Le Cavalier seul de Jacques Audiberti
Notice
Présentation et extrait de la pièce Le Cavalier seul, de Jacques Audiberti, mise en scène par Marcel Maréchal et le Théâtre du Cothurne, et jouée à Avignon en août 1973.
Éclairage
Jacques Audiberti est né à Antibes le 25 mars 1899. Dès l'âge de douze ans, il compose des poèmes. Engagé comme journaliste-reporter à Paris, il publie, en 1930, son premier recueil de poésie, L'Empire et la trappe. En 1938, il gagne le prix Mallarmé, qui récompense ses poésies. Audiberti écrit également des romans, et même un essai philosophique. En 1945, il découvre le théâtre : « En 1945, je publie un texte composé de répliques, Quoat-Quoat. Je ne l'avais point conçu pour la scène. Il se révéla pourtant théâtralisable.» [1]. Il se lance alors assidûment dans l'écriture théâtrale, et se trouve associé à la création de ses pièces. La plus connue, Le Mal court, est créée en 1946 par Georges Vitaly, avec Suzanne Flon, entre autres. « Ensuite, dit Audiberti, a commencé mon calvaire d'homme de théâtre. J'ai compris, j'ai compris que j'écrivais pour le théâtre. Je ne pouvais plus me le dissimuler, puisque mes pièces étaient jouées. Au poète s'est enchevêtré le metteur en scène. » [1]. L'auteur meurt le 10 juillet 1965.
Lorsqu'Audiberti veut résumer son œuvre, romans, poèmes et théâtre, il recourt à la forme de l'épopée. L'auteur justifie ce parallèle par la présence de thèmes forts dans son œuvre, dont la présence est insistante. Mais ces liens avec l'épopée sont également tangibles dans les situations et le travail de la langue que l'auteur met en place. En tant que dramaturge, Audiberti témoigne par exemple d'un attachement assez fort à l'histoire. Plusieurs de ses pièces (La Hobereaute, Le Cavalier Seul) se situent au Moyen-Âge ; d'autres, sous Louis XV (Le Mal Court). D'autres, comme L'Opéra du Monde, se situent dans un futur hypothétique d'après une explosion nucléaire. Ces temps, passés ou à venir, fictionnels, sont des temps rêvés, hypothétiques : les siècles passés sont, à la demande même de l'auteur en didascalies, reconstitués de manière sommaire. Mais ces temporalités abstraites et reculées participent d'une dramaturgie de l'épopée, et permettent l'apparition d'un héros, qui relève bien plus de l'anti-héros. Ainsi du Mirtus du Cavalier Seul, qui part héroïquement en croisade, s'allie avec les puissances ennemies, puis rejoint l'armée des croisés, refusant son destin héroïque. Le langage, également, participe de cette épopée absurde. Souvent qualifié de « baroque », débordant de lyrisme, il témoigne d'une recherche très novatrice sur la langue. Prenant parti des expressions vieillies de l'histoire, il en crée de nouvelles, recrée un langage, ni tout à fait passé, ni tout à fait actuel, dans une expansion verbale qui anime ses textes.
Le théâtre d'Audiberti est souvent rattaché au Théâtre de l'Absurde. Devançant de quelques années Ionesco et Beckett, qui en sont les figures majeures, l'auteur écrit un théâtre lui aussi marqué par la Seconde Guerre mondiale. Dans le parcours du chevalier languedocien Mirtus, par exemple, on peut voir se cristalliser les désillusions de ceux qui ont cru pouvoir changer l'histoire ; jeune coureur de jupon à la lame facile, promu chevalier pour sa force brutale par un seigneur opportuniste, Mirtus part, seul, sur le chemin des croisades pour libérer le tombeau du Christ. En chemin, il découvre que ses idéaux ne sont que des chimères, et que les croyances sur lesquelles son monde est bâti ne reposent que sur des illusions créées par les hommes. Résigné, il finit par rejoindre le destin qu'il avait d'abord refusé, comprenant qu'il lui est impossible d'intervenir sur la marche du monde. Les thématiques du Théâtre de l'Absurde - notamment celle de la perte d'idéaux qui frappe toute une génération après la guerre - sont ici tangibles. Mais, au lieu de se traduire dans la faillite de la communication que, quelques années plus tard, Beckett et Ionesco exploreront avec profit, c'est dans le registre parabolique, en choisissant l'histoire comme détour, qu'Audiberti propose de traiter ce thème. La communication ici, pour foisonnante et imaginative qu'elle soit, n'est pas, pour autant, couronnée de succès : le langage sert aussi à convaincre, à manipuler et à mentir.
Dans les années 70 commençantes, tout juste cinq ans après les évènements de 1968, la pièce résonne encore, dans la mise en scène de Maréchal, d'autres idéaux brisés. Preuve en est, dans le reportage, la mise en avant de l'anticléricalisme latent que porte la pièce. Les prêtres et autres représentants de la foi y sont en effet tournés en dérision, comme dans d'autres pièces d'Audiberti ; l'Eglise est représentée comme manipulatrice des hommes.
[1] J. Audiberti, Dimanche m'attend, Gallimard, 1993.