Arlequin valet des deux maîtres à la Comédie de Saint Etienne, mise en scène d'Edmond Tamiz
Notice
Interview de l'acteur - metteur en scène Edmond Tamiz qui monte Arlequin valet de deux maîtres à la Comédie de Saint-Etienne, sur l'invitation de Jean Dasté. L'interview est suivie d'une scène de la pièce enregistrée sans public.
Éclairage
Ce document est précieux à plus d'un titre. Tout d'abord nous nous trouvons à la Comédie de Saint-Etienne, l'un des hauts lieux de la décentralisation. Ce mouvement est impulsé au sortir de la Seconde Guerre mondiale par Jeanne Laurent, alors sous-directrice des spectacles et de la musique à la Direction générale des Arts et Lettres. Le premier à s'installer hors la Capitale est Jean Dasté, en 1945, à Grenoble. Acteur, metteur en scène, formé chez Jacques Copeau (l'un des plus importants metteurs en scène du début du XXe siècle), Jean Dasté (1904-1994) fondera ensuite en 1947 la Comédie de Saint-Etienne qui aujourd'hui encore demeure l'un centre dramatique national très actif.
C'est aussi l'occasion de voir Edmond Tamiz (né en 1923), l'une de ces nombreuses figures du théâtre français aujourd'hui oubliées mais qui ont eu une activité théâtrale importante à la fois comme acteurs et comme metteurs en scène – il assume d'ailleurs ici les deux rôles puisqu'il met en scène et joue le rôle d'Arlequin.
Enfin, l'extrait de la pièce de l'auteur dramatique vénitien Carlo Goldoni (1707-1793), Le Valet de deux maîtres, revêt plusieurs intérêts. La pièce elle-même, écrite en 1745, est fondamentale. Du temps de Goldoni, la Commedia dell'arte est un art sur le déclin, en perte de vitesse, principalement par manque d'acteurs capable d'improviser à partir des canevas (textes très courts, simples, réduits à la description de l'action). Le passage d'une génération à une autre se réalise moins aisément et les représentations s'appauvrissent. C'est dans ce contexte, en 1745, qu'un homme de théâtre comme Carlo Goldoni va écrire Le Valet de deux maîtres qui montre les aventures d'Arlequin qui tente, par cupidité d'être le serviteur de deux maîtres différents (et donc de recevoir deux fois ses gages), et se trouve mêlé à une intrigue amoureuse. A partir d'un canevas préexistant (et à la demande du talentueux Arlequin, Antonio Sacchi, 1708-1788), il va poser sur le papier ce qui restait auparavant à la discrétion des acteurs : les dialogues sont donc ici entièrement écrits, comme une partie des jeux de scène – du moins, dans certaines scènes, de nombreuses didascalies indiquent les déplacements et les actions physiques des personnages. Il s'agit donc d'une pièce charnière, entre la tradition d'improvisation de la Commedia dell'arte, qui tend alors à disparaître, et une comédie réformée, au texte plus soigné et développé, mais toujours empreinte des spécificités de la Commedia dell'arte (personnages, situations...).
Comme le rappelle Edmond Tamiz, c'est avant tout un théâtre d'acteur et l'extrait assez long nous le montre bien. Entre les lignes, entre les dialogues verbaux, le corps ne cesse de développer son langage – ici ceux de la parodie pour l'amoureux et du gag pour Arlequin. Ce dernier gesticule, pose, danse, saute. Le maître est plus dans la retenue, le beau maintien – il est d'un autre rang. Ce dialogue des corps domine la première partie de la scène, avec le gage du manteau et de la petite chorégraphie qui s'ensuit, celui de l'enfilage de la veste puis du brossage. A partir de la découverte du portrait, le verbe devient omniprésent et l'on assiste à un échange rythmé entre les deux protagonistes. Observons quand même la différence des corps avec un Arlequin en « posture comique » (les jambes pliées, postérieur en arrière et torse en avant) et son maître Florindo en « posture noble » (les jambes bien droites et le cou dégagé). La commedia dell'arte forçant le trait, l'acteur qui joue Florindo « dilate » dans la voix et le corps le désespoir amoureux du jeune maître.