Les Rustres, mis en scène par Jean Vilar

23 juillet 1961
01m 47s
Réf. 00470

Notice

Résumé :

Lors du Festival d'Avignon de 1961, Paul-Louis Mignon interroge Jean Vilar sur Les Rustres. Il introduit la pièce de Goldoni en soulignant le thème central de la pièce selon lui : l'autorité maritale. Un court extrait de la pièce avec Michel Galabru, Geneviève Brunet et Paule Noëlle, dans lequel Lunardo (Galabru), houspillant sa femme et sa fille, fait montre d'une autorité tyrannique.

Date de diffusion :
23 juillet 1961
Source :
ORTF (Collection: Le théâtre )
Compagnie :

Éclairage

Cet extrait a plusieurs intérêts.

Il montre d'abord que l'auteur dramatique vénitien Carlo Goldoni (1707-1793) ne se résume pas au seul genre de la Commedia dell'arte, même s'il va en écrire les ultimes pages. Il écrit ainsi nombre de tragédies, de tragi-comédies et même des livrets d'opéra. Cependant la veine comique semble chez lui prédominante (près de 120 comédies, près de 35 livrets d'opéras bouffes). Les Rustres, créée en 1760, est une comédie qui se construit davantage sur le modèle de la comédie de Molière : le point de départ de la fable est un trait de caractère négatif que l'auteur veut dénoncer et ce défaut va être à l'origine des péripéties qui construisent l'action. Ici est dénoncée la tyrannie d'un homme sur sa famille – sa seconde femme et sa fille qu'il veut marier à un « sauvage » de son espèce. Les femmes sauront cependant déjouer ses plans. L'extrait montré ici correspond à la deuxième scène de la pièce. Dans la première, la fille de Lunardo et sa seconde femme se plaignent de ce dernier et brossent un portrait peu amène du personnage (« votre père est un vrai ours »). La deuxième scène nous montre alors le personnage pour la première fois. Procédé classique où le personnage est d'abord décrit puis apparaît incarné sur la scène.

De même il rappelle le répertoire éclectique du Théâtre National Populaire de Jean Vilar – et, de ce fait, du Festival d'Avignon qu'il a créé avec sa troupe en 1947. Si, grâce à Gérard Philipe ou à Maria Casarès, nous nous souvenons peut-être mieux des tragédies classiques françaises, des drames shakespeariens et des drames romantiques allemands montés par Jean Vilar, il ne faut cependant pas oublier le genre comique qui fut également dignement représenté dans le répertoire très large du TNP.

En pleine guerre d'Algérie, en cette année 1962, les deux autres spectacles présentés par Jean Vilar sont : L'Alcade de Zalamea (Calderón), qui traite de la justice, et Antigone de Sophocle, qui parle de résistance. Sur le mode comique, la pièce Les Rustres dénonce l'autorité excessive, la tyrannie.

Nous retrouvons enfin Michel Galabru dans l'un des rôles qui ont le plus marqué sa carrière. Le rôle de Lunardo ponctue véritablement la carrière de l'acteur. Nous assistons dans cet extrait à la prise de rôle de Michel Galabru, à sa première interprétation, en 1961, mais il le reprendra en 1978, en 1988 (il assure cette fois également la mise en scène) et en 2005. Ce rôle de mari-père tyrannique qui veut imposer mari à sa fille (mais les femmes se ligueront contre ce projet) est la composition par excellence où il peut laisser s'exprimer sa truculence naturelle et lui donner une ampleur qui peut être si caractéristique son jeu. L'identification, la confusion faite par le public entre l'acteur et le rôle a scellé son succès.

Anne-Laetitia Garcia

Transcription

Présentateur
Jean Vilar, nous devons interrompre, avec regret ici, votre Alcade, et quitter l’Espagne pour gagner l’Italie et Les Rustres de Goldoni. Quel est le thème des Rustres ?
Jean Vilar
Et bien, le thème des Rustres est un thème qui concerne l’autorité. Comme dans L’Alcade au fond. Mais cette fois-ci, c’est l’autorité maritale. Dans la Venise marchande du XVIIIe siècle, un marchand, un ours, un vrai rustre, Lunardo, fait vivre dans la terreur, dans la terreur familiale, s'entend, sa seconde femme et sa fille.
Geneviève Brunet
Bon sang, le voilà !
Paule Noëlle
Il entre comme les chats ! Mon père je suis votre servante.
Geneviève Brunet
Servante. On ne se salue même plus.
Michel Galabru
Travaillez, travaillez, pour faire des politesses vous négligez votre ouvrage.
Paule Noëlle
Je travaillais jusqu’à maintenant. Je vais avoir fini mon [rang].
Geneviève Brunet
Je voudrais bien savoir, figurez-vous, si nous sommes payées à la journée ?
Michel Galabru
Et vous, il faut dire les choses comme elles sont, vous avez toujours des réponses de ce genre.
Paule Noëlle
Voyons père, pendant les derniers jours de carnaval, faites nous la grâce de ne pas crier !
Geneviève Brunet
Ah, oui, rester un jour sans crier. C’est plus fort que lui.
Michel Galabru
Non, mais, vous l’entendez cette hurluberlue ? Alors que suis-je donc ? Un tartare, un monstre ? De quoi vous plaignez vous ? C’est les choses honnêtes je les aime tout autant qu’un autre !
Paule Noëlle
Et bien alors, vous nous emmenez faire un petit tour ? Et on met des masques ?
Michel Galabru
Des masques ?
Geneviève Brunet
Bon ! Le voilà qui monte sur ses grands chevaux.
Michel Galabru
Vous avez le front de me demander que nous sortions masqués ? Mais vous ne m’avez jamais vu, il faut dire les choses comme elles sont. Mais mettre un masque sur la figure ! Mais qu’est ce que c’est que cette histoire de masque ? A quoi ça rime de sortir masqués ? C’est… m’en faites pas dire davantage ! Les jeunes filles n’ont pas à sortir masquées.
Geneviève Brunet
Et une femme mariée ?
Michel Galabru
Une femme mariée non plus ! Non madame, pas plus les femmes mariées.
Geneviève Brunet
Mais alors figurez-vous, pourquoi les autres le font-elles ?
Michel Galabru
Figurez-vous, figurez-vous… écoute, moi je m’occupe de ma maison, et je ne m’occupe pas des autres.
Geneviève Brunet
Oui parce que… Il faut dire les choses comme elles sont. Parce que vous êtes un ours.
Michel Galabru
Hein ! Hein ! Margarita, ayez un grain de raison.
Geneviève Brunet
Lunardo, [inaudible]
Paule Noëlle
Oh !