Les Justes de Camus

16 janvier 1966
03m 12s
Réf. 00202

Notice

Résumé :

Paul-Louis Mignon présente la pièce d'Albert Camus, Les Justes, et la mise en scène de Pierre Franck en 1965 au Théâtre de l'Oeuvre. Après un rapide résumé de la pièce, et la présentation des acteurs en scène, on peut voir un extrait de la pièce mettant en scène les personnages de Boris, Kaliayev et Stepan (Marc Cassot, Manuel Denis et Marcel Bozzuffi).

Date de diffusion :
16 janvier 1966
Source :
ORTF (Collection: Le théâtre )

Éclairage

Albert Camus (1913-1960) est un écrivain Français né en Algérie. Ecrivain, dramaturge et essayiste, il est également un journaliste très engagé dans la vie politique de son temps.

La pièce Les Justes est basée sur des faits historiques réels : un attentat perpétré en 1905 contre le Grand-duc Serge. Elle met en scène, dans un drame en cinq actes, le groupe qui va mener cette action terroriste.

Les Justes font écho à la pièce Les Mains sales, de Jean-Paul Sartre. Cette pièce met également en question l'engagement politique : toutes deux posent en fait la même question ; peut-on commettre des crimes au nom d'une idéologie ?

Dans Les Mains sales comme dans Les Justes, on se trouve face à de jeunes gens idéalistes, issus de petite bourgeoisie, et que rien ne prédispose au meurtre, qui les répugne. Ils décident pourtant de passer à l'acte au nom de leur idéal politique. Ce que semblent explorer les deux auteurs, c'est la moralité de tels actes ; l'idéal politique peut-il justifier la violence, et la violence ne met-elle pas en danger l'idéal politique ?

Il est à noter que les deux pièces, parues respectivement en 1948 et 1949, apparaissent dans un contexte où des clivages forts apparaissent au sein du Parti Communiste Français – dont chacun des deux auteurs a été membre – notamment concernant la politique stalinienne en URSS.

La mise en scène de Pierre Franck (1965), résonne certainement encore avec la guerre d'Algérie, qui prend fin en 1962. Sartre et Camus ont encore, à l'occasion de cette guerre, montré des désaccords qui mettent toujours en avant ces questions de morale, de justice et d'idéal politique. Cette guerre renforce en outre les clivages au sein du Parti communiste. Les décors et les costumes de cette mise en scène évoquent en toute sobriété à la fois la clandestinité du groupe – matériaux bruts des murs et sobriété du mobilier – et les origines petite-bourgeoises des personnages – visible dans le choix du style et des étoffes des costumes. Le jeu repose, comme la pièce de Camus elle-même, essentiellement sur le débat philosophique et éthique qui secoue les personnages, et qui se trouve mis au premier plan.

Anaïs Bonnier

Transcription

Présentateur
Les Justes est un exemple de tragédie moderne pour Camus, sans doute un des meilleurs dans son oeuvre. Leur esprit, leur style ont été excellemment mis en valeur par la mise en scène à l’oeuvre de Pierre Franck et par le décor dépouillé de Bernard Daydé. Ces justes Camus les a empruntés à l’histoire. Ce sont les membres du parti socialiste révolutionnaire russe, qui en 1905, à Moscou ont reçu la mission de tuer l’oncle du Tsar, le grand-duc Serge. Il y a là, Boris, le chef que joue Marc Cassot, Kaliayev que joue Denis Manuel et un nouveau venu dans leur groupe, Stepan, interprété par Marcel Bozzuffi.
Marcel Bozzuffi
Je veux lancer la bombe.
Marc Cassot
Non, Stepan les lanceurs ont déjà été désignés.
Marcel Bozzuffi
Je t’en prie, tu sais très bien ce que ça signifie pour moi.
Marc Cassot
Non, la règle est la règle ! Je ne la lance pas moi et je vais attendre ici. La règle est dure.
Marcel Bozzuffi
Qui lancera la première bombe ?
Denis Manuel
Moi, Voinov lance la deuxième.
Marcel Bozzuffi
Toi ?
Denis Manuel
Cela te surprend ? Tu n’as donc pas confiance en moi ?
Marcel Bozzuffi
Il faut de l’expérience.
Marc Cassot
De l’expérience ? Mais tu sais très bien qu’on ne la lance jamais qu’une fois et qu’ensuite… personne ne l’a jamais lancée deux fois.
Marcel Bozzuffi
Il faut une main ferme !
Denis Manuel
Regarde, crois-tu qu’elle tremblera ? Elle ne tremblera pas. Quoi, j’aurais le tyran devant moi et j’hésiterais ? Comment peux-tu le croire ? Et si même mon bras tremblait je sais un moyen de tuer le grand-duc à coup sûr.
Marcel Bozzuffi
Lequel ?
Denis Manuel
Me jeter sous les pieds des chevaux avec la bombe.
Marc Cassot
Non, cela n’est pas nécessaire ! Il faudra essayer de fuir. L’organisation a besoin de toi, tu dois te préserver.
Denis Manuel
J’obéirai, [inaudible], quel honneur. Quel honneur pour moi, oh, j’en serai digne.
Marc Cassot
Stepan tu seras dans la rue pendant que [Yaneck] et Alexis guetteront la calèche. Tu passeras régulièrement devant nos fenêtres, et nous conviendrons d’un signal. [Danré] et moi attendrons ici le moment de lancer la proclamation. Si nous avons un peu de chance, le grand-duc sera abattu.
Denis Manuel
Oui, je l’abattrai. Quel bonheur si c’est un succès.
Marcel Bozzuffi
Le grand-duc n’est rien, il faut frapper plus haut.
Marc Cassot
Le grand Duc d’abord
Marcel Bozzuffi
Et si c’est un échec Boria ? Vois-tu il faudra imiter les japonais.
Marc Cassot
Que veux-tu dire ?
Marcel Bozzuffi
Pendant la guerre, les japonais ne se rendaient pas, ils se suicidaient.
Marc Cassot
Non, ne pense pas au suicide.
Marcel Bozzuffi
A quoi donc ?
Marc Cassot
A la terreur de nouveau.
Marcel Bozzuffi
Pour se suicider il faut beaucoup s’aimer, un vrai révolutionnaire ne peut pas s’aimer.
Marc Cassot
Un vrai révolutionnaire ? Pourquoi me traites-tu ainsi, que t’ai-je fait ?
Marcel Bozzuffi
Je n’aime pas ceux qui entrent dans la révolution parce qu’ils sont libres. Oui je suis brutal ! Et pour moi la haine n’est pas un jeu. Nous ne sommes pas là pour nous aimer, nous sommes là pour réussir !
Marc Cassot
Pourquoi m’offenses-tu ? Qui t’as dit que je m’ennuyais?
Marcel Bozzuffi
Je ne sais pas. Tu changes les signaux, tu dis des vers, tu aimes à jouer les rôles de colporteurs. Tu veux te lancer sous les pieds des chevaux et maintenant le suicide. Je n’ai pas confiance en toi.