La longue paume en Picardie

25 juin 1976
07m 32s
Réf. 00805

Notice

Résumé :

Reportage découverte de la longue paume qui se joue dans la Somme et l'Oise. Marcel Lazure, historien du jeu, explique les origines de ce jeu de raquette qui remontent à l'Antiquité. Au départ on jouait à la main puis la raquette est apparue et a été perfectionnée par un picard au XIXe siècle. R Leclaire, détaille les caractéristiques de la raquette et de la balle. Le jeu se pratique sur le principe du gagne terrain : l'objectif est de faire mourir la balle dans le camp adverse, délimitant à l'aide de chasses un nouvelle limite de camp. A Leclaire explique la différence entre la partie à terrée et la partie enlevée. M Lazure explique que le décompte des points des jeux (en distances gagnées calculées en pieds) sont utilisées aujourd'hui au tennis. François Fay, trésorier de la fédération, parle de sa passion pour son sport favori.

Type de média :
Date de diffusion :
25 juin 1976
Source :

Éclairage

Issue de la Phéninde (phaeninda) grecque, le jeu de longue paume qui se distingue de la courte paume, ne se pratique plus de nos jours qu'en Picardie. La "longue" paume correspondent à un jeu long se pratiquant sur un terrain d'environ 65 à 80 mètres situé plutôt à la campagne, joué par des paysans à l'origine et la "courte" paume correspond à un jeu court se pratiquant sur un terrain d'environ 30 mètres, en ville et en intérieur, pratiqué par des citadins bien souvent aisés.

Comme l'explique Marcel Lazure (1), le jeu de paume a longtemps été pratiqué avec la paume de la main.

L'on s'est ensuite protégé la main de lanières de peau ou de cuir de gants, puis est apparu la battoir, sorte de morceau de bois servant parallèlement à battre le linge au lavoir, pour voir apparaître la raquette au début du XVIe siècle. Le jeu de paume à l'état pur, sans protection est encore pratiqué de nos jours en Picardie par une centaine de joueurs appartenant à la Fédération française de balle à la main, ainsi qu'au Pays Basque par les joueurs à "main nue " avec un "pelote" de 85 grammes. D'autres pratiquent le jeu de paume en se protégeant la main de gants à l'image des membres de la Fédération Française des jeux de balle dans la région de Maubeuge (Nord) qui se regroupe environ 650 licenciés. Une majorité d'entre eux pratiquent d'ailleurs en Belgique attirés par les gains non officiels récoltés lors des tournois.

C'est à l'intérieur des abbayes, des monastères et des châteaux que s'est perpétuée cette tradition paumiste. Les nobles pratiquaient le jeu de paume à l'intérieur de leurs châteaux et extériorisaient cette pratique au moment des fêtes patronales en faisant participer la population rurale lors des rencontres avec leurs voisins. Dès le XVIe siècle, des restrictions étaient apportées à la pratique de la paume chez les ecclésiastiques trop souvent vus débraillés.

Le jeu de paume connut son apogée au XVIe siècle sous le règne de François 1er où l'on comptait 250 salles de jeu de courte paume à Paris qui occupaient 7000 personnes directement ou indirectement. A l'époque, Amiens possédait 10 jeux de paume à l'image de nombreuses villes de province.

Louis XIV fut le responsable du déclin du jeu de paume en France, et par extension en Europe en vu de son formidable rayonnement, pour favoriser les jeux de l'esprit, le théâtre, le billard, pour mettre la balle à hauteur de son corps vieillissant.

Le sport disparut dons des habitudes françaises durant près de deux siècles. Ce sont les Anglais qui après avoir rencontré nos habitudes sportives lors des différents conflits, comme la guerre de Cent Ans, qui nous renvoyèrent les sports dits modernes au milieu du XIXe siècle : le tennis par le major Wingfield en 1874, issu du jeu de paume, le football et rugby en 1863 issu de la soule...

La courte paume n'est plus pratiquée en France aujourd'hui que dans quatre salles, au château de Fontainebleau, rue Lauriston à Paris, à Mérignac près de Bordeaux et à Pau.

Les Picards auraient continué à pratiquer les jeux de paume sous les différentes formes que l'on retrouve aujourd'hui encore, par conservatisme, par atavisme dans une forme de clandestinité. Tout comme pour la religion protestante, elle a curieusement perduré dans de nombreux endroits en Picardie comme la vallée de l'Hallue qui a conservé de nombreux temples. La clandestinité, l'éloignement auraient permis de faire perdurer ces activités tant sportives que religieuses, de nombreux villages n'ayant pratiqué qu'une forme de jeu de paume et aucun autre sport à la mode comme le football...

On ne retrouve cette tradition de jeux à chasses qu'en Picardie, au Pays Basque et en Hainaut.

