Le Roi se meurt, mis en scène par Jacques Mauclair

13 janvier 1963
03m 06s
Réf. 00201

Notice

Résumé :

Paul-Louis Mignon interroge Eugène Ionesco sur sa pièce, Le Roi se meurt. Après un résumé de l'intrigue par l'auteur, on peut voir un extrait de la mise en scène de Jacques Mauclair (qui joue le Roi), avec Tsilla Chelton, Reine Courtois, Marcel Cuvelier... Dans cet extrait, le Roi (Béranger 1er), refuse d'accepter sa mort prochaine, alors que tous ses proches lui enjoignent d'accepter son sort.

Date de diffusion :
13 janvier 1963
Source :
ORTF (Collection: Le théâtre )

Éclairage

Eugène Ionesco (1909-1994), écrivain franco-roumain, est connu depuis 1950, et la création de sa pièce-phare, La Cantatrice Chauve. D'abord très mal reçue par le public et les critiques, cette pièce fera dès 1957 le succès de l'auteur (voir ce document). Ses pièces, exemples typiques de ce que l'on a appelé le Théâtre de l'Absurde, véhiculent une vision particulièrement désenchantée du monde, où les personnages se trouvent enfermés dans des vies dont le sens semble se perdre. Elles ne sont pourtant pas exemptes d'un certain comique.

Martin Esslin appelle « Théâtre de l'Absurde » une esthétique théâtrale – dont Ionesco et Beckett son donnés comme les plus représentatifs – qui bouleverse les codes de la dramaturgie et invente un code de représentation qui n'appartient qu'à elle. Les pièces absurdes n'ont – selon Martin Esslin – pas réellement d'histoire ou d'intrigue, elles ne mettent souvent pas en scène des personnages strictement caractérisés mais des mannequins désarticulés, elles n'ont ni début ni fin, et semblent, au mieux, les reflets de cauchemars ou de rêves, où le dialogue consiste avant tout en un bavardage apparemment vide de sens.

Si Ionesco débute sa carrière en bouleversant totalement les codes du drame - La Cantatrice chauve et La Leçon, avec leurs structures répétitives et leurs faux dialogues, qui sonnent creux, sont un modèle du genre - il revient rapidement à une dramaturgie plus classique. L'absurde se trouve alors moins dans la structure des pièces que dans les thématiques.

Ecrite au début des années 60, la pièce met en scène un roi face à sa mort prochaine, annoncée et inévitable, et le confronte dès lors à l'absurdité de sa vie et de son pouvoir, ainsi qu'à une certaine cruauté de son entourage. La pièce met en scène un monarque qui fut puissant, absolu, dans son déclin, et rappelle que la condition mortelle de l'homme est universelle. Cette thématique de la mort annoncée, inévitable – et contre laquelle personne, hormis le roi, ne se bat – est constitutive d'une vision absurde du monde, où le sens de la vie semble échapper aux personnages. Mais la pièce d'Ionesco résonne également directement avec l'actualité : écrite à la fin de la guerre d'Algérie, elle évoque également le déclin de la puissance coloniale de la France.

Le Roi se meurt est créée à l'Alliance française le 15 décembre 1962 dans une mise en scène de Jacques Mauclair. Cette mise en scène a été un succès, souvent reprise par la suite (théâtre de l'Athénée, divers festivals, et voir ce document). Jacques Mauclair y incarne un roi encore jeune, ce qui renforce l'absurdité de cette mort annoncée et de cette longue agonie.

Anaïs Bonnier

Transcription

Journaliste
Donc, au lever du rideau, le roi apprend qu’il va mourir dans une heure et demie ?
Intervenant
C’est ça. Et alors, au bout d’une heure, en une heure et demie, il doit, il s’effraie, évidemment. Il n’y croit pas. Et puis alors, il a peur. Et puis ensuite il se met en colère, il est vexé. Comment doit-il mourir sans qu’il accepte lui-même ? Il est vexé, il se met en colère et puis, sa peur se mêle à la résignation, à la nostalgie, et petit à petit il abandonne. Il abandonne son royaume, il abandonne... il abandonne les siens, ou il est abandonné par les siens, il s’oublie lui-même et dépouillé de tout, nu, il peut... il peut mourir.
Comédien 1
Je ne vous ai pas dit d’emporter ce fauteuil ! Prenez, je veux prendre l’air.
Comédienne 1
Assieds-toi dans le fauteuil, tu vas tomber.
Comédien 1
Je n’obéis pas, je reste là debout.
Comédienne 2
Mais vous serez mieux Sir avec une couverture et une bouillote.
Comédien 1
Je n’accepte pas ! Je veux hurler, je veux hurler.
Comédien 2
Sa majesté le roi hurle.
Comédien 3
Il ne hurlera pas longtemps, je connais le processus, il va se fatiguer, et il s’arrêtera et il mourra.
Comédien 1
Je vous défends.
Comédienne 1
Assieds-toi ! Assieds-toi donc.
Comédien 1
Je n'obéis pas. Je tombe, malgré moi.
(Silence)
Comédienne 1
Prends son sceptre, il est trop lourd.
Comédien 1
Ma couronne.
Comédienne 2
Elle est trop lourde majesté.
Comédien 1
Mon sceptre.
Comédienne 1
Tu n’as plus la force de le tenir !
Comédien 3
Plus la peine de vous appuyer dessus on vous portera. On vous roulera dans le fauteuil.
Comédien 1
Je me mettrai sur mes genoux.
Comédienne 4
Laisse-lui le sceptre puisqu’il le désire. Après tout je n’y vois pas d’inconvénient.
(Silence)
Comédien 1
C’est pas vrai, dites-moi que ce n’est pas vrai, c’est un cauchemar. J’ai peut-être une chance sur dix, une chance sur mille. Je gagnais souvent à la loterie.
Comédien 3
Majesté !
Comédien 1
Je ne [inaudible] j'ai trop peur; je ne veux pas de vos paroles, elle me font peur. N’approche pas toi non plus, par pitié, tu me fais peur !
Comédienne 3
Il est comme un petit enfant, il est redevenu un petit enfant.
Comédienne 1
Un petit enfant barbu, ridé, moche ! Mais que vous êtes indulgente.
Comédienne 2
Vous ne vous mettez pas à sa place ?
Comédien 1
Parlez-moi au contraire, allez, entourez-moi ! Retenez-moi, soutenez-moi ! Non, je veux fuir !
Comédienne 2
Ses jambes ne portent plus !