D’une part, la télévision régionale est désormais « libérée » de la tutelle qu’exerçaient les HBNPC avec le Magazine du mineur (qui cesse sa diffusion), et d’autre part les collectivités locales et les élus du Bassin sont confrontés aux héritages que laissent les Charbonnages (emploi, friches, habitat minier…).

Si ces problématiques sont ouvertement abordées dans les années 70, les évolutions techniques et la libéralisation de l’information après 1981 vont contribuer à la multiplication des sujets et émissions qui leur sont consacrés.

La sélection des extraits sur la période qui commence vers 1972 et qui s’étend jusqu’en 2012 est essentiellement constituée de documents régionaux.

Des fonds au service de la mémoire et de l’Histoire

Ce rapide tour d'horizon des sources montre que les documents sélectionnés dans la fresque Mémoire de mines, remis dans leur contexte et mis en perspective les uns par rapport aux autres, constituent une source patrimoniale singulière et remarquable pour la compréhension de l’histoire des hommes et du territoire du Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais.

Jean-Noël Marquet

Responsable documentaire

Ina - Délégation régionale de Lille