Habanera, histoire des danses cubaines
Notice
Iliana Garcia interprète une contredanse de Mozart pour démontrer les similitudes rythmiques avec la habanera
Éclairage
Ce très beau documentaire donne l'essence de cette danse, qui est aussi une musique, un rythme et tout une culture. Nous en sommes toujours à observer un système de deux fois trois pas, en alternance droite et gauche. Reste à écouter la musique, et les explications données par la pianiste sont particulièrement précises.
Sans compliquer les nôtres, rappelons que le premier rythme qui combine deux durées différentes est l'anapeste des Grecs : le fameux « vite-vite-lent ». C'est la base de la polka, qui s'exporta, évidemment, elle aussi. Ce rythme est facile à observer dans la habanera. Du point de vue de la musique, c'est plus délicat, car les deux sons dits « vite » n'ont pas la même durée, il y a là un manifeste « métissage » du rythme simple de polka, en jouant sur les deux « vite », comme déjà une façon de « swinguer ».
La pianiste fait très bien entendre un rythme qui fait : « pom, ti-ti, pom », appelé, par les théoriciens, rythme de milonga [scander : mi, lon-ga, (et)]. Tandis que son petit frère, le rythme de habanera fait : « ti-ti, ti-ti, pom » [scander : ha-ba, ne-ra, (et)].
Polka :
Milonga :
Habanera :
Samba :
On comprend aisément que tous ces schémas rythmiques, si proches, se soient croisés, compris, échangés et enrichis les uns les autres, et bien malin celui qui pourrait situer son origine exacte dans le temps et l'espace. Il sera ainsi très facile de les identifier dans d'autres pays. Car, bien évidemment, ces formes de pas et ces rythmes ont voyagé, par exemple avec les marins des Caraïbes, et ont migré d'abord vers le Brésil, donnant le rythme caractéristique de la samba en se mêlant à d'autres typiquement brésiliens ; puis, à Buenos Aires, où eurent lieu d'autres mélanges que nous verrons plus loin.
Enfin, il n'est pas possible de parler de cette grande famille de rythmes afro-cubains sans dire un mot de la clavé, mot qui désigne à la fois un instrument, un ensemble de deux petits cylindres de bois, et le rythme favori que les Cubains tirèrent de lui. Privés de possibilités de faire de la musique, les esclaves des ports s'approprièrent des chevilles de bois qui permettaient l'assemblage des caisses de bois, pour « les faire chanter ». C'est ainsi que naquit la clave, par couple : la clave mâle et la clave femelle, la femelle ingénieusement lovée au-dessus du creux de la main qui fait alors caisse de résonance ; et la clave mâle qui la fait « chanter » en frappant délicatement dessus. Malgré sa petitesse, cet instrument peut se faire entendre de très loin. Et il est extrêmement caractéristique.
N'en finissant jamais de créer des rythmes avec ces deux bouts de bois, les Cubains utilisèrent évidemment les rythmes de habanera et de milonga, et en créèrent d'autres, qui firent le tour du monde. En particulier, le rythme de clave le plus connu, qui n'est qu'une évolution du rythme de milonga-habanera, dans le sens où deux sons sont regroupés pour créer une syncope, mais sur deux mesures : la première mesure provoque la sensation particulière de la syncope, tandis que la seconde calme le rythme en reprenant tout simplement celui de polka. Et se sont répandus plusieurs variantes de ce rythme de clave basique.
Rythme clave :
Nous pourrions enfin citer un autre « enfant » de milonga-habanera, tel le rythme appelé le cinquillo :
Le danzõn fut la danse nationale de la Havane dès 1880, jusqu'à ce que le son ne le détrône à la fin des années 1920. Et il ne fut aucune fête importante sans qu'un danzõn ou un son ne soit créé pour l'occasion.
Enfin, et d'un point de vue d'une histoire très mal connue, il ne faut pas oublier qu'un Français, « Monsieur Pierre » (Zurchir-Margolle) et sa partenaire anglaise Doris Lavelle se sont distingués dans les recherches françaises sur les danses cubaines en milieu de XXe siècle. Ils ont travaillé à Cuba avec Pepe et Suzy Riviera, célèbres danseurs, et ont rapporté en Europe la technique des danses telles que la rumba et le cha-cha-cha. C'est là-bas qu'ils ont nommé les figures les plus répandues, figures qui portent toujours le même nom dans les cours de danse aujourd'hui.
Note importante : ce que les Européens appellent « rumba », comme les Américains qui sont les initiateurs de cette terminologie (ils l'écrivirent même : « rhumba »), n'est que, du point de vue de la danse : du son cubain ; et du point de vue de la musique, du boléro. Cela ne serait pas grave si les Cubains n'avaient pas dans leur culture une danse, pour ne pas dire des danses, qui portent ce nom. En effet, on trouve à Cuba trois types principaux de rumba : la cumbia, le guaguanco et la columbia. Et aucune d'entre elles n'est ni une danse de couple fermé, ni une danse de salon ! Là, chacun peut faire la différence entre le métissage et la récupération commerciale, ce que toute l'Europe a aussi connu en 1989 avec la lambada.