Arlequin valet des deux maîtres à la Comédie de Saint Etienne, mise en scène d'Edmond Tamiz

04 décembre 1965
05m 54s
Réf. 00477

Notice

Résumé :

Interview de l'acteur - metteur en scène Edmond Tamiz qui monte Arlequin valet de deux maîtres à la Comédie de Saint-Etienne, sur l'invitation de Jean Dasté. L'interview est suivie d'une scène de la pièce enregistrée sans public.

Date de diffusion :
04 décembre 1965
Source :
Fiche CNT :

Éclairage

Ce document est précieux à plus d'un titre. Tout d'abord nous nous trouvons à la Comédie de Saint-Etienne, l'un des hauts lieux de la décentralisation. Ce mouvement est impulsé au sortir de la Seconde Guerre mondiale par Jeanne Laurent, alors sous-directrice des spectacles et de la musique à la Direction générale des Arts et Lettres. Le premier à s'installer hors la Capitale est Jean Dasté, en 1945, à Grenoble. Acteur, metteur en scène, formé chez Jacques Copeau (l'un des plus importants metteurs en scène du début du XXe siècle), Jean Dasté (1904-1994) fondera ensuite en 1947 la Comédie de Saint-Etienne qui aujourd'hui encore demeure l'un centre dramatique national très actif.

C'est aussi l'occasion de voir Edmond Tamiz (né en 1923), l'une de ces nombreuses figures du théâtre français aujourd'hui oubliées mais qui ont eu une activité théâtrale importante à la fois comme acteurs et comme metteurs en scène – il assume d'ailleurs ici les deux rôles puisqu'il met en scène et joue le rôle d'Arlequin.

Enfin, l'extrait de la pièce de l'auteur dramatique vénitien Carlo Goldoni (1707-1793), Le Valet de deux maîtres, revêt plusieurs intérêts. La pièce elle-même, écrite en 1745, est fondamentale. Du temps de Goldoni, la Commedia dell'arte est un art sur le déclin, en perte de vitesse, principalement par manque d'acteurs capable d'improviser à partir des canevas (textes très courts, simples, réduits à la description de l'action). Le passage d'une génération à une autre se réalise moins aisément et les représentations s'appauvrissent. C'est dans ce contexte, en 1745, qu'un homme de théâtre comme Carlo Goldoni va écrire Le Valet de deux maîtres qui montre les aventures d'Arlequin qui tente, par cupidité d'être le serviteur de deux maîtres différents (et donc de recevoir deux fois ses gages), et se trouve mêlé à une intrigue amoureuse. A partir d'un canevas préexistant (et à la demande du talentueux Arlequin, Antonio Sacchi, 1708-1788), il va poser sur le papier ce qui restait auparavant à la discrétion des acteurs : les dialogues sont donc ici entièrement écrits, comme une partie des jeux de scène – du moins, dans certaines scènes, de nombreuses didascalies indiquent les déplacements et les actions physiques des personnages. Il s'agit donc d'une pièce charnière, entre la tradition d'improvisation de la Commedia dell'arte, qui tend alors à disparaître, et une comédie réformée, au texte plus soigné et développé, mais toujours empreinte des spécificités de la Commedia dell'arte (personnages, situations...).

Comme le rappelle Edmond Tamiz, c'est avant tout un théâtre d'acteur et l'extrait assez long nous le montre bien. Entre les lignes, entre les dialogues verbaux, le corps ne cesse de développer son langage – ici ceux de la parodie pour l'amoureux et du gag pour Arlequin. Ce dernier gesticule, pose, danse, saute. Le maître est plus dans la retenue, le beau maintien – il est d'un autre rang. Ce dialogue des corps domine la première partie de la scène, avec le gage du manteau et de la petite chorégraphie qui s'ensuit, celui de l'enfilage de la veste puis du brossage. A partir de la découverte du portrait, le verbe devient omniprésent et l'on assiste à un échange rythmé entre les deux protagonistes. Observons quand même la différence des corps avec un Arlequin en « posture comique » (les jambes pliées, postérieur en arrière et torse en avant) et son maître Florindo en « posture noble » (les jambes bien droites et le cou dégagé). La commedia dell'arte forçant le trait, l'acteur qui joue Florindo « dilate » dans la voix et le corps le désespoir amoureux du jeune maître.