La longue paume est pratiquée dans le sud de la Somme et dans le nord de l'Oise par environ 2000 licenciés, sous forme terrée ( 6 contre 6 et il n'y a pas d'obstacle à franchir à chaque échange, on peut donc rabattre "terrer" la balle au sol ) et enlevée ( 2 contre 2 ou 4 contre 4, la balle doit franchir une zone neutre (fossé) à chaque échange), comme c'est expliqué dans ce reportage.

Comme pour le ballon au poing, elle a perduré grâce à l'esprit de famille, de clocher, avec la même évolution lente vers la mixité entre villages.

L'impact du jeu de paume en France est considérable au vu des expressions qui sont présentes dans la langue française : Qui va à la chasse, perd sa place, quand les équipes permutent, jeu de main, jeu de vilain( paysan), pour différencier ceux qui avaient les moyens d'acheter une raquette, tomber à pic quand la balle tombe dans l'angle entre le mur et le sol, épater la galerie car à la courte paume, des galeries protègent les spectateurs, rester sur le carreau pour le dallage posé sur le sol, prendre la balle au bond pour les opportuns, les enfants de la balle pour les enfants des paumiers dont c'étaient le métier...

Une Confédération Internationale du Jeu de Balle (CIJB) ayant pour objet de gérer et promouvoir la pratique des différents jeux de balle dérivés du Jeu de paume existe depuis 1928. Elle regroupe 11 fédérations nationales : l'Argentine, la Belgique, la Colombie, l'Équateur, la France, l'Italie, le Mexique, les Pays-Bas, l'Espagne, l'Uruguay et l'Angleterre.

Au Pays Basque, la pelote est depuis toujours une activité incontournable de la culture et de l'identité régionale. Elle regroupe prés de 20 000 licenciés et s'exporte dans le monde entier.

En Picardie, nous sommes loin de cet engouement, alors que la sauvegarde de ce geste ancestral devrait être considéré comme un élément prépondérant de notre identité régionale.

(1) Marcel Lazure, Les jeux de balle et ballon picards : ballon au poing, balle à la main, balle au tamis, longue paume, Centre régional de documentation pédagogique de Picardie, 1981, réédité en 1996.

Pierre-Marie Macewko

Transcription

(Musique)
Jean-Claude Plesnage
La longue paume, qui ne se pratique que dans l’Oise et dans la Somme, est sans conteste le sport picard le plus populaire en 1976. Actuellement, un peu partout en Picardie, elle rassemble, sur les terrains, les amoureux de ce sport qui, si vous les interrogez, vous diront que les règles de longue paume sont assez simples. Cependant, l’existence de châsses mobiles, petits poteaux de bois que l’on déplace souvent, compliquent ce jeu dont l’origine se perd dans la nuit des temps.
Marcel Lazure
Les origines de la longue paume sont très anciennes. Les auteurs grecs anciens citent, dans leurs ouvrages, des jeux qui correspondent à peu près exactement à la longue paume que nous pratiquons maintenant. C'est-à-dire ce sont des jeux de gagne-terrain. Le jeu consiste à faire mourir la balle le plus loin possible dans le camp de l’adversaire. A l’endroit où la balle meurt, c'est-à-dire où elle a fait plus d’un bond, au moins deux bonds, où elle roule, on place une châsse, ce qu’on appelle une châsse, ce qui forme une nouvelle limite de terrain. Ensuite, les camps traversent. C'est-à-dire que les camps qui ont gagné du terrain bénéficient, dans le deuxième coup, de ce gain de terrain et marquent donc le point.
(Bruit)
Marcel Lazure
C’est passé de la Grèce à Rome. Du temps de l’empire romain, ce jeu de balle, qui ne s’appelait pas, à l’époque, longue paume mais qui s’appelait pila, a été pratiqué très longtemps, avec beaucoup de succès. Il semble ne faire aucun doute que les Romains ont importé ce genre de jeu de balle en Gaule. Et depuis ce temps-là, on doit jouer à ce genre de jeu en France.
(Bruit)
Marcel Lazure
On a joué très longtemps avec la paume de la main. Et ensuite, pour se protéger, on a entouré la main de lanières. On a ajouté ensuite des gants de cuir. Et c’est surtout pour se protéger. Et ensuite, de ces gants-là, on a fait les instruments de propulsion. On a mis des peaux, on a mis des genres de ficelles, enfin, des boyaux, si vous voulez. Et on est arrivé au battoir, au battoir en bois recouvert de parchemin. La raquette est arrivée un peu plus tard. Elle a été adaptée surtout dans les jeux de courte paume, les jeux couverts, et elle est passée ensuite à la longue paume. Cette raquette a subi une modification importante au milieu du siècle dernier, en 1850. C’est d’ailleurs un picard, monsieur Jules Leclair de Mesnil Saint-Firmin, qui a trouvé les raquettes beaucoup plus légères que les précédentes. La raquette… Le poids est revenu de 450 à 300 grammes. Et il a trouvé aussi des balles plus légères. Les balles de longue paume faisaient entre et 40 et 50 grammes, et on les a ramenées, maintenant, de 18 à 20 grammes.
René Leclaire
Vous avez, ici, une balle de longue paume. Elle pèse environ 17 grammes. Elle est recouverte… C’est une balle de liège recouverte de flanelle.
Jean-Claude Plesnage
Et vous la recouvrez de flanelle afin qu’elle soit freinée par le vent ?
René Leclaire
Oui, parce que vous avez, ici, une balle… Vous voyez la vraie balle de liège. Et ensuite, elle est recouverte de flanelle. S’il n’y a pas la flanelle, la balle, évidemment, n’est pas freinée par le vent et elle va très loin dans un sens et de l’autre du jeu. Voici la vraie raquette de longue paume. Elle fait environ 70 centimètres de longueur et pèse environ 300 grammes. Alors ce qui la différencie à la raquette de tennis, vous voyez, la longueur premièrement, mais aussi le diamètre. La raquette de tennis est beaucoup plus grande. La raquette de longue paume est plus ovale donc plus longue.
Jean-Claude Plesnage
On trouve facilement de telles raquettes ?
René Leclaire
Ah Non. En ce moment, on a des difficultés, justement, avec des raquettes. On n’a qu’un seul fabricant de raquettes de longue paume à Amiens, et en ce moment, il a des difficultés à nous fournir des raquettes de longue paume.
(Bruit)
Jean-Claude Plesnage
Il y a deux façons de pratiquer la longue paume. Il y a la partie à l’enlevée et la partie à terrée. Chacune d’elles se dispute sur un terrain d’au moins 70 mètres de long sur 14 mètres de large. Ce terrain est divisé en deux camps séparés par une ligne tracée sur le sol, une ligne que l’on appelle la corde. Celle-ci, cependant, ne sert qu’au moment de l’engagement, car dès le début de la partie, les équipes déterminent leur surface de jeu en plaçant ses filets imaginaires que sont les châsses.
(Bruit)
Jean-Claude Plesnage
Quelle est la différence entre la partie à l’enlevée et la partie à la terrée, monsieur Leclaire ?
Adrien Leclaire
La partie à la terrée se joue à 6 joueurs contre 6 joueurs. Et la règle élémentaire du jeu, c’est de faire passer d’abord la balle au-dessus de la corde. Ensuite, le joueur peut la reprendre en la faisant rouler. A l’endroit où son adversaire arrête la balle, on marque une châsse. Quant à la partie enlevée, elle est un peu différente. Elle se joue d’abord soit à 4 contre 4, à 2 contre 2 ou à 1 contre 1. La règle veut que le joueur doit faire passer également sa balle au-dessus de la corde, mais l’adversaire doit aussi, pour que sa balle soit bonne, refaire repasser la balle au-dessus de la corde mais ne pas la faire rouler. Et jusqu'au moment où une faute est commise par l’adversaire, ou alors jusqu'au moment où la balle est arrêtée alors qu’elle n’est plus en jeu, on marque une châsse.
René Leclaire
Alors les points, c’est les mêmes règles que le tennis : 15, 30, 45 et jeu. En général, ça se joue, en partie terrée, sur 16 jeux et en partie enlevée, environ sur 5 jeux.
Marcel Lazure
D’après les auteurs les plus crédibles, les traditionnels 15, 30, 40 de la longue paume, qui ont été reprise depuis, par le tennis, représentent non pas des points mais des distances. Les jeux se décomposant en 4 points, lorsque le joueur avait gagné le premier point, il avançait de 15 pieds. 15 pieds de 30 centimètres, c’est environ 4,50 mètres. Lorsqu’il avait gagné le second, il avançait de 30 pieds. Et le troisième, de 45 pieds. On a estimé, paraît-il, que cette distance donnait trop d’avantage et on l’a ramenée à 40. Il fallait, d’ailleurs, gagner 2 points lorsqu’on est arrivé à 40 pieds.
Jean-Claude Plesnage
Il y a une grosse différence entre le tennis et la longue paume ?
François Fay
Oui, malgré tout, il y a une grande différence, oui. Surtout la manière de servir, par exemple. Nous, nous tapons avec le poignet, la force. Avec le tennis, il faut prendre la balle au-dessus. Ce n’est pas du tout le même coup.
Jean-Claude Plesnage
Et vous êtes partisan, quand même, de préserver cette longue paume ?
François Fay
Oui, nous voulons garder absolument ce sport en Picardie. C’est un sport vraiment formidable, quoi. On dit que c’est le sport des rois et le roi des sports, n'est-ce pas. C’est vraiment un sport terrible, quoi.