Entretien avec Michel Droit, troisième Partie
Notice
Troisième entretien télévisé entre le général de Gaulle, candidat à la présidence de la République, et Michel Droit, rédacteur en chef du Figaro littéraire, entre les deux tours de l'élection présidentielle. Par le dipositif adopté et l'attitude du Général, cette série d'entretiens cherche à faire oublier l'image d'un personnage lointain, voire hautain, et d'un homme vieilli. Ce troisième entretien traite des institutions. Tout au long de l'entretien, le général de Gaulle critique sans relâche le régime des partis, qui ne manquerait pas de s'emparer du pouvoir si lui-même n'était pas réélu le 19 décembre. Il parle également de l'opposition entre droite et gauche, qui lui permet d'évoquer l'image de la ménagère qui veut "le progrès sans la pagaille". Il se défend ensuite face à certaines accusations qu'on lui lance, celle d'exercer un pouvoir personnel, celle de restreindre les libertés publiques, celle de jouer la politique du "Moi ou le chaos", et rappelle à cette occasion le rôle qu'il a joué dans l'histoire du pays. Il donne enfin sa vision de la fonction présidentielle, telle qu'il la conçoit et telle que ses successeurs devront la concevoir, pour conserver la stabilité des institutions de la France. Pour conclure, le Général s'adresse directement aux Français, et termine sur une note positive, rappellant qu'il a toujours "marché droit, quoi qu'il arrive".
Éclairage
À la fin de l'année 1965, les Français élisent leur président au suffrage universel pour la première fois : c'est un principe inscrit dans la Constitution depuis 1962, mais dont l'usage reste à légitimer. Parallèlement, à la télévision, un principe d'égalité est instauré pour tous les candidats qui disposent de 2 heures de temps de parole. C'est la première fois dans l'histoire du petit écran qu'une telle durée d'expression est attribuée aux différents courants politiques. Ainsi, le 19 décembre, les téléspectateurs assistent-ils, stupéfaits, à la profession de foi de cinq des six candidats à l'élection présidentielle dont celle du représentant MRP Jean Lecanuet ou celle de François Mitterrand de la Fédération de la Gauche Démocratique et Sociale. Tous profitent largement de leur liberté de parole. Seul le général de Gaulle - qui mène sa campagne du premier tour sur le thème "je refuse d'être un candidat comme les autres" - n'utilise qu'une trentaine de minutes réparties en trois allocutions. Cette stratégie ne sera pas payante : le ballottage - premier signe de l'usure du pouvoir et qui s'apparente, pour de Gaulle, à une défaite - va contraindre le président sortant à courtiser lui aussi l'électeur sur les ondes télévisées. Pour la campagne du second tour, il accepte de participer (c'est une première !) à une série de 3 entretiens (tous enregistrés le même jour) avec le fidèle Michel Droit. Menées sur un ton familier, ces discussions défont l'image d'un homme seul et imperméable aux sentiments des petites gens. Le troisième et dernier entretien est diffusé le 15 décembre ; il porte sur le fonctionnement de la République et de ses institutions mises en place par le général de Gaulle depuis maintenant près de 7 ans, et approuvées par les Français à plus de 80%. Et c'est d'abord contre le "régime des partis", qui a si longtemps gouverné la France, que le Général s'insurge. Fustigeant la Troisième et la Quatrième République, jugées impuissantes à accompagner les évolutions et à dénouer les crises, il réaffirme longuement quelle doit être la place du chef de l'État : au-dessus des partis. Il rappelle qu'en 1962, tous, à l'exception de l'UNR, avaient appelé à voter "non" au référendum qui devait décider de l'élection du président de la République au suffrage universel. Il répond ensuite aux attaques formulées par ses adversaires qui l'accusent d'exercer un "pouvoir personnel", rappelant son glorieux passé de chef de la France Libre et soulignant la responsabilité de son gouvernement devant l'Assemblée nationale. Enfin, il avertit que sa victoire est "pour le moment, une nécessité nationale" face au spectre du régime des partis qu'agite son adversaire du second tour. Il termine en s'adressant directement aux Français : "je n'ai jamais servi que votre affaire et, aujourd'hui et demain, je ne suis là que pour cela". Allègre, malicieux, clair et convaincant, le général de Gaulle séduit ; il remporte, le dimanche 19 décembre 1965, le second tour de l'élection présidentielle, face à François Mitterrand, avec 54,5% des voix. Dans Le Figaro Jacques Faizant dessine sa célèbre Marianne déclarant au Général : "Et, bien!...Tu vois, gros bêta ! Tu m'aurais parlé comme ça plus tôt !..".