Anne-Laetitia Garcia

Transcription

Journaliste
Avec Arlequin serviteur de deux maîtres de Goldoni, la comédie de Saint Etienne inaugure sa 19ème saison. C’est à vous Edmond Tamiz que Jean Dasté a demandé de mettre en scène cette comédie de Goldoni. Je vous demanderai tout à l’heure pourquoi vous avez choisi cette comédie, mais j’aimerais vous demander tout de suite, pourquoi Jean Dasté vous a choisi ?
Edmond Tamiz
Ah, ça je crois que c’est une question disons, à lui poser personnellement. Mais, je pense que le style de ce spectacle rejoint un peu le goût de Jean Dasté pour un théâtre où se confondent l’intelligence et l’instinct de l’acteur. Et c’est ce qui m’attire aussi dans ce style. Dans le style de la comédie italienne.
Journaliste
Lorsqu’il a pensé à vous, a-t-il pensé au mime que vous êtes aussi ou au metteur en scène. Les deux, je pense que le mime et le metteur en scène là font très bon ménage dans une comédie de ce style.
Edmond Tamiz
Si je m’en fiais aux apparences, je crois qu’ils font bon ménage. Personnellement, c’est un grand plaisir pour moi forcément de pouvoir allier les deux. La Commedia Dell’Arte a disparu à une certaine époque de notre théâtre, et j’ai enfin, j’ai ressenti un besoin du public vers cette forme de théâtre, un besoin inconscient disons. Mais lorsqu’il se présente devant ce spectacle, il réagit d’une façon nouvelle disons. Il découvre une forme et un style de théâtre, que nous trouvons difficilement en France.
Comédien 1
Que diable fabriques-tu animal ?
Comédien 2
J’étais en train de nettoyer vos habits, Monsieur.
Comédien 1
Et cette autre malle, à qui est-elle ?
Comédien 2
A un autre voyageur sans doute.
Comédien 1
Donne-moi mon habit.
Comédien 2
Tout de suite, Monsieur.
(Bruit)
Comédien 2
Out… han…
(Bruit)
Comédien 2
Pardon Monsieur, ah !
(Bruit)
Comédien 1
Qu’est ce que c’est que ça ?
Comédien 2
Je me suis trompé, au lieu de mettre le portrait dans la poche de l’habit de l’autre, je l’ai mis dans la poche de l’habit de l’un. C’est la couleur qui m’a trompé.
Comédien 1
Ciel, mais je ne me trompe pas, c’est là mon portrait, le portrait que j’ai donné moi-même à ma chère Béatrice. Peux-tu me dire comment ce portrait se trouve dans la poche de mon habit ?
Comédien 2
Comment est-ce que je vais faire pour m’en tirer, il me faudrait un coup de génie.
Comédien 1
Alors, vas-tu répondre, comment ce portrait se trouve-t-il dans ma poche ?
Comédien 2
Ce portrait est à moi, et comme j’avais peur de le perdre, je l’ai mis dans la poche de votre habit.
Comédien 1
D’où tiens-tu ce portrait ?
Comédien 2
Oh mais j’y tiens pas Monsieur.
Comédien 1
Comment ?
Comédien 2
Je l’ai hérité.
Comédien 1
Hérité ?
Comédien 2
Oui Monsieur, un maître que j’avais et qui est mort m’a légué quelques bagatelles que j’ai vendues mais j’ai gardé ce portrait.
Comédien 1
Que me dis-tu là. Et il y a combien de temps qu’il est mort ton ancien maître ?
Comédien 2
Pas longtemps, ça doit faire une semaine. Je dis ce qui me passe par la tête.
Comédien 1
Et comment s’appelait-il ?
Comédien 2
Ah, je l’ignore Monsieur, il vivait incognito.
Comédien 1
Incognito, et pendant combien de temps as-tu été à son service ?
Comédien 2
Oh, dix ou douze jours.
Comédien 1
Ciel, je tremble de plus en plus à l’idée que ce pourrait être Béatrice. Il lui arrivait souvent de s’habiller en garçon. Elle voyageait incognito. Oh, si c’est elle qui est morte je ne veux plus vivre !
Comédien 2
Puisqu’il croit tout, je vais lui en raconter de belles.
Comédien 1
Dis moi, il était jeune ton ancien maître ?
Comédien 2
Tout jeune !
Comédien 1
Imberbe ?
Comédien 2
Rigoureusement.
Comédien 1
Il n’y a plus de doute, c’était elle. Sais-tu au moins, d’où il était ton défunt maître ?
Comédien 2
Il me l’a dit mais je ne me rappelle plus.
Comédien 1
Est-ce qu’il n’était pas de Turin ?
Comédien 2
C’est ça, oui Monsieur, de Turin.
Comédien 1
Chacune de ces paroles m’est un coup de poignard. Mais dis-moi, il est vraiment mort ce jeune turinois ?
Comédien 2
Mais bien sûr qu’il est mort.
Comédien 1
Mais de quoi est-il mort ?
Comédien 2
I, i, il lui est arrivé un accident et il est défunté. S’il est pas content avec ça,
Comédien 1
Et où est-il enterré ?
Comédien 2
Ah ben, il lui en faut des détails. Mais il a pas été enterré, Monsieur. Un autre serviteur qu’il avait, a eu la permission de mettre son cadavre dans un cercueil et il l’a expédié à Turin.
Comédien 1
Ce serviteur ne serait-il pas celui-là même qui ce matin t’a demandé de passer à la poste pour lui ?
Comédien 2
Pasqual, lui-même !
Comédien 1
Il n’y a plus d’espoir, Béatrice est morte. Infortunée Béatrice. Les fatigues du voyage, le chagrin l’auront tuée. Oh, oh ma douleur est trop forte. J’ai bien peur de, oh, oh, oh, oh, oh Béatrice.
Comédien 2
Le voilà qui pleure, qui geint, qui se désespère. Moi je ne voudrais pas que ma petite histoire le fasse tomber dans de l’hypocondrie. Moi, si j’ai dit ça, c’est pour ne pas recevoir de coups de bâtons et qu’il ne me pose pas de questions à propos des malles. Oh, mon autre maître.