Discours à Bucarest

15 mai 1968
05m 13s
Réf. 00141

Notice

Résumé :

Le général de Gaulle effectue un voyage officiel de cinq jours en Roumanie à partir du 14 mai 1968. Dans un discours prononcé devant le Parlement roumain, le Général plaide pour une Europe des nations indépendantes, seule capable à ses yeux de surmonter le partage du continent en deux blocs.

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Date de diffusion :
15 mai 1968
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Éclairage

Alors que la phase étudiante de la crise de mai 1968 atteint son apogée, le général de Gaulle qui n'entend pas se laisser distraire de ses desseins planétaires par ce qu'il considère comme un monôme d'étudiants effectue un voyage officiel en Roumanie du 14 au 18 mai, laissant son Premier ministre Georges Pompidou gérer les convulsions intérieures.

Au second jour de son voyage le 15 mai, il est reçu au Conseil d'Etat par le président Ceaucescu, puis est invité à prononcer un discours devant la Grande assemblée nationale de la République socialiste de Roumanie, c'est-à-dire le Parlement roumain en présence des députés et du gouvernement. Les propos du Général lui permettent de délivrer l'essentiel du message qui constitue à ses yeux tout l'intérêt de son voyage et dont il n'ignore pas qu'il ne saurait déplaire aux dirigeants roumains qui s'efforcent de promouvoir un communisme national autonome de celui de l'Union soviétique tout en maintenant avec cette dernière des relations économiques, culturelles et idéologiques. De Gaulle exalte en effet l'Etat national "et non l'Etat cosmopolite", affirmant que la nation est la seule réalité de la vie universelle, ce qui, affirme-t-il, n'interdit pas, en toute souveraineté, de nouer des relations privilégiées avec d'autres nations. Aussi refuse-t-il l'idée que l'Europe puisse devenir le champ de bataille d'un affrontement entre grandes puissances, entraînant, dans le cadre de la politique des blocs, les nations européennes dans un conflit qui ne les concernerait pas. Aussi préconise-t-il la détente, l'entente et la coopération entre Etats européens, ce qui permettrait d'assurer la sécurité du continent et de régler les principaux problèmes de celui-ci , en particulier le problème allemand. Objectif qui implique l'exclusion de toute ingérence étrangère sur les peuples européens. Au coeur même du bloc soviétique, de Gaulle plaide ainsi pour l'indépendance des Roumains vis-à-vis de l'URSS, leur suggérant implicitement de suivre la voie ouverte par la France vis-à-vis des Etats-Unis.

Serge Berstein

Transcription

Journaliste
Pour cette deuxième journée du séjour en Roumanie du Général de Gaulle, la matinée était entièrement consacrée aux affaires politiques. Dès ce matin 9 heures, nouveaux entretiens avec le Président Ceaucescu au palais du Conseil d'Etat, avant le grand discours dont vous entendrez les principaux extraits, dans un instant, devant la grande Assemblée Nationale roumaine. C'est devant la grande Assemblée Nationale, tel est le nom du Parlement roumain, devant ses 465 membres, le gouvernement roumain et le Président Ceaucescu, que le Général de Gaulle, très applaudi comme vous l'entendez, a prononcé son discours, après avoir été présenté par le président de l'Assemblée, Monsieur Wojtek.
Charles de Gaulle
Avant tout, Roumains et Français, nous voulons être nous-mêmes, c'est-à-dire suivant le mot d'Eminescu : l'Etat national et non pas l'Etat cosmopolite. Nous voulons être nous-mêmes, ce qui ne nous empêche pas du tout d'avoir, avec certains autres Etats, les relations privilégiées que peuvent nous recommander des voisinages géographiques ou des événements historiques, des données économiques. Cela ne nous empêche pas non plus de souscrire à des engagements internationaux, quand ils ont pour but le progrès et la sécurité du monde. Mais c'est à la condition que notre destin, notre route, notre politique, soient les nôtres. Cela non pas seulement parce que nous trouvons satisfaisant d'être les maîtres chez nous, mais aussi parce que nous croyons que ce sont les nations, chacune avec son âme, et son corps bien à elle, qui en fin de compte constituent les éléments irréductibles et les ressorts indispensables de la vie universelle. A présent, qu'est-ce qui peut faire que nous ne trouvions pas à régler la question de la sécurité de l'Europe, sinon la possibilité où nous nous trouvons tous, que peut-être un jour, un conflit surgirait à la faveur de nos souverainetés qui renonceraient honteusement à elles-mêmes. Un conflit qui surgirait entre deux grandes puissances confrontées le long d'une ligne, qui est cependant extérieure à leur propre frontière et qui coupe notre continent. Et comment imaginer qu'on puisse mettre un terme à la situation dans laquelle le système des blocs opposés tient à présent notre continent, sans que les Nations de l'ouest, du centre et de l'est de notre Europe, veuillent pratiquer entre elles la détente, l'entente, la coopération, qui, seules, pourraient permettre à l'Europe de régler ses propres problèmes. Notamment le problème allemand, d'organiser sa sécurité et de relever complètement ses ressources et ses capacités. Mais il va de soi, qu'un changement aussi complet des conditions actuelles exclut toute ingérence étrangère sur les peuples de notre continent et implique que chacun d'entre eux ne s'exprime que par sa propre voix et n'agisse que pour son propre compte.
Journaliste
Après son discours à l'Assemblée, le Général de Gaulle offrait à l'Ambassade de France un déjeuner officiel en l'honneur de Monsieur Ceaucescu qu'il invitait à venir en France. Dans la soirée, réception au Conseil d'Etat, c'est-à-dire à la Présidence de la République roumaine, demain, départ pour la province, en commençant par la ville industrielle de Craiova